Ces millions d’euros que dépensent les multinationales à Bruxelles pour influencer les institutions européennes

Bruxelles est un nid à lobbys. Environ 25.000 personnes travaillent dans ce secteur. Leur job: faire pression sur les institutions européennes pour défendre les intérêts de grosses compagnies. Ce trafic d’influence se chiffre en dizaines et dizaines de millions d’euros. Corporate Europe Observatory (CEO) a publié un rapport détaillé sur toutes ces entreprises et c’est impressionnant.

Uber, Engie, Microsoft, Google… chaque année, ces entreprises dépensent des millions d’euros pour faire pression sur les différentes institutions de l’Union européenne basées à Bruxelles. Leur but? Faire que cette méga-structure politique fasse des choix qui leur soient favorables sur le plan économique, politique et législatif. En 2014, ces multinationales auraient dépensé plus de 120 millions d’euros réunies juste en lobbying, explique CEO.

Corporate Europe Observatory (CEO) se présente comme « un groupe de recherche et de campagne travaillant pour exposer et contester l’accès privilégié et l’influence dont bénéficient les entreprises et leurs groupes de pression dans l’élaboration des politiques de l’UE ». Leur dernier rapport (Lobby Planet) expose en détail le fonctionnement, la localisation et les dépenses des plus gros lobbys.

Comme Bruxelles compte environ 25.000 lobbyistes, des centaines d’entreprises privées et des centaines de groupes de pression travaillant pour ces dernières, nous n’avons retenu ici de ce rapport qu’une vingtaine de boîtes, soit pour la taille impressionnante de leurs investissements, soit pour leur nom connu internationalement. Pour rappel, 25.000 lobbyistes, ça représente plus de 2% de la population de la Région bruxelloise.

Les 10 plus gros dépensiers (par an)

  1. European Chemical Industry Council (Cefic): 12 millions d’euros
  2. EUROCHAMBRES (Association of European Chambers of Commerce and Industry): 7,6 millions d’euros
  3. Fleishman-Hillard: entre 6,7 et 7 millions d’euros
  4. Insurance Europe: entre 6,7 et 7 millions d’euros
  5. FTI Consulting Belgium: entre 6 et 6,2 millions d’euros
  6. General Electric Company: entre 5,5 et 5,7 millions d’euros
  7. European Federation of Pharmaceutical Industries and Associations: 5,5 millions d’euros
  8. Interel European Affairs: entre 4,7 et 4,9 millions d’euros
  9. EUROCITIES: entre 4,7 et 4,9 millions d’euros
  10. Association for Financial Markets in Europe: entre 4,5 et 4,7 millions d’euros

Ces groupes de pression représentent les intérêts de milliers de plus ou moins grosses compagnies. Certains se présentent clairement comme les représentants de ces sociétés, comme la Cefic qui défend les intérêts de 29.000 entreprises œuvrant dans l’industrie des produits chimiques. D’autres sont plus nébuleux, comme Fleishman-Hillard qui se présente comme une boîte de communication et n’indique pas au nom de quelle multinationale il communique.

Les 10 plus gros noms et leurs dépenses en lobbying

  1. ExxonMobil: entre 4,5 et 4,7 millions d’euros
  2. Google : entre 4,25 et 4,5 millions d’euros
  3. Microsoft Corporation: entre 4,25 et 4,5 millions d’euros
  4. Engie (ancien GDF Suez): entre 2 et 2.25 millions d’euros
  5. ArcelorMittal: entre 1,5 et 1,75 million d’euros
  6. GlaxoSmithKline: entre 1,5 et 1,75 million d’euros
  7. Facebook: entre 1 et 1,25 million d’euros
  8. Apple: entre 1 et 1,25 million d’euros
  9. BNP Paribas: entre 900,000 et 1 million d’euros
  10. Uber: entre 700.000 et 800.000 euros

Ces noms apparaissent régulièrement dans la presse à cause de scandales financiers ou environnementaux. ExxonMobil est une compagnie pétrolière responsable de gros dégâts environnementaux connue pour ses idées climato-sceptiques. Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) sont régulièrement mis à l’amende pour ne pas avoir payé leurs taxes.

Engie possède (entre autres) la centrale nucléaire de Tihange dont de nombreux politiciens ont déjà demandé la fermeture pour le danger qu’elle représente. GlaxoSmithKline aurait graissé la patte de politiciens pour discréditer la cigarette électronique. ArcelorMittal a renvoyé 1.300 employés en 2013. Et Uber s’est attiré la haine des chauffeurs de taxi à Bruxelles avec sa philosophie disruptive.

Comment ça fonctionne?

Le lobbying est un énorme travail de communication qui vise à faire plier les convictions des employés de l’Union européenne. Les entreprises ne contactent pas directement les hommes politiques qui travaillent au Parlement européen, au Conseil de l’Europe et à la Commission européenne. Elles envoient les lobbys le faire en leur nom.

G+, par exemple, compte parmi ses clients la société gazière russe Gazprom, Vladimir Poutine, le gouvernement russe et le gouvernement turc. Mais les intérêts de Gazprom sont également représentés par Hill & Knowlton (H&K).

Les groupes de pression publient des rapports qui finissent dans les mallettes des hommes politiques. Ces rapports vont souvent contredire des rapports publiés par des institutions scientifiques ou des organismes publics. Un exemple avancé par CEO: en 2015, les lobbys représentant les intérêts des industries chimiques comme BASF ou Bayer ont réussi à discréditer le travail d’organisations indépendantes sur la question des perturbateurs endocriniens, ces substances suspectées d’être à l’origine de nombreuses maladies en Europe. Comment? Avec un rapport pseudo-scientifique émanant des industries chimiques.

Les lobbys organisent également de grandes conférences durant lesquelles ils vont exposer les bienfaits de travailler avec telles ou telles boîtes. Ils vont organiser des soirées mondaines dans des bâtiments luxueux, soirées durant lesquelles de nombreuses informations peuvent circuler. Il ont aussi recours à l’astroturfing, soit le recours à des centaines de faux comptes sur les réseaux sociaux afin de faire croire à l’émergence d’un vrai mouvement citoyen en faveur d’une décision. Bref, tous les moyens sont bons pour faire craquer le politicien.

Et les ONG?

Les organismes publics ou oeuvrant pour l’intérêt public ont également recours au lobbying. Mais leurs moyens de pressions sont beaucoup plus limités, notamment à cause de leurs financements plus maigres. CEO indique que les entreprises privées dépensent 30 fois plus que les ONG, les syndicats et les think-tanks indépendants (groupes de réflexion).

En plus de cela, les lobbyistes qui défendent les multinationales sont plus nombreux à avoir accès aux institutions européennes que les lobbyistes de la société civile. « Les entreprises et leurs groupes de pression ont 60% de plus de lobbyistes avec des passes d’accès au Parlement européen que la société civile », écrit CEO. Ils sont 3.000 pour le privé contre 1.600 pour le public. Du coup, la lutte est clairement inégale.

Mais les ONG et consorts ont un avantage que les autres n’ont pas: ils ont les masses avec eux. Eux seuls parviennent à mobiliser des centaines de personnes pour manifester dans les rues du quartier européen et bloquer entièrement le trafic sur la rue de la Loi et devant le Berlaymont. Le jour où GlaxoSmithKline parviendra à mobiliser des activistes pour manifester devant les institutions européennes n’est pas encore arrivé. Mais qui sait, un jour peut-être…

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