Quand la France se voile la face (II)

Être belge wallon signifie connaître plus la politique française que celle de la Belgique. Je peux citer plus de ministres français, fonctions comprises, que certains Français eux-mêmes et je me cale devant la télévision chaque soir d’élection présidentielle, avec une Jup’ et du pop-corn. Le soap-opera qu’a été la politique de l’Hexagone pour ses chers voisins pendant des années n’est plus ce qu’il était. Pourtant, il comblait nos discussions de rires et de gentils tacles. Aujourd’hui, nous n’esquissons même plus de sourire. Au contraire, ce grand frère de pays, qu’on déteste autant qu’on aime, fait dorénavant peur.

L’hymne national français que l’on a entendu à tire-larigot ces derniers mois pour des occasions heureuses et malheureuses, aussi abject soit-il pris littéralement, reste un chant révolutionnaire dont de nombreux internationaux en connaissent le refrain malgré eux. Cependant, le pays qui a gagné sa liberté en coupant la tête de son roi semble aujourd’hui n’exister que dans les livres d’Histoire.

Des jours de manifestations violentes pour contrer une loi sur le travail, à raison, furent vains. Des jours de deuils nationaux en quelques mois d’intervalles pour proclamer l’union du pays furent vains. Des jours à compter avant de nouvelles élections calamiteuses qui semblent déjà vains.

François Hollande va sûrement se représenter. La faim de pouvoir est insatiable, demandez à Nicolas Sarkozy. Cela au grand dam de Manuel Valls qui rêve du trône mais rame à le faire chavirer et défoule sa frustration sur le vilain petit canard gris qu’est le Paul Finch du gouvernement. Alain Juppé, lui, caresse un vieux fantasme carriériste pour finir ses jours en beauté pendant que Marine Le Pen se fait les dents sur tous ces vieux os et se refait ses boucles d’or dans l’espoir de tuer définitivement le père. Et je ne parle même pas des autres wanna-be qui refont leur apparition.

Le JT de France 2, devenu aussi scandaleux que celui de TF1 (par souci d’audience ou influence ?), dans lequel Manuel Valls déclare dans une même tirade : « Nous sommes la France. Nous sommes le pays de la laïcité. Nous sommes le pays de la liberté », reflète parfaitement la contradiction permanente d’un pays à la dérive.

Ce qui me taraude surtout est ceci : qu’en pensent les Français? Quelles sont leurs réactions? Où sont-ils pour désapprouver les mensonges? Les lavages de cerveaux médiatiques? Les abus de vocabulaire? Le martelage de fausses vérités? N’est-ce que l’économie qui mérite des manifestations ? Pourquoi ne sont-ils donc pas dans les rues en masse pour désapprouver les bombardements en Syrie et en Irak? Pourquoi ne disent-ils rien quand leur pays vend des armes de guerre à l’Arabie Saoudite? Armes qui, by the way, se retrouvent ensuite dans de (plus) mauvaises mains au-delà du désert saoudien… Pourquoi ne luttent-ils pas contre les privations de liberté d’expression post-Charlie (un comble quand même !) ? Pourquoi déclarent-ils être unis et ‘ne pas stigmatiser’ alors qu’ils ont peur dès qu’ils rencontrent un ‘barbu’ dans le métro et qu’ils ne s’indignent pas quand une minorité devenue grande applaudit le déshabillage des femmes musulmanes sur les plages?

«L’appartenance à la République prévaut en France sur toutes les autres formes d’appartenance», a récemment dit Bernard Cazeneuve, en réponse à la polémique au sujet de l’interdiction du burkini. Tiens, je pensais que l’appartenance à la République Française était d’en respecter de prime abord la devise «Liberté, égalité, fraternité ». Enfin, ce n’est pas comme si cette dernière l’était par son propre gouvernement et ce depuis des lustres. Aucune surprise donc dans cet étalage de ridicule que la France offre au monde.

Depuis plus d’un an et demi, la France trahit au quotidien, culturellement, juridiquement et socialement, la liberté, l’égalité et la fraternité de ses citoyens au nom d’une laïcité bafouée. En quoi le port du burkini est-il une atteinte à la République ? Au contraire, si le premier État prétendument laïque révisait sa Constitution, il se souviendrait qu’il ne doit s’immiscer dans les affaires religieuses de son peuple et que, dans ce cas précis, l’ordre public n’aura été troublé que par les politiciens eux-mêmes au sujet d’un maillot de bain ! Ces derniers ressortent le vieil argument suivant : il faut respecter les valeurs judéo-chrétiennes qui ont fondé la France. Très bien, alors il faut supprimer la laïcité. L’un ne va pas sans l’autre si on les fait entrer dans le jeu politique. Et puis, cet argument ne serait valable que dans un monde sans futur. Le temps passe, les choses changent, les gens bougent et on ne peut rien faire contre. Cela s’appelle l’évolution.

Allons, Français, réveille-toi, secoue-toi, agite-toi. Non pas contre les musulmans de ton pays. Non pas contre les réfugiés. Non pas contre les étrangers. Contre ton gouvernement qui s’ingère dans le privé de ses citoyens au nom d’un manque de sécurité dont il est lui-même responsable. Contre tes ministres qui ne présentent pas leur démission après plus de deux cents morts. Contre leur politique qui tue à l’étranger pour satisfaire des relations diplomatiques plutôt que pour te protéger. Contre la France qui croit maintenir ses traditions en crachant sur son Histoire au lieu de la prendre en compte. Il est temps de prouver aux autres que tu as raison. Il est temps de montrer que la liberté, la fraternité et l’égalité sont des valeurs pour lesquelles tu te bats toujours. Ne prend pas les armes. Ne casse pas des voitures. N’entre pas en violence. Manifeste avec des roses pour la paix comme les Syriens l’ont fait il y a cinq ans. Au moins, toi, tu sais qu’aucune bombe ne tombera sur ta gueule si tu réclames du changement. Alors qu’est-ce que tu attends ? Si ce n’est le ‘Jamais deux sans trois’ ?

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