On revient sur la polémique qui a agité la France, le monde du sport et les réseaux sociaux avec Patrick Charlier, directeur d’UNIA.
S’il y a bien une chose qu’on doit retenir de la polémique autour de Lilian Thuram, c’est qu’on connait très mal le racisme. Face aux débats, on a vu se dérouler de longues discussions dont les bases ne semblaient pas définies, de la définition du racisme aux enjeux majeurs des propos de Lilian Thuram. Pour y voir plus clair, on est allés discuter avec Patrick Charlier, directeur d’UNIA (institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination et défend l’égalité des chances en Belgique).
On n’a pas la bonne définition du racisme
On peut dénommer trois types de racisme d’après Patrick Charlier. Le racisme dit « juridique », qui prend ses sources dans la loi: « des comportements, des attitudes qu’on va qualifier de ‘racistes’ et qui sont sanctionnés par la loi, comme la discrimination raciale », précise-t-il. « Sur un plan strictement légal, les critères sont l’origine nationale ou ethnique, l’ascendance, la couleur de la peau et ce sont des critères qui sont neutres. » En d’autres termes: d’après la loi, tout le monde peut subir du racisme.
Mais quand on parle racisme, dans l’univers commun qu’on a, on pense rarement au cadre juridique. Comme le pointait Patrick Charlier en début d’interview, « on met beaucoup de choses différentes dans le terme racisme. »
Il y a aussi les statistiques, qui montrent que le racisme va « au-delà de la stricte définition légale »: « il peut arriver qu’il y ait des comportements racistes à l’égard de personnes blanches mais ça reste des exceptions parmi les exceptions. (…) La probabilité d’être victime de racisme est beaucoup plus grande si on fait partie d’une minorité ».
Enfin, et on en vient au gros du sujet, celui que Lilian Thuram a tenté d’aborder dans son interview donnée à un média italien: le racisme structurel: « On parle des discriminations raciales structurelles. Ce sont tous les mécanismes conscients mais souvent inconscients où notre société est organisée de manière telle que les inégalités ont tendance à se perpétuer en matière d’enseignement, de justice, d’emploi, de logement. » Un racisme qui ne touche pas tout le monde: « Ce sont les minorités qui en sont victimes. Au sein des minorités, il y a encore ce qu’on appelle des discriminations intersectionnelles, souvent par exemple les femmes d’origine étrangère. Les femmes noires, les femmes maghrébines sont encore plus mal loties que les hommes. Il y a comme ça un cumul de discriminations. »
On doit se défaire de la notion de « racisme anti-blanc »
« L’utilisation du terme « racisme anti-blanc » est trompeur, car il laisse entendre que c’est une forme de racisme qui est équivalente au racisme à l’égard des personnes d’origine étrangère, ce qui est très loin d’être le cas sur un plan sociologique et structurel. Il tend à relativiser les problèmes de racisme auxquels sont confrontées les personnes issues des minorités. » Un terme qui, comme on en parlait hier, détourne le débat.
« Lilian Thuram a fait appel à une réalité. Il existe une certaine normativité inconsciente, dont on ne se rend compte que quand on ne fait pas partie de la ‘norme' ». En d’autres termes, en tant que personne blanche, dans la norme, on a effectivement du mal à concevoir qu’il existe une supériorité inconsciente, comme en parlait Lilian Thuram.
Cette supériorité, elle est liée à une certaine « norme » qu’on a dans les sociétés occidentales: « Je vais prendre une caricature: notre société est normée sur un homme, blanc, entre 30 et 50 ans, hétérosexuel et de culture judéo-chrétienne. On le perçoit comme étant une moyenne, ce qui est faux factuellement. Nos conceptions d’organisation de la société se fondent sur cette espèce de norme, et effectivement, à travers cette « perfection », il y a une normalité inconsciente, une supériorité vis à vis de tous ceux qui n’y correspondent pas. »
Il existe aussi, comme le pointe Patrick Charlier, des variables liées aux rapports de classe: en étant dans une « situation socioéconomique défavorable », on aura plus de mal à rentrer dans la norme. Mais même en étant dans une situation socioéconomique très favorable, Romelo Lukaku a reçu des cris de singe dans des stades italiens. « Globalement, ça croise aussi le statut socioéconomique des personnes. »
« Il faut être à l’écoute de ce que nous disent les personnes qui sont le plus victimes de racisme. »
« Ce que Lilian Thuram met en avant, c’est effectivement une réalité dont la majorité n’a pas conscience ou ne veut pas avoir conscience ». Le secret pour accepter cette réalité? Ecouter les personnes concernées: « Il faut être à l’écoute de ce que nous disent les personnes qui sont le plus victimes de racisme, de discrimination raciale, d’exclusion, parce que c’est une réalité à laquelle ils sont confrontés, sans tomber dans une forme de culpabilité si on n’est pas soi-même issu.e d’une minorité », assène Patrick Charlier.
Un véritable travail, qui passe à tous les niveaux de la société et qui passe par une remise en question. Y compris les médias. Une différence pointée cependant: en France, les médias ne traitent pas ce genre de thématiques de la même manière qu’en Belgique: « En Belgique, on a connu des politiques de fêtes carnavalesques, avec des réactions très vives d’un côté comme de l’autre. La France a une tradition plus « polémique », aime le débat alors que chez nous on est plus orientés vers le consensus. »
Le débat en dépis de la parole des concerné.e.s? Il semble que les plateaux télévisés français ont fait leur choix ces derniers jours.