Tempête sur le foot belge: quel est vraiment le rôle des agents et qui sont-ils?

Hommes de l’ombre, les agents de football sont accusés d’influencer notre football, pire, de le contrôler. Mais qui sont les principaux agents en Belgique? Quelles sont leurs pratiques? Charlatans ou éléments indispensables?

Un agent de joueur, c’est comme un imprésario. C’est à lui de décrocher le meilleur contrat possible, en fonction de la qualité du joueur dont il dispose. Le prix du joueur dépend du marché. Mais c’est aussi l’occasion de réaliser une belle opération financière, tant pour le joueur que pour l’agent.

Dérégulation

En 2015, la FIFA a décidé de déréguler le marché. Chaque agent doit se déclarer comme tel auprès de chaque fédération nationale. Rien de plus. Il n’est par exemple plus nécessaire de réussir un examen ou de prouver la virginité de son casier judiciaire.

Pour la FIFA, cette dérégulation est surtout un moyen de mettre un terme à une grande hypocrisie: dans 70% des cas, les « licenciés » n’étaient pas les véritables intermédiaires dans la négociation des contrats. La famille et les amis des joueurs ont également un énorme rôle dans les transactions. A chaque fédération nationale d’établir ses règles, mais la FIFA ne joue plus son rôle de surveillance.

En Belgique

Ça plante le décor. En Belgique justement, une simple visite sur le site de l’Union belge permet de voir quels critères sont requis pour bénéficier du statut d’intermédiaire: « Une personne physique ou morale qui veut acter comme intermédiaire en Belgique est obligée de s’enregistrer au sein de l’URBSFA. Ledit enregistrement est valable pour une durée indéterminée. »

Ensuite, l’agent est invité à joindre une déclaration dans laquelle il se conforme à certaines règles: l’agent ne doit pas occuper de fonction officielle au sein du football, il ne peut avoir commis « un crime ou un délit à caractère financier ou violent et/ou des pratiques de trucages de matches ». L’intermédiaire est ensuite invité à glisser un extrait de son casier judiciaire. On peut citer aussi le fait que l’agent ne peut participer directement ou indirectement à des paris, jeux d’argent et loteries en lien avec le foot.

Il est mentionné que l’intermédiaire ne peut « accepter de paiement devant être effectué par un club en faveur d’un autre club dans le cadre d’un transfert. Telle qu’une indemnité de transfert, une indemnité de formation ou des contributions de solidarités ».

Mais comment gagnent-ils leur croûte alors? Il s’agit d’un pourcentage par rapport au contrat brut du joueur. De manière générale, c’est de l’ordre de 5 à 10% du salaire annuel du joueur. Ensuite, il y a un pourcentage sur le montant du transfert. La moyenne tourne autour des 7%. Pour un transfert d’un million d’euros avec un salaire de 100.000 euros par an, l’agent de joueurs pourrait gagner jusqu’à 80.000 euros brut.

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Hors-sol

On est bien loin de cette réalité dans les chiffres exposés hier suite à l’enquête menée par le parquet fédéral. Thomas Bricmont, journaliste au Sport-Foot magazine, enquête depuis plusieurs mois sur le côté obscur du métier d’agent de joueurs. Pour lui, le transfert le plus frappant en termes de commission est le transfert de Landry Dimata, qui est passé d’Ostende au club allemand de Wolfsburg pour 11 millions d’euros. Sur ces 11 millions d’euros, 6 millions de commissions. Soit plus de 50% du montant du transfert.

Son agent? StarFactory, structure que dirige Didier Frenay, agent bien connu dans notre Royaume. Dans son portefeuille, des joueurs comme Simon Mignolet, Pieter Gerkens, Siebe Schrijvers ou encore Thomas Didillon.

Thomas Bricmont évoque aussi le transfert de Youri Tielemans pour Monaco, « un cas d’école ». La commission pour le transfert de Youri Tielemans aurait atteint 5,2 millions d’euros, soit près de 20% de la valeur du transfert qui était aux alentours des 25 millions.

Commission et rétrocommissions

Ces commissions sont au cœur de l’enquête du parquet fédéral. Personne ne s’étonne que d’éventuelles enveloppes aient été versées à gauche à droite, le problème est plus profond. Et c’est l’éthique même du foot qui est touchée.

En effet, certains agents s’arrangent avec certains directeurs sportifs. Ce sont eux qui sont en charge du mercato au sein des clubs. Il est étonnant de voir que certains de ces agents fonctionnent toujours avec les mêmes clubs et que d’autres s’en voient priver l’accès. À montant égal et à qualité égale, un joueur se voit parfois refuser l’entrée dans un club, car il ne travaille pas avec le bon agent.

C’est là que les montants précités prennent leur sens. On ne peut imaginer que les agents touchent de telles sommes uniquement pour leurs beaux yeux. C’est qu’il doit y avoir un arrangement. « J’ai vu des SMS échangés entre directeurs sportifs et agents où ils se mettaient d’accord pour partager la commission à 50-50. Évidemment, pour le directeur sportif, c’est très intéressant », poursuit Thomas Bricmont pour la RTBF. Il faut aussi rétribuer les autres intermédiaires. Souvent la famille et les amis. Chacun prend sa part, c’est ce qu’on appelle les rétrocommissions.

Certains décideurs de clubs, privés de joueurs, car pas dans le système, veulent que ces pratiques changent. Mais une chose est sûre, tous connaissent ces pratiques dans le milieu et tous s’en accommodent, tant que ça les arrange. Une constante: « ce sont finalement les agents qui décident ».

Qui sont-ils?

Sur le plan international comme au niveau belge, les agents sont devenus tout puissants. Plus aucune transaction ne se réalise sans eux. Comme pour Starfactory, ils se regroupent au sein de structures. On peut citer Creative & Management Group, Cherry Sports, VN Consulting en Management, Agence 442 ou encore Eleven Management, International Sports Management, J&S Sports.

Les noms les plus connus? Mogi Bayat, bien sûr, arrêté hier soir par la justice et entendu ce jeudi matin. Mais aussi Jacques Lichtenstein, Walter Mortelmans, Patrick De Koster, Guy et Kristof Vandersmissen, Nico Vaesen et Thomas Buanec. Sans oublier Dejan Veljkovic, qui semble au cœur du scandale et qui est également accusé d’avoir voulu influencer le résultat de certains matches pour assurer le maintien de Malines en D1A.

Parmi eux, le nom de Mogi Bayat a retenu l’attention médiatique. Car il est l’agent le plus puissant sur le marché belge. Durant le dernier mercato cet été, sur les 193 transferts, il en a réalisé 24. Sa langue bien pendue aura fait le reste. C’est un fonceur, il marche au culot. Il a du talent aussi, faisant parfois le boulot des dirigeants de clubs. Il tente de recaser les excédentaires au sein d’un noyau dans un autre club. Il opère parfois des tournantes dans sa propre écurie de joueurs. Petit à petit, il se rend indispensable auprès des plus grands clubs du royaume. Même au Standard, qui ne voulait pas négocier avec lui, c’est lui qui a arrangé la venue de Michel Preud’homme. L’homme est fourbe: d’après Sudpresse, il a laissé tomber sa commission sur ce coup-là. Sans doute pour avoir un moyen de faire pression un jour ou l’autre pour un contrat futur.

Sur base des montants de la saison 2015/2016, tous agents confondus, ils ont empoché la somme de 22,4 millions d’euros sur plus ou moins 200 millions de transferts entrants et sortants. Mais, on l’a vu, cette somme n’est pas également répartie entre les agents.

Au-delà des montants, leurs pratiques s’apparentent, parfois, à de véritables magouilles selon La Libre: achat de montres de luxe, recruteurs payés pour effectuer un mauvais rapport sur un joueur, coups de bluff, menaces… la liste en longue.

Et ensuite?

Que va-t-il ressortir de cette nouvelle affaire qui touche le football belge? Pas grand-chose quand on repense au séisme qu’avait créé l’affaire Zheyun Yé. Quelques entraîneurs suspendus et un ou deux clubs sanctionnés, tout au plus. Aucun changement structurel.

Car le problème est le même partout, en politique comme dans le foot: si tout le monde a toujours fait comme ça, et que ça arrange les principaux concernés, pourquoi changer? Rappelons néanmoins qu’un agent n’est pas égal à un mafieux. Leur rôle reste important. Car le métier d’un footeux n’est pas de jongler avec l’argent, ni de bétonner un contrat.

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