YouTube accusé d’encourager le harcèlement homophobe et raciste par un journaliste américain

Après avoir été harcelé pendant deux ans par l’intermédiaire de vidéos YouTube, le journaliste américain Carlos Maza a décidé d’attaquer la plateforme de partage de vidéos pour son inaction. Une occasion de mettre en avant le « pinkwashing » de cette dernière et de remettre la thématique du cyberharcèlement au devant de la scène. 

« Je ne sais plus quoi dire. YouTube a décidé de ne pas punir Crowder, après qu’il m’ait harcelé pendant deux ans parce que je suis gay et latino. Je ne sais plus quoi dire. » Cette phrase, tirée du compte Twitter de Carlos Maza, résume la situation dans laquelle ce journaliste de Vox Media se trouve.

https://twitter.com/gaywonk/status/1136056663927087105

L’autre protagoniste de l’histoire, c’est Steven Crowder, humoriste, acteur et animateur de l’émission radio « Louder With Crowder », postée sur YouTube. Ouvertement anti-féministe, pro-vie, pro-armes et inévitablement pro-Trump et conservateur, il a effectivement pris la peine d’attaquer les points de vue avancés par Carlos Maza, tout en insistant sur son orientation sexuelle ainsi que son origine ethnique.

Un harcèlement long de deux ans

Pour comprendre les tenants de l’histoire, il faut aussi savoir que Vox Media est un groupe médiatique détenant notamment The Verge (spécialisé en culture numérique), Polygon (spécialisé dans le jeu vidéo) et Vox, le média d’information généraliste où officie le journaliste, notamment par le biais de vidéos YouTube.

Ainsi, en plus de sa profession, Carlos Maza est considéré comme une personnalité publique d’Internet, bien qu’on ne l’ait jamais vu dégainer une caméra pour commettre un vlog. Il est plutôt du genre à décrypter la sphère médiatique et politique américaine avec un ton léger, mais sérieux dans son émission « StrikeThrough ».

https://twitter.com/gaywonk/status/1134263774591037441

Vox étant un média à la ligne éditoriale plus orientée à gauche, rien ne semblait forcer Carlos Maza et Steven Crowder à se rencontrer. Mais rien n’est aussi simple dans ce monde. « Depuis que j’ai commencé à travailler chez Vox, Steven Crowder a réalisé vidéo après vidéo, « tournant en ridicule » Strikethrough. Chacune de ses vidéos ont inclus des attaques répétées et ouvertes à propos de mon orientation sexuelle et mon ethnicité. », a déclaré sur son Twitter Maza en interpellant YouTube avec des extraits compilés des insultes de Crowder. 

« Chaque fois qu’une vidéo est postée, je me réveille avec un abus de racisme et d’homophobie sur mon Instagram et mon Twitter », ajoute Maza. En l’espace de deux ans, il a vécu un harcèlement régulier, incluant la publication de son numéro de téléphone en ligne, qui a entraîné la réception d’une multitude de messages qui l’incitaient à « aller débattre avec Crowder ».

Comme un arrière-goût de Raptor Dissident

Ce n’est pourtant pas à ce dernier que Carlos Maza en veut, mais bien à YouTube: « Il y aura toujours des monstres dans ce monde. Mais je suis en rage contre YouTube, qui se targue de soutenir les créateurs LGBT, et a des politiques claires contre le harcèlement. » Il poursuit en précisant qu’il a déjà essayé de signaler les vidéos dans lesquelles il se faisait insulter, sans jamais une seule réponse de YouTube: « Je ne cherche pas à « mettre sous silence les conservateurs ». Je me contrefous de si les conservateurs sur YouTube ne sont pas d’accord avec moi. Mais en refusant de renforcer leur politique anti-harcèlement, YouTube aide des cyberharceleurs incroyablement puissants à s’organiser et à cibler ceux qui ne sont pas d’accord avec eux. »

Il y a comme un arrière-goût de Raptor Dissident dans cette histoire, le vidéaste français proche d’Alain Soral qui avait lancé une campagne de harcèlement à plusieurs reprises contre la jeune influenceuse et vidéaste féministe Marion Seclin, il y a bientôt trois ans. Dans ce cas-ci, YouTube avait fini par supprimer les vidéos portant atteinte à sa personne, mais Carlos Maza n’a pas eu cette chance.

Des vidéos qui ne violent pas le règlement de YouTube (d’après YouTube)

YouTube a fini par donner son verdict sur Twitter, et tout en reconnaissant que les propos de Steven étaient insultants, ils ont jugé que le contenu de ses vidéos ne violait pas le règlement de leur entreprise: « en tant que plateforme ouverte, il est crucial pour nous d’autoriser quiconque à exprimer ses opinions au sein du spectre politique. Les opinions peuvent être profondément offensantes, mais si elles ne violent pas notre politique, elles resteront sur notre site (…). Cela ne veut pas dire que nous supportons ce point de vue. » On en revient au « Je ne sais plus quoi dire » de Maza qu’on vous citait au début.

Certes, le fait de vouloir protéger la liberté d’expression sur sa plateforme est tout à fait défendable, voire louable. Mais pour la communauté LGBTQI+ active sur YouTube, cette réponse provoque un goût amer alors que le Pride Month bat son plein aux USA. Bien des youtubers queers se plaignent d’avoir leurs vidéos presque systématiquement démonétisées, les empêchant de pouvoir faire grandir leurs chaînes, et la réponse de l’entreprise de Google parait pour eux assez hypocrite.

De plus, il est difficile de comprendre pourquoi les vidéos ne violent pas la politique de YouTube, comme le pointe The Verge, en trois points:

  • Les consignes de YouTube sur l’incitation à la haine statuent que « l’incitation à la haine n’est pas autorisée sur YouTube. Nous retirons le contenu qui promeut la violence ou la haine envers les individus ou les groupes basés sur n’importe lequel de ces attributs », incluant « l’orientation sexuelle ».
  • Les consignes de YouTube sur le harcèlement et le cyberharcèlement statuent que « le contenu ou le comportement voulant implicitement harceler ou menacer d’autres personnes n’est pas autorisé sur YouTube. »
  • YouTube interdit également le « contenu délibérément posté afin d’humilier quelqu’un, » « le contenu qui inclut des commentaires et vidéos personnels, avec une visée personnelle négative » et « le contenu qui incite les autres à harceler ou menacer des individus sur YouTube. »

Le harcèlement, les insultes et l’incitation à la haine sont là, surtout quand on sait que Crowder est allé jusqu’à vendre des tee-shirts avec inscrit « Carlos Maza est un pédé ». 28 dollars pour ça, ce n’était peut-être pas la peine.

Le « pinkwashing » de YouTube remis en cause

L’autre attaque de Maza, c’est celle qui critique la manière dont YouTube instrumentalisé ses créateurs LGBTQI+: « Si vous êtes un créateur LGBT, YouTube vous utilise », balance-t-il. « Ils vous exposent pour convaincre les annonceurs que leur plateforme n’est pas devenue un terreau fertile pour les discours de haine et le sectarisme. »

Brutal, mais vu les conditions dans lesquelles baignent le journaliste, on ne peut qu’accuser le coup. Il est vrai que YouTube aime à mettre en avant son amour des LGBTQI+ dans sa communication, sans forcément suivre avec des actions, comme dans le cas présent. C’est ce qu’on appelle du pinkwashing.

Le coup de gueule de Maza a, au final, ébranlé la communauté de vidéastes LGBTQI+ et attiré l’attention de bien des médias aux États-Unis. Avec plus de 7.000 retweets et 30.000 likes, son tweet dénonçant la non-action de YouTube tourne de plus en plus et pourrait augurer un renforcement du règlement anti-harcèlement de la plateforme de partage de vidéos (même s’ils ont annoncé ne pas vouloir plus commenter que ce qui avait déjà été déclaré dans le thread de Maza).

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