Sophie Wilmès (MR) est la première femme Première ministre en Belgique. Mais ce poste est loin d’être un cadeau.
Ce week-end, une partie de chaises musicales se jouait au gouvernement fédéral. Le Premier ministre Charles Michel (MR) a passé le flambeau à sa collègue de parti Sophie Wilmès (MR), la ministre du Budget de 44 ans. Elle est aujourd’hui la première femme Première ministre de Belgique. Étant déjà ministre, pas besoin de prêter serment devant le roi, mais elle en a tout de même profité pour faire une visite au palais royal.
Stratégie MR-ienne
Wilmès est la confidente absolue de Charles Michel. Le tout bientôt président du Conseil européen a placé ses pions sur la table : en tant que président du parti, le jeune et charismatique Wallon George-Louis Bouchez (MR) a récolté son total soutien, tandis que la bruxelloise Wilmès est la négociatrice du MR au fédéral et maintenant la femme la mieux placée au gouvernement.
Avec le poste politique le plus important de Belgique en main, elle aura l’occasion de renforcer son image, et éventuellement de devenir la femme forte du MR à Bruxelles suite au départ annoncé de Didiers Reynders (MR) à la Commission.
Mais dans le contexte actuel, le poste de Première ministre n’est pas un cadeau. Wilmès n’est pas en position de force. Qui plus est dans un gouvernement en affaires courantes, minoritaire, qui peut difficilement boucler un budget.
Des manques à combler
- Pas assez de sièges: Elle doit diriger un gouvernement qui a à peine 38 sièges à la Chambre et qui démissionne. La semaine dernière, même le budget d’urgence n’a pas été voté.
- Pas assez d’appuis: De plus, il n’y a pas de majorité ad hoc viable au sein du gouvernement. Dans les négociations gouvernementales, il est d’usage que les coalitions futures commencent à travailler ensemble. Toutefois, les trois partis gouvernementaux actuels sont dans l’incertitude face à l’attitude du PS et de la N-VA. D’ailleurs le PS a pris les devants avec une coalition de gauche, soutenue par le Vlaams Belang, pour voter un budget alternatif.
- Pas assez d’expérience: Wilmès n’est au gouvernement que depuis septembre 2015, date à laquelle elle a dû remplacer Hervé Jamar (MR) sur le budget. Elle opérait dans l’ombre de l’ancien premier ministre Michel. Une expérience légère comparée à la charge de travail qui l’attend.
- Pas de force électorale: En tant que successeure, elle est devenue membre du Parlement en 2014. Elle a à peine obtenu 4 314 votes préférentiels, ce qui n’est pas exactement un poids lourd électoral avec une circonscription importante. En 2019, elle fait toutefois mieux: elle est deuxième à Bruxelles, après Didier Reynders, qui a obtenu 33.205 voix, elle en a obtenu 16.180.
- Pas de grande réussite: dans le département Budget, ce n’était pas particulièrement remarquable: il y a encore un écart de 11 milliards d’euros à combler. Mais surtout : elle ne s’est jamais mise à table pour rechercher un quelconque équilibre.
Un mauvais départ en Flandre
Son histoire en tant que membre élue de l’Union des francophones au conseil provincial du Brabant flamand ne semble pas particulièrement rassurante pour les Flamands.
Son comportement d’échevine francophone au collège de Rhodes-Saint-Genèse, une commune flamande située à la périphérie de Bruxelles, continue de la hanter dans la presse du nord du pays. Geertrui Windels (CD&V), épouse de Herman Van Rompuy (CD&V), accuse Wilmès d’avoir constamment harcelé et intimidé les échevins flamands d’un collège majoritairement francophone.
Ce n’est pas une bonne publicité pour une nouvelle Première ministre, surtout quand l’histoire resurgit aujourd’hui dans presque tous les journaux néerlandophones. « J’ai toujours travaillé pour le respect mutuel et je ne changerai certainement pas d’avis maintenant. Je suis la Première ministre de tous les Belges », répond-elle. Mais la tâche semble claire : elle devra travailler son image, surtout en Flandre.
PS et N-VA gardent l’initiative
Le gouvernement fédéral devrait redevenir viable. En fait, c’est ce que disent tous les intervenants clés qui surveillent de près la situation au niveau fédéral. Mais les plans prudents visant à étendre le gouvernement, à en faire un gouvernement d’urgence ou à demander l’appui du Parlement pour une construction temporaire ont toujours rencontré les mêmes objections : la N-VA et le PS sont les partis les plus importants et ont l’initiative. Ils doivent s’entendre.
Mais tant que ces deux partis n’auront pas « prouvé » qu’ils ont « essayé », et qu’ils auront fait des efforts considérables pour se mettre « d’accord qu’ils ne sont d’accord sur rien », ce n’est pas aux trois mini-partis du gouvernement (MR 14 sièges, Open Vld 12 sièges et CD&V 12 sièges) de prendre l’initiative maintenant.
La dure réalité
Le budget déraille de plus en plus. Le MR a proposé un nouveau nom pour succéder à Wilmès. Il s’agit de David Clarinval (MR). Mais l’ancien chef de groupe du MR à la Chambre ne pourra pas faire grand-chose: sans majorité et sans programme, il n’y a pas de politique budgétaire. Mais cette situation ne peut pas durer indéfiniment non plus, le déficit s’élève à 11 milliards d’euros.
Pas plus tard que cette semaine, au milieu des vacances, les députés doivent revenir voter pour un budget, après qu’une coalition colorée du PTB/PVDA, PS, sp.a, Groen et Ecolo, mais aussi le Vlaams Belang, ait approuvé un budget alternatif via un amendement des communistes. En conséquence, au moins un demi-milliard d’euros de dépenses supplémentaires sera ajouté.
La Belgique doit également soumettre un plan climat à l’Union européenne d’ici la fin de cette année. C’est politiquement complexe : il faut combiner les plans des Länder et du gouvernement fédéral afin de démontrer que ce pays atteint les objectifs climatiques. Bonne chance, sans gouvernement fédéral.
« Intérim »
Ce sera un parcours très difficile pour Wilmès, si elle veut vraiment faire quelque-chose de sa position de « première Première ». Entretemps, cependant, elle a atteint le Seize, et elle peut profiter de ce poste pour briller sur la scène internationale, se faire encore un peu plus connaître par un large public et asseoir son autorité en Belgique.
Mais elle ferait mieux d’en profiter, car peu la considère comme une « vraie » Première ministre, car elle sera bientôt supplantée par un nouveau gouvernement. A cet égard, l’utilisation du terme « par intérim » jusque dans la presse internationale et ne relève pas uniquement de la remarque sexiste. Que la future coalition soit arc-en-ciel ou bourguignonne, le ou la futur.e Premier.e ministre ne sera sans doute pas francophone. Les jours de Sophie Wilmès sont d’ores et déjà comptés.