Comment « Africa » de Toto est devenu le morceau préféré d’Internet?

Mèmes éclairés, tweetbot dédiés, remix animés, déclarations d’amour à tout va… depuis quelques temps, le morceau « Africa »  s’installe dans les recoins les plus doux d’Internet. Mais comment ce morceau de rock candide des années 80 est devenu l’hymne d’un web tendre et joyeux?

Si Internet est souvent le théâtre de luttes idéologiques interminables, il est parfois aussi le nid de révélations lyriques et de créations brillantes autour d’un thème. C’est le cas de l’amour pour « Africa », ce morceau produit par Toto en 1982 et souvent vu comme un cri du coeur un peu niais d’une bande de blancs drôlement inspirés.

« Africa » est devenu à la fois un mème, un thème de parodie, une musique à cover, un texte découpé couplet par couplet par les bots de Twitter et un hymne à la joie. Le site Motherboard la décrit comme « la musique préférée d’Internet » et le New York Post comme « l’hymne des millenials ». Pour la radio pointue NPR, Africa est le « coeur d’Internet ». Et pour le magazine Esquire, cette chanson est simplement « intemporelle ».

Africa est partout sur Internet

Comment en sommes-nous arrivés là? Revenons sur son omniprésence sur Internet. Il y a d’abord ce site formé par la « punchline » du morceau, la phrase iconique d’Africa: ibless.therains.downin.africa. À cette adresse, il n’y a que le clip d’Africa qui tourne en boucle. C’est l’une de ces adresses du web qui se veut le point final de l’amour pour l’envolée lyrique de Toto. Son url est formée du passage le plus intense de la chanson, le passage qui se dérive en T-Shirt et en mug: « I bless the rains down in Africa », soit « je bénis les pluies d’Afrique ».

Il y a aussi ce twitbot « africa by toto bot » qui découpe les paroles de la chanson pour offrir au web sa ration quotidienne de Toto, break, chorus et solos compris. Ce compte automatique est en partie responsable de ces tweets (voir ci-dessous) ou encore ceux-ci affirmant que le morceau « Africa » est cet astre musical qui illumine de sa toute puissance le quotidien des mortels et domine le monde de la musique.

Les meilleures chansons de tous les temps

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1. Africa – TOTO

« Africa » est le mème du bonheur

Considéré comme le morceau qui fait oublier la tristesse, « Africa » est devenu une sorte de symbole du bonheur pour une génération ironique qui adore faire des blagues sur la mort. Internet en 2018 est souvent très cynique et second degré mais avec Toto, c’est différent. Le morceau est devenu la pilule magique qui empêche les jeunes d’être submergés de pensées suicidaires. Ce n’est pas nous qui le disons mais ces dizaines de mèmes compilés par College Humor.

D’ailleurs, existe-t-il quelque chose de meilleur qu’Africa joué par… un poulet en plastique?

La révélation du parolier

Pourtant, le succès de ce morceau était loin d’être acquis à son origine. La légende raconte qu’en 1981, le chanteur et parolier du groupe David Paich a eu une révélation devant un clip d’Unicef présentant une Afrique appauvrie et ravagée par les guerres. Paich, bouleversé par les images d’enfants et de familles détruites, a directement voulu produire un hymne puissant.

La chaîne The HollyHobs raconte que le chanteur s’est élancé vers son clavier Yamaha et les mélodies sont apparues toutes seules. Les paroles ont suivi: une vision de l’Afrique un peu abstraite teintée d’une nostalgie de missionnaire et auréolée du mysticisme de la charité. Spirituellement inspiré, Paich y a vu une aide venue d’ailleurs, une aide de Dieu. « Je suis un parolier talentueux mais je ne suis pas aussi talentueux que ça », a-t-il expliqué au Guardian en janvier.

Il a alors présenté sa création inspirée au reste du groupe. « Dave, mec, Afrique? On vient du nord d’Hollywood. De quoi tu parles? « Je bénis les pluies en Afrique? » Tu te prends pour Jésus, Dave? » s’est emporté le guitariste Steve ‘Luke’ Lukather. Pour lui, cette chanson était simplement ridicule. Il a même fait la promesse de courir nu sur Hollywood Boulevard si cette chanson devenait un hit. 6 récompenses, des centaines de cover et 340 millions de vues sur YouTube plus tard, il n’a toujours pas tenu sa promesse…

Brillante composition

Plusieurs musicologues expliquent les raisons de son succès par la composition du morceau. « Ce que nous entendons dans Africa, ce sont des musiciens virtuoses qui jouent très bien des choses simples », explique Joe Bennett au Telegraph.

La chaîne 12Tone ajoute que le rythme syncopé et l’accord d’emprunt utilisés dans le refrain y sont pour beaucoup. La pause ajoutée à la fin de chaque couplet crée une sorte de suspense qui donne envie d’écouter la suite. Comme un cliffhanger musical, « Africa » superpose doucement les différentes couches instrumentales pour arriver au refrain où tout éclate.

Quand la batterie finit son break, toute la chanson semble s’être retenue pour ne dire qu’une chose: « It’s gonna take a lot to drag me away from here » (« Il va en falloir beaucoup pour me sortir d’ici »). Et d’enchaîner sur « There’s nothing that a hundred men or more could ever do » (« Il n’y a rien que cent hommes ou plus ne puissent faire ») pour arriver à cette phrase si chérie par Internet: « I bless the rains down in Africa » (« Je bénis les pluies d’Afrique »). Ce refrain a valu au morceau d’arriver en Top 1 des singles les plus écoutés de 1982 dans de nombreux pays.

De Stranger Things à Jimmy Kimmel

Pourtant, le groupe n’avait jamais posé un pied en Afrique. Le mal sera pardonné vers la fin des années 90: Toto jouera à Cape Town et à Johannesbourg, en Afrique du Sud. Le chanteur raconte qu’on lui a demandé s’il avait déjà posé les pieds en Afrique et qu’après sa réponse négative, ses interlocuteurs s’étaient demandés comment il avait pu décrire aussi bien le continent.

Quoi qu’il en soit, cette passion a continué de se propager. Le morceau a été repris dans de nombreuses séries, comme South Park, Family Guy ou Community. Mais dernièrement, c’est son passage dans la série de Netflix Stranger Things qui lui a redonné une fraîcheur inattendue.

Dans le premier épisode de la saison 1, Steve et Nancy s’enroule goulûment sur cette mélodie exaltée. Certains y ont vu quelque chose de blasphématoire, le morceau n’ayant aucune connotation sexuelle, mais d’autres ont ressenti un émoi très profond devant cette scène. Ce serait le cas de Mary, une ado de 14 ans qui partagent sur YouTube des vidéos d’elle grattouillant des reprises.

Mary aurait tellement aimé cette scène et sa BO qu’elle a estimé que le groupe Weezer devait en faire une reprise. Elle a créé un compte Twitter uniquement dédié à convaincre Weezer de le faire. « weezer cover africa by toto » a aujourd’hui presque 5.000 followers et a réussi son job: le groupe de pop-rock a repris le morceau. L’histoire a trouvé écho chez le présentateur Jimmy Kimmel et le groupe a fini par rejouer Africa sur le plateau même de Kimmel. Ah oui, les acteurs Kristen Bell et Dax Shepard ont aussi fait leur propre version.

« Africa » en route vers l’infini

Depuis, Mary est aux anges. Son compte a été suivi par les membres de Toto en personnes et il poursuit sa propagation de flux anti-suicides sur les routes du haut-débit. Quel rôle ce compte créé en 2017 a joué dans l’explosion d’amour qu’Internet voue à cette chanson? Certainement beaucoup.

Quelques voix se sont étonnées que la chanson soit unanimement appréciée alors qu’elle pourrait être qualifiée de vision néo-colonialiste. Après tout, Toto décrit une Afrique idéalisée par le spectre du missionariat, une Afrique comme un seul pays où l’on bénit la pluie et où résonnent les tam-tams.

Mais « Africa » parvient à éviter les écueils liés à l’appropriation culturelle grâce à une écriture absolument premier degré et totalement dénuée de mauvaises intentions. Son côté un peu niais et abstrait la place dans le rêve d’un homme charitable qui espère voir des milliers de gens chanter « les pluies d’Afrique ». Et à voir les t-shirts et les mugs flanqués de ses paroles qui essaiment sur le net, on peut dire que son rêve s’est en quelque sorte concrétisé. Bénies soient les pluies d’Afrique!

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