« Témoigner ne suffit plus: rien n’a changé »: Après 7 ans, Paye Ta Shnek tire sa révérence

Après 7 années de durs et loyaux services à encourager la sororité et la lutte contre le sexisme, Paye Ta Shnek arrête ses activités. Sa fondatrice, Anaïs Bourdet, a posté un message sur Facebook d’où transparaissent frustration, colère mais aussi envie de changement.

Anaïs Bourdet, fondatrice, en interview pour Brut

« Je n’ai pas ou plus les épaules, je suis épuisée et, honnêtement, terrorisée. » Ainsi, Anaïs, fondatrice de Paye Ta Shnek, tire sa révérence. Dans un long post facebook, la jeune femme qui avait commencé un tumblr sans se définir féministe, et uniquement pour pouvoir rassembler des témoignages, décide de clore ce pan de l’histoire du militantisme sur les internets.

Bien avant #MeToo, Paye Ta Shnek avait su créer un début de prise de conscience, dans une époque où le harcèlement de rue commençait à peine à prendre une place dans la conscience commune. Sept ans plus tard, c’est sur une sensation d’échec et de frustration que le flot de témoignages s’arrête.

En Avril, Anaïs racontait son parcours au micro d’Anouk Perry

Ce n’est pas faute d’en recevoir. Mais la fondatrice n’est plus capable de porter les souffrances des autres quand, elle-même, en subit: « Cette nuit j’ai été agressée, ma meilleure amie a été agressée, et deux autres femmes au moins ont été agressées dans le lieu dans lequel nous passions à la base une bonne soirée. (…) Je n’arrive plus à lire vos témoignages et à les digérer en plus des violences que je vis dès que je mets le pied dehors. « 

« Témoigner ne suffit plus: rien n’a changé. »

C’est bien plus qu’un sentiment de fatigue qui se dégage du long message posté sur facebook. Alors qu’on pourrait espérer, en particulier venant de quelqu’un qui a fait partie prenante du mouvement de libération de la parole, que la cause des femmes ait avancé au cours des dernières années, l’avis détonne avec l’envie d’y croire: « Témoigner ne suffit plus : rien n’a changé, les hommes sont toujours aussi violents. Oui, les hommes. J’ai bien dit les hommes. Toujours trop nombreux à nous traumatiser, toujours pas assez nombreux à nous aider pour que ça pèse dans la balance. »

« Oui, les hommes ». Cette phrase aurait pu valoir une vague de haine à Anaïs, comme bien des féministes avant elles. Pourtant, dans les commentaires, ils sont plusieurs à l’approuver et à regretter de ne pas assez agir. « Votre post m’a beaucoup touché et, en tant qu’homme, je ne peux que me sentir coupable », dit Marc. « Merci, merci et encore merci, d’avoir ouvert les yeux à autant de gars. », rajoute Thibaut. « Je vais dans votre sens je suis intervenu trop tard dans un train pour défendre une jeune fille. », témoigne Hug. Entre les commentaires de Jeanne Added et du mouvement Stop au Harcèlement, qui remercient Anaïs de ses dures années de labeur, d’autres genres de témoignages pleuvent.

Paye Ta Shnek, c’était effectivement une source pédagogique énorme qui a permis de sensibiliser au harcèlement sur le long terme. Infographies, témoignages, citations… Plus qu’il n’en faut que pour pouvoir pratiquer son féminisme, mais surtout donner les armes aux femmes de répondre aux paroles sexistes.

C’est aussi un premier mouvement de témoignages qui a donné naissance à une trentaine d’autres, se focalisant sur des corps de métiers ou lieux spécifiques: Paye ta Robe pour les avocats, Paye ta Fac pour les universités, Paye ton Journal pour les salles de rédaction… Sans Paye Ta Shnek, on n’aurait sans doute également pas eu d’autres genres de compte, passés de Tumblr à Instagram, comme Les Garçons Parlent ou T’as joui, qui abordent les thématiques du féminisme par le biais de témoignages, aussi avec une visée d’éducation.

#TeamBagarre

« J’ai l’impression d’écrire une lettre de rupture ». Pourtant, on ne dit pas adieu à Anaïs. Elle a toujours un podcast, dénommé YESSS, qui parle des accomplissements et réussites de femmes, et travaille pour d’autres projets:  » Je bosse aussi avec des lieux qui souhaitent se former à lutter contre les oppressions. » La page facebook et le tumblr resteront, eux, ouverts au public, « histoire que ça n’ait pas servi à rien. »

Au final, c’est surtout un message d’action qui transparait dans le post d’au revoir de Paye Ta Shnek. Le moment de la prise de conscience est passé, et il est temps de prendre les armes, pour poser des actions concrètes contre le sexisme. « #TeamBagarre malgré tout, et pour longtemps <3″, conclut-elle d’ailleurs dans son message.

https://www.facebook.com/payetashnekleblog/posts/2371963169565156?__tn__=K-R
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