Une part de la culture web consiste à se partager des contenus calqués sur d’autres contenus existants: mèmes, gif, captures d’écran, copiés-collés d’articles ou reprises de morceaux connus. Mais si l’article 13 de la directive européenne sur le droit d’auteur passe le 12 septembre, ces usages pourraient disparaître.
Mardi passé, le pianiste James Rhodes a tweeté ce message contre Sony Music: « Hé Sony Music, apparemment, vous « possédez » 47 secondes de ma performance de Bach. Il est mort il y a 300 ans. Et j’ai fait cet enregistrement dans mon salon. Arrêtez d’être des connards. Vous ne possédez rien! »
Avant de poster ce tweet, Rhodes avait tenté d’uploader sur Facebook une vidéo dans laquelle il interprétait un morceau de Bach, cet auteur-compositeur-musicien allemand mort en 1750. Sa tentative avait échoué car le filtre automatique de Facebook estimait que c’était une infraction aux droits d’auteur. Il semblerait que Sony Music se soit approprié les droits d’une d’une chanson dont le compositeur est mort… il y a 268 ans.
Le problème que Rhodes a rencontré illustre un des problèmes majeurs de l’article 13 de la directive européenne sur le droit d’auteur: le filtrage automatisé des contenus avec des logiciels comme Content ID et Facebook Rights Manager.
Facebook Rights Manager et Article 13
Sur le papier, l’article 13 cherche à protéger les droits de propriété des titulaires d’oeuvres en tous genres: texte, musique, vidéo, photographie… Pour ce faire, l’Union européenne préconise « le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus » sur le web, soit des logiciels qui détectent automatiquement si un share sur les réseaux sociaux respecte les droits d’auteur.
Dans le cas de Rhodes, c’est le logiciel Rights Manager de Facebook qui a automatiquement interprété l’upload comme étant un partage de contenu appartenant à Sony Music. Or, la musique de Bach est tombée dans le domaine public il y a fort longtemps: les droits voisins d’une oeuvre sont de 70 ans, selon la directive de 2011 du Parlement européen. Après ce laps de temps, tout le monde est libre d’en faire une reprise. Mais le filtre de Facebook ne semble pas avoir pris ce détail en compte.
Hey @SonyMusicEnt – apparently you ‘own’ 47 seconds of my performance of Bach. He died 300 years ago. And I made this recording in my living room. Stop being assholes. You own NOTHING! pic.twitter.com/t9IYWf3l70
— James Rhodes (@JRhodesPianist) 4 septembre 2018
Content ID: un frein à l’expansion du savoir
YouTube aussi a son détecteur de contenus appartenant à de tierces entités qui est vu comme un frein à la création: Content ID. Ce logiciel supprime les vidéos qui utilisent des extraits dont le propriétaire de la chaîne n’est pas l’auteur. Ceci survient lorsque le Content ID établit une correspondance entre une vidéo mise en ligne sur YouTube et sa base de données. Pour de nombreux vidéastes faisant de la critique de jeux vidéos, de musique ou de cinéma, l’arrivée de ce détecteur a été synonyme de suppression de vidéos sur leur chaîne.
Mais ça va plus loin. Ces logiciels pourraient être un frein à l’expansion du savoir. Fin août 2018, le professeur de musique allemand Ulrich Kaiser a publié sur Wikimédia ses recherches concernant la censure automatisée de la musique classique. Kaiser a découvert qu’il était presque impossible de publier quoi que ce soit étant lié à des compositeurs tels que Bartok, Schubert, Puccini et Wagner. Tous ces compositeurs sont décédés il y a plus de 70 ans et leurs oeuvres sont donc en théorie affranchies des droits d’auteur.
Pourtant, « YouTube m’a indiqué que je violais les droits d’auteur de ces compositeurs morts depuis longtemps », explique Kaiser. En cherchant la raison de cette suppression automatique, le professeur de musique a découvert que plusieurs entreprises avaient revendiqué l’ensemble des catalogues de ces maîtres de la musique classique.
Ce qui l’amène à dire que Content ID peut être un frein à la propagation gratuite des connaissances sur le web. « Des filtres tels que ContentID peuvent être utiles pour les plates-formes hébergeant de grandes quantités de contenu généré par les utilisateurs, mais, à la lumière de mon histoire, ils présentent des failles importantes pouvant entraîner la diminution des ressources éducatives et culturelles en ligne. »
Date décisive: 12 septembre
La détection automatique sera opérationnelle sur toutes les plateformes si la directive européenne est adopté le 12 septembre 2018, soit mercredi prochain. Pour rappel, l’article 13 est une disposition de la directive sur le droit d’auteur proposée par l’Union européenne qui oblige à surveiller et potentiellement supprimer tout contenu téléchargé sur Internet si une image similaire à un contenu protégé par le droit d’auteur est détectée.
C’est beaucoup de charabia qui, par son aspect complexe, n’intéresse sans doute pas grand monde. Mais dans son application, cette loi pourrait toucher la majorité des utilisateurs européens d’Internet et des réseaux sociaux. Si cette directive passe, tu ne pourras sans doute plus partager des gif tirés d’un match de foot, des extraits de ton émission préférée ou des reprises karaoké de tes chanteurs favoris.
Si tu souhaites te faire entendre, le mieux est de contacter un membre du Parlement européen. Tu peux le faire via le site du Parlement européen ou via plateforme « Save Your Internet ».