Vers la fin de l’impunité pour l’IPTV?

Ce qui devait arriver arriva. En Europe, le plus gros réseau d’IPTV a été démantelé depuis l’Italie. Il faisait profiter des milliers de chaînes de TV à des millions de personnes en toute illégalité.

1. Qu’est-ce que l’IPTV?

Pour les novices, l’IPTV ou la Télévision IP est à la base quelque chose qui n’est pas illégal. Il s’agit tout simplement de la télévision par Internet, comme tout le monde l’a connait maintenant avec par exemple Proximus TV. Le terme IPTV regroupe aussi la vidéo à la demande (Netflix, Disney+, Amazon Prime, Molotov…) et le jeu à la demande (Steam, Xbox Game Pass, PlayStation Now…). Apparue en 1995, la technologie qui met à l’épreuve ta bande passante est désormais généralisée.

Le souci c’est quand cette technologie tombe entre de mauvaises mains. Depuis quelques années, l’IPTV permet à des milliers, puis des millions d’utilisateurs de bénéficier de milliers de chaînes pour un abonnement dérisoire. C’est rendu possible par le fait que les pirates ne payent aucun droit auxdites chaînes.

Comment font-ils? Les pirates, souvent installés dans les pays de l’Est en ce qui concerne l’Europe, achètent des abonnements et autres bouquets. Tout y passe: le sport, les séries, les films, en plus des chaînes plus traditionnelles. Ils diffusent ensuite ces abonnements au plus grand nombre sous forme de livestream ou de fichier à installer.

2. Comment ça fonctionne?

Cette télévision illégale a grandi avec l’apparition des SmartTV. Il y a en fait plusieurs méthodes pour bénéficier de l’IPTV. Ça peut prendre la forme d’une simple application à télécharger sur ta TV. Tu dois relier cette application à un lien ou un fichier qui comporte les milliers de chaînes ainsi que les films et séries à la demande.

Pour cela, tu dois te rendre sur les nombreux sites – de la pure arnaque aux plus complets – qui te proposent un abonnement. Son prix varie selon le nombre de chaines, la qualité de la diffusion ou encore de par son catalogue. Ça va généralement de 4 à 12 euros par mois. Imbattable.

Le gain pour les utilisateurs est énorme. S’il veut par exemple profiter de tous les matchs de foot le week-end, il aurait dû débourser près de 100 euros par mois voire plus. La concurrence est forte entre les Voo Sport, RMC Sport, Canal+ Sport et autres beIn Sport. Le client doit souvent faire un choix et donc renoncer à l’un ou l’autre championnat. Avec l’IPTV, tout est compris.

Une autre méthode est d’utiliser un boîtier du type Android TV. Il s’agit ni plus ni moins d’un mini-ordinateur, fonctionnant sous Android, sur lequel tu peux là aussi installer une application IPTV. Pratique pour tous ceux qui n’auraient pas de SmartTV et pas cher. Parfois, les pirates te prémâchent le travail. Tu peux par exemple te rendre sur des sites où ton boîtier sera fourni avec ton abonnement. Il ne te restera alors qu’à brancher ton boîtier au réseau WiFi et à ta télévision par une simple prise HDMI.

3. Le début de la fin?

Si on te parle aujourd’hui de l’IPTV, c’est parce qu’un immense réseau a été démantelé depuis l’Italie. Mais il allait bien au-delà car cinq autres pays sont directement concernés: la France, la Grèce, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Bulgarie.

Pour te donner une idée de l’ampleur qu’a pris le phénomène IPTV, rien qu’en Italie, on trouverait plus de 5 millions d’utilisateurs. En Belgique, c’est plus anecdotique. En 2018, on était en dessous des 5% d’utilisateurs en moyenne, mais cela prend chaque année un peu plus d’ampleur.

Ce mercredi, les polices des différents pays concernés ont arrêté au moins 23 suspects. Elles visent la plateforme illégale Xstream Codes, qui aurait causé la perte de 6,5 millions d’euros pour le marché légal. Il s’agit ni plus ni moins de la première source de piratage IPTV en Europe, un très gros coup donc.

Contre 12 euros, elle permettait aux utilisateurs d’accéder aux contenus de Sky, Mediaset, Netflix et Infinity. Plus de 800 sites et 183 serveurs ont été également visés. Les responsables risquent maintenant de six mois à trois ans de prison.

Au-delà de ce coup de filet, il semble que les autorités commencent à mesurer l’ampleur du phénomène. En mars dernier déjà, cinq personnes ont été arrêtées en Espagne, au Danemark ou encore en Grande-Bretagne. Le trafic illégal avait débuté en 2013, les responsables auraient amassé entre-temps environ 8 millions d’euros.

En 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne a signé un arrêt dans lequel elle indiquait que la vente de boîtiers était considérée comme une atteinte aux droits d’auteur. Elle estimait également que le visionnage de ces contenus pouvait être retenu comme de la contrefaçon. En d’autres termes, le pirate comme l’utilisateur peuvent être poursuivis.

4. Que risques-tu?

L’utilisateur, de par le prix dérisoire de son abonnement, utilise l’IPTV en connaissances de cause. Il est supposé savoir que cette pratique est illégale. Mais dans les faits, c’est plus compliqué que ça. D’abord car il s’agirait d’un travail fastidieux pour la justice de s’attaquer aux consommateurs. On parle de millions de personnes. C’est infaisable dans la pratique.

Aussi, le problème pour eux, c’est qu’il n’est pas évident de te détecter. On n’est pas dans un piratage peer to peer par exemple qui permet d’identifier les fautifs grâce à leur adresse IP. Ici, les moyens techniques qui permettraient d’identifier les consommateurs sont trop intrusifs.

Le mieux, comme on l’a constaté avec le coup de filet d’hier, est de s’attaquer à la source. Ce qui prive de facto des millions d’utilisateurs de contenus.

Du coup, des organisations comme Europol ou Eurojust tentent de démanteler des systèmes mafieux, ce qui prend bien sûr beaucoup de temps. Mais les installations techniques que les pirates utilisent pour diffuser les contenus sont plus facilement repérables par les autorités. Te concernant, on pourrait imaginer que les autorités récupèrent un fichier d’abonnés, mais dans la pratique, peu d’utilisateurs sont inquiétés.

Enfin, une autre solution pour les autorités est de parvenir à bloquer les sites de livestream – ce sont eux qui permettent la diffusion des contenus au plus grand nombre – tout comme les sites de vente en ligne qui proposeraient les boîtiers et abonnements incriminés. Mais les autorités devront faire face au même souci qu’avec le streaming illégal: quand ils en chassent un par la porte un autre revient par la fenêtre.

5. La Belgique affectée?

Nous avons pris contact avec plusieurs consommateurs d’IPTV en Belgique, et il semble que l’opération d’hier n’ait pas affecté leur abonnement La Belgique n’est en effet pas directement concernée par la vaste opération.

En fait, chez nous, le phénomène n’est pas encore vraiment pris au sérieux. Mais on peut supposer que s’il prenait de l’ampleur, on pourrait avoir une action coordonnée des différentes chaînes de TV. En 2017, la RTBF avait par exemple déposé une plainte au CSA contre une plateforme basée en Lituanie qui comprenait La Une, La Deux et La Trois. Mais isolée, la RTBF n’a pas vu sa plainte aboutir, faute d’une collaboration judiciaire. La seule solution est une action conjointe comme on a pu le constater cette semaine en Italie et dans cinq autres pays d’Europe.

Comme des millions d’euros sont en jeu et que l’IPTV est utilisée de manière croissante, on peut lui promettre des jours difficiles. Mais comme pour le streaming illégal, il y aura toujours quelqu’un pour prendre le relais.

Les autorités doivent donc aussi jouer la carte de la sensibilisation et de la prévention. Il n’est en effet pas rare que ces applications en profitent pour te piquer tes données.

D’un autre côté, si cela peut mettre un coup de pied dans la fourmilière TV, ce ne serait sans doute pas une mauvaise chose. Est-il normal de dépenser plus de 100 euros par mois pour accéder à des matches de foot de différents championnats, c’est une question qui peut être posée. Les chaînes TV font en tout cas face à une concurrence – certes déloyale – mais qui pourrait les amener à proposer des prix plus compétitifs.

Après tout, n’a-t-on pas annoncé la fin de l’industrie musicale et du divertissement avant l’arrivée des Netflix et autres Spotify ?

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