Une frappe américaine est-elle possible en cas de nouvel essai nucléaire en Corée du Nord?

Donald Trump pourrait-il frapper la Corée du Nord? C’est « presque impossible » si on en croit Antoine Bondaz, enseignant à Sciences Po à Paris et expert de la Corée du Nord. Pour l’heure, il s’agit surtout d’un jeu de communication entre les différents intervenants. Mais la question reste entière alors que Pyongyang a annoncé un événement majeur pour demain, le jour de sa fête nationale.

Devant le soudain engagement des États-Unis sur le plan international, une question simple nous a traversé l’esprit: Donald Trump va-t-il s’attaquer maintenant au régime de Pyongyang? Est-ce que l’envoie de missiles ou d’une bombe pourrait se produire dans les prochains jours en Corée du Nord?

Pour Antoine Bondaz, professeur à Science Po et membre de la Fondation pour la recherche stratégique, dont les travaux se concentrent sur la Chine et les deux Corée, il faut d’abord se poser la question de l’objectif désiré: « Si l’objectif des frappes est de neutraliser les capacités nucléaires et balistiques de la Corée du Nord, les chances de réussite sont très faibles, et en plus, on ne connait pas forcément toutes les installations du régime », nous explique-t-il. Par ailleurs, même si les États-Unis y arrivaient, il resterait à la Corée du Nord « ses capacités conventionnelles et chimiques ».

Un million de morts

Or, le grand danger d’une attaque contre la Corée du Nord, ce serait une guerre ouverte et immédiate dans et autour de la péninsule. Chose qu’il faut à tout prix éviter: « La dernière fois que le Pentagone a communiqué sur la possibilité de faire des frappes, ils ont évalué les conséquences d’un conflit ouvert à un million de morts, rien que pour la péninsule coréenne. » C’était en 1994 lors de ce qu’on a appelé « la première crise nucléaire ».

Aujourd’hui, Séoul, la capitale de la Corée du Sud, compte plus de 25 millions d’habitants et se situe toujours à moins de 100km des frontières du pays voisin. En fait, outre la Chine, qui ne jure que par la stabilité des frontières, la pression vient d’abord et surtout de la Corée du Sud et du Japon eux-mêmes, car ils seraient les premiers à subir les conséquences d’une frappe américaine.

La position chinoise

La Chine justement. La stabilité de sa périphérie, même si elle est fragile, lui « permet de poursuivre son développement économique, seul garant de la légitimité du parti communiste », assure Antoine Bondaz. Pour la Chine, c’est donc la stabilité avant tout, comme l’a rappelé le président chinois Xi Jinping à Donald Trump il y a quelques jours.

En fait, « les États-Unis et la Chine se renvoient la balle sur le dossier nucléaire nord-coréen depuis plus de dix ans ». Le point de vue de la Chine est simple: si la Corée du Nord se dote d’un arsenal nucléaire, c’est avant tout à cause de la menace américaine qui pèse sur elle. La Chine veut donc que les États-Unis garantissent une sécurité à la Corée du Nord.

Concrètement, il s’agit d’assurer à Kim Jong-un « qu’ils n’attaqueront jamais, qu’ils respectent le régime et qu’ils signent un traité de paix. » Et oui, il n’y a jamais eu de traité de paix signé depuis la fin de la Guerre de Corée en 1953. On peut ajouter à ces garanties « l’établissement de relations diplomatiques et enfin l’arrêt des manœuvres militaires entre les États-Unis et la Corée du Sud », soutient Antoine Bondaz.

La Corée du Nord: une tête de mule?

Mais pourquoi Pyongyang s’obstine-t-elle à faire des essais nucléaires qui sont ici jugés comme de pures provocations? « De leur point de vue, c’est tout à fait différent. Les Nord-Coréens font avant tout des essais pour des raisons techniques. On fait un essai nucléaire ou balistique pour améliorer ses technologies et pour développer un programme ».

Ensuite vient bien sûr l’aspect communication: envoyer un message en interne et à l’extérieur. Sur ce dernier point, « on en a eu un exemple il y a quelques jours juste avant le sommet entre les dirigeants chinois et américain ». Il s’agit du dernier essai nucléaire en date et qui a provoqué la crise que l’on connait aujourd’hui.

Trump: une girouette sans stratégie?

Mais pourquoi Trump a-t-il envoyé un porte-avion près de la péninsule coréenne? « D’abord pour montrer à ses alliés sud-coréen et japonais que les États-Unis sont bien là. Ensuite, par rapport à sa politique intérieure ». Oui mais Trump n’avait-il pas juré qu’il serait moins interventionniste durant sa campagne? « C’est tout le paradoxe: Trump a déclaré il y a un an qu’il était prêt à manger un burger à Washington avec Kim Jong-un. Mais dans les faits, il veut se différencier un maximum de Barack Obama. »

C’est là toute l’ambiguïté. En voulant se différencier de son prédécesseur, Trump prône maintenant une politique extérieure active. « Cela pose question sur le caractère imprévisible de Trump. Et une vraie question se pose également dans les chancelleries internationales: est-ce que Trump a une réelle stratégie? »

Cette interrogation, elle se pose sur la Corée du Nord, mais aussi sur la Syrie: « Qu’est-ce qu’on fait ensuite: des frappes? Non, le risque est trop élevé. Des sanctions économiques et politiques? Pour l’instant, on attend et on ne connait toujours pas la stratégie américaine. »

Fête nationale et événement majeur attendu

Or demain (15 avril), c’est jour de fête nationale en Corée du Nord (Le Jour du Soleil), le pays fête les 105 ans de la naissance de Kim Il-sung (grand-père de Kim Jong-un) et a annoncé un événement majeur. « On parle en général d’un essai nucléaire ou balistique. Mais ça peut être aussi un discours marquant ».

Oui, mais si l’essai nucléaire se vérifie, la situation risque d’être plus que tendue? « Ce serait un fameux pied de nez envoyé aux États-Unis: ‘vous venez avec vos porte-avions, ok, on vous fait un doigt d’honneur, et rien ne va nous arrêter’. Mais une frappe américaine comporte trop de risques. En fait, la question qui se pose maintenant pour les observateurs est de savoir si les États-Unis seraient en mesure d’intercepter cet éventuel essai balistique ».

Bref, demain risque d’être une journée sous haute tension. Du côté américain, on se dit prêt à réagir en cas de nouvel essai. Du côté nord-coréen, on voit l’arrivée des vaisseaux de l’US Army comme une « menace », a déclaré le ministre des Affaires étrangères. Sur le long terme, la question nord-coréenne ne pourra pourtant se régler que grâce à une alliance de la Chine et des États-Unis. En attendant, Pékin tente de calmer le jeu.

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