Chers harceleurs, l’anonymat sur Internet ne vous protège plus

Une première en Belgique: la condamnation d’un habitué du harcèlement sexiste et raciste vient d’être condamné par le triunal d’Anvers. L’occasion de relancer le débat: l’anonymat, cheval de bataille de la lutte contre le cyberharcèlement ou réduction de la liberté d’expression? Petit tour d’horizon des points centraux de cette discussion et des mesures entreprises. 

C’est une première en Belgique: un habitué du harcèlement sexiste et raciste a été condamné par le tribunal d’Anvers à 10 mois de prison avec sursis et 750 euros d’amende. Fidelio sur les réseaux sociaux, il était tristement connu pour régulièrement insulter la présidente flamande d’Unia, Els Kreytsmann. En la mentionnant, il l’attaquait sur son genre et ses origines.

Niveau racisme, la Belgique avait déjà connu des condamnations. Mais c’est la première fois que le cyberharcèlement sexiste est puni dans la jurisprudence belge. Une bonne nouvelle pour les victimes de cette pratique, une mauvaise pour les harceleurs, qui certifie une phrase encore sujette à débat: l’anonymat ne vous protège plus.

Anonymat et Internet, deux principes inconciliables?

L’anonymat sur Internet, c’est une longue histoire d’amour et de haine. Son pendant positif, c’est la possibilité de vivre sa vie sans craindre pour sa vie privée, tout en protégeant sa liberté d’expression. Le négatif, c’est la tentation du harcèlement, en laissant à penser qu’on reste intouchable sur le web.

Le cas le plus -tristement- célèbre en francophonie demeure celui de Marion Seclin, « championne de France du cyberharcèlement ». Dans son TED Talk contant comment elle avait reçu 40 000 messages de haine et menaces après avoir réalisé une vidéo YouTube sur le harcèlement de rue, elle pointait la fausse dualité de la sphère numérique: « Il n’existe pas de monde virtuel. Tout ce qu’il se passe sur Internet se passe dans la vraie vie. »

Effectivement, une insulte sur Internet a les mêmes répercussions que celles que certains ont pu recevoir dans une cour de récréation, dans la rue ou même sur leur lieu de travail ou durant une réunion de famille: elle demande un travail mental, et prendra le même temps pour être oubliée, surmontée. Sauf que sur Internet, l’effort est moindre. En quelques secondes, on passe de la haine à l’acte en pensant que rien ne pourra nous contrer derrière un écran.

Les harceleurs, des hackers de l’extrême?

Sauf que sur Internet, il y a des traces, et l’anonymat est une fine couche qui se dissout rapidement. Invités des Décodeurs sur La Première en mars dernier, Yves Collard (Médianimation) et Ivan Verstraeten (juristes.be) s’accordaient pour dire que l’anonymat sur Internet, pour tout un chacun, n’existait plus. Malgré des profils différents et des adresses IP modifiées régulièrement, l’identité travaillée, publique, se recoupe facilement avec celle qu’on préférerait garder dissimulée.

Bien sûr, il existe des moyens pour renforcer son anonymat. Loin de nous l’idée de donner un guide aux harceleurs à qui cet article s’adresse, mais les solutions se trouvent en quelques clics: le moteur de recherche Tor, qui peut donner accès au très mysthifié « Dark Web », permet par exemple de protéger son identité. Mais quand on est le seul à l’utiliser dans une zone donnée, on est vite fiché.

Il serait cependant absurde de penser que les cyberharceleurs sont des hackers de l’extrême, prêts à tout pour réussir à insulter sans menaces de procès. Pour reprendre le cas de Marion Seclin, la jeune femme a compté plus de jeunes adolescents sortis tout droit du forum 15-18 de jeuxvideos.com que de hackers surqualifiés dans les auteurs de commentaires sexistes et menaces de viol sur ses réseaux sociaux personnels.

Mais le problème qu’elle a rencontré, lorsqu’il s’est agi de penser à une potentielle plainte, ce n’était pas l’anonymat, mais bien la masse. Contre qui doit-elle démarrer une poursuite, face à ses 40 000 harceleurs? Voilà l’autre ami du cyberharcèlement: le nombre.

Quelles lois pour lutter contre le cyberharcèlement?

En parlant de plainte, on en vient à se demander quelles sont les lois et mesures mises en place pour contrer le cyberharcèlement. En Belgique, une loi de 2007 punit les discriminations liées à l’orientation sexuelle, l’âge, la religion ou au handicap. Sans mention spéciale d’Internet, c’est elle qui a permis à deux reprises de condamner pour harcèlement des utilisateurs de Twitter qui agissaient sous pseudo.

Chez nos voisins français, une telle loi existe mais le gouvernement souhaite s’attaquer spécifiquement au cyberharcèlement et à la lutte contre l’anonymat. Une proposition de faire disparaître l’anonymat au profit de la lutte contre la haine raciale avait fait grand bruit. Pour Emmanuel Netter, maître de conférences en droit, de telles mesures cachent une volonté de contrôle de la part du gouvernement, contradictoire dans son raisonnement même: « En réalité, être incapable d’identifier immédiatement ses interlocuteurs est une situation parfaitement banale, aussi bien en ligne que hors ligne. Les passants croisés dans la rue n’ont pas leur passeport accroché au front. Le caissier du supermarché n’arbore qu’un prénom sur son badge, et il peut être faux », écrivait-il au magazine Les Echos.

En termes de cyberharcèlement, une loi votée dans la nuit du 9 au 10 mai annonce cependant une spécificité du harcèlement en ligne, en particulier ceux qu’on appelle « raids numériques », et qui visent une seule personne, en partant d’un groupe. Ainsi, est considéré aussi comme harcèlement un seul message envoyé, s’il est coordonné avec le reste d’un groupe dont les individus agiraient de la même manière. Comme avec Marion Seclin.

Certains autres pays ont créé des lois visant spécifiquement le cyberharcèlement sur Internet. C’est le cas de l’Allemagne, qui condamnerait jusqu’à 50.000 € d’amendes les éditeurs sur Internet qui ne supprimeraient pas dans les 24 heures les propos racistes ou antisémites, les incitations à la haine, la propagande terroriste, la pédopornographie et les intoxs présents dans leurs commentaires. Une autre approche, qui ne touche pas à l’anonymat.

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