La nouvelle éducation sexuelle se passe (aussi) sur Instagram 

Ils s’appellent ClitRévolution, Tu bandes, Jouissance Club et ils ont débarqué dans ton fil d’actu Instagram depuis plusieurs mois. Ces comptes cherchent à t’en apprendre plus sur le sexe, les pratiques et la diversité qui en découle. Quand il y a quelques années, les adolescents tentaient avec peine d’accéder à de l’information sur Internet, avec 99% de chances de tomber sur un forum obscur ou un porno, l’information est aujourd’hui à portée de main – ou plutôt de doigt. 

« Je me suis rendue compte de ma propre petitesse d’esprit ». Aline a 24 ans. Depuis quelques temps, elle s’est mise à suivre une variété impressionnante de comptes sur Instagram, avec un dénominateur commun qui transparait quand on les cite : « Alors, y a ClitRévolution, qui sont en train de sortir une série documentaire et qui renseignent sur des livres ou d’autres comptes. T’as aussi Jouissance Club avec ses dessins qui peuvent te donner plein d’idées… Sinon, Merci Beaucul, Tu Bandes, … »

À côté d’elle, Melinna, 25 ans, complète la longue liste de comptes Instagram sexo: « Le Cul Nu, noustoutes2411, 28 jours, VoxVulva… » Parmi ces noms, on retrouve tout autant des comptes entièrement dédiés au sexe, que des informations de sensibilisation aux règles, au harcèlement sexuel ou encore aux identités de genre et sexuelles.

Ouverture d’esprit et éveil sexuel

Melinna et Aline n’ont pas la même expérience de la sexualité. La première s’y est intéressée de près dès l’adolescence, quand l’autre n’a réellement eu son éveil sexuel qu’avec l’accès aux informations proposées sur les réseaux sociaux.

Néanmoins, toutes les deux ont connu un changement dans leur vision de la sexualité en étant exposées à ces comptes Instagram. « J’ai osé proposer des choses à mon copain, surtout avec les dessins de Jouissance club », raconte Melinna. « Avant, je parlais avec mes potes de ce qu’on testait, mais j’arrivais pas chez mon mec en disant « oh, y a machine qui a fait ça, ça te dirait qu’on le fasse? » Là, avec ces infos qui sont publiques et qui légitiment la chose, c’est beaucoup moins bizarre ».

Pour Aline, c’est toute une série de « révélations » qui se sont enchaînées: « Y a des questions que tu te poses même pas avant d’en avoir entendu parler, vis à vis de la masturbation féminine, du fait que l’acte sexuel ne se résume pas à l’érection masculine, savoir même qu’en tant que femme, t’as un organe entièrement dédié au plaisir qui peut avoir une érection… ça m’a fait beaucoup réfléchir, ça a changé ma vision de la sexualité. »

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la nouvelle éducation – et libération – sexuelle se passe sur Instagram. Une éducation qui change de la visite du planning familial, sensée se dérouler en secondaire pour tous les adolescents. « Personnellement, j’ai appris à mettre une capote sur un pied de chaise « , raconte Aline. Melinna n’en a que des souvenirs très vagues. Quelque part, pour elles, avoir accès à ces comptes Instagram, c’est comme avoir une pote qui te donne des conseils sur comment avoir du plaisir tout en restant en sécurité.

Manque de normes et difficulté de poser des questions, les tares de l’éducation sexuelle « classique »

Le plaisir, c’était d’ailleurs pour toutes les deux le grand absent de ces séances qui font partie de l’EVRAS en Belgique (comprenez « Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle »). Cependant, pour Sofia Seddouk, chargée de missions de la fédération laïque des centres de planning familial, le vrai coupable de ce manque d’informations, c’est l’absence de

cadre : « Il n’y a pas de cadre sur le comment, sur le « qui » ou sur les thématiques abordées. Une école peut tout autant organiser des séances d’information, créer un parcours ou des animations, que simplement exposer une affiche. C’est un enjeu pour nous qu’il y en ait, aussi parce que ça ouvre la porte à des dérives. »

Poser des questions durant ces séances peut aussi s’avérer complexe. Emma*, 22 ans, raconte que le jugement de ses camarades l’a empêchée de considérer réellement ses premières expériences comme du « vrai » sexe: « J’ai fait du vaginisme pendant mes premières expériences. Résultat: pas de pénétration, et mes potes se foutaient de la gueule des filles qui n’arrivaient pas à ce stade. J’osais pas en parler. Je faisais quand même d’autres choses, mais c’est seulement en ayant accès à ces comptes Instagram que j’ai fini par déculpabiliser, me sentir moins seule, et oser en parler. C’était il y a deux ans. C’est à ce moment que j’ai compris que mes premières expériences, même sans pénétration, étaient de vrais rapports. »

Le jugement des pairs peut empêcher de parler et poser des questions durant les séances EVRAS. C’est pourtant ainsi qu’elles sont souvent guidées, comme le raconte Sofia Seddouk: « Faire de l’EVRAS, ce n’est pas vraiment un cours, les animateurs abordent des thématiques en fonction des questions et préoccupations des élèves. »

Plus qu’une éducation, une nouvelle libération sexuelle

Ce sont avant tout les sexualités féminines et queers qui ont bénéficié des réseaux sociaux. Même si en réalité, les plannings familiaux ont commencé il y a déjà au moins cinq ans à se pencher réellement sur les questions de diversité et de plaisir, notamment à la Fédération Laïque, comme le pointe Sofia Seddouk : « Parler de plaisir et du clitoris, à la Fédération Laïque, ce n’est pas neuf, on le faisait avant déjà. C’est la vague post-MeToo qui a libéré la parole des femmes à ce niveau, c’est devenu plus important dans la sphère sociétale. »

Au final, ces comptes Instagram ont permis un accès plus simple et plus ouvert à la « nouvelle » éducation sexuelle. Les utiliser en complément des sessions habituelles pourrait bien permettre d’avoir une information complète sur les pratiques possibles, les risques encourus et comment prendre son pied, tout simplement. Une question subsiste: est-ce que la génération des 2000 est plus libérée sexuellement grâce à Internet? Est-ce qu’on ose plus facilement en parler ou même faire des blagues dessus? Attendez, il parait qu’ils sont tous sur TikTok…

Ça va. Ça a l’air d’aller.


*prénom modifié par soucis d’anonymat

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