Gustaf, c’est cette start-up née des besoins de trois musiciens, qui se trouvent aussi être trois Anversois. Entre autres distinctions, elle a été couronnée en 2014 « deuxième start-up la plus prometteuse au monde » pour les partitions digitales qu’elle distribue aux musiciens du monde entier. Mais elle reste une start-up: le jour où on est venu l’interviewer, le CEO, Peter Leclercq, avait planté son bureau dans le couloir, car « aujourd’hui, on est beaucoup ».
« Il y a plus de musiciens que de joueurs de foot. Ils ont tous les âges, ils viennent de tous les pays, de toutes les cultures, de toutes les classes sociales et économiques. La musique est universelle. » Ce que Gustaf veut, ni plus ni moins, c’est grâce au digital, rassembler cette foule de musiciens, leur simplifier la vie, leur rendre la musique encore plus chouette.
Peter Leclercq en parle avec enthousiasme, c’est normal, c’est aussi un peu son boulot: il est le nouveau CEO de Gustaf, qui offre des partitions digitales aux musiciens du monde entier. Il a beau être CEO, Peter tient de l’oiseau rare: dans cette start-up créée par trois musiciens, il est l’un des rares au sein de l’équipe à ne jouer aucun instrument.
En 2009, en effet, l’idée de Gustaf a germé dans l’esprit de Bob Hamblok et de Jonas Coomans, deux musiciens fatigués des partitions papier. Bart Van der Roost, musicien aussi, les rejoint rapidement. En février 2016: la start-up lance Gustaf, le web et app store pour partitions interactives. Gustaf ne compte pas s’arrêter là: d’ici 2020, ils visent 100.000 utilisateurs. Aujourd’hui, déjà, les usagers viennent de 60 pays différents, sur les cinq continents.
Qu’est-ce que Gustaf offre de nouveau?
« Un point de rencontre digital pour musiciens et éditeurs de partitions. Il y a de toutes les musiques, pas seulement des partitions pour piano, pour enfants, pour enfants qui apprennent à jouer du piano… et du monde entier: un jour, on aura de la musique folk norvégienne. L’idée, c’est que tout le monde y trouve son bonheur.
Sur notre magasin et notre app, on offre un accès sûr, dans le respect des droits d’auteurs, aux partitions. Le système est ouvert, les gens peuvent placer leurs propres partitions ».
D’où est venue l’idée?
« Les trois fondateurs (Bart Van der Roost, Bob Hamblok et Jonas Coomans) sont des musiciens, l’un d’eux est encore musicien professionnellement. « La grande majorité de l’équipe a une bonne affinité avec la musique, je suis une exception. On va dire que j’apporte une vision d’utilisateur ».
Tu ne te sens pas trop seul, comme non-musicien, à la tête d’une boîte de partitions digitales?
« Cela me donne un point de vue plus distant, je n’ai pas d’œillères et j’ose poser les bêtes questions. Puis je travaille beaucoup sur le planning, la road map de la boîte. Je ne vois pas cela comme un désavantage, tout au plus un aspect avec lequel composer ».
Qu’est-ce qu’il y a sur ta wish list pour 2017?
« C’est simple:
1)On vise les 100.000 utilisateurs pour 2020…
2) Ça y est, les plus grands éditeurs de musique ont signé avec Gustaf. Ils ont réalisé le potentiel, fait le pas vers le digital. Maintenant, on a envie que les plus « petits » éditeurs fassent aussi le pas, de façon à ce que toute l’industrie puisse devenir digitale. L’industrie des partitions est une industrie très traditionnelle où le changement arrive bien plus lentement que dans d’autres secteurs de l’audiovisuel.
Une partition en pdf, finalement, c’est une photo d’une partition. Ce que nous offrons, nous, ce sont des partitions interactives, que les musiciens peuvent voir au format portrait ou paysage, qui s’adapte en fait à leur écran, qu’ils peuvent annoter, zoomer, dont ils peuvent dissimuler certaines voix ou varier les octaves. C’est cette interactivité que nous offrons. »
Quelle avancée technologique change(rait) la donne pour vous?
« Le fait que les appareils mobiles soient de plus en plus répandus et de plus en plus puissants.
Aussi, les gens qui ne connaissent pas Gustaf me demandent toujours si les pages se tournent automatiquement. Alors, non. Et puis les partitions sont organisées de façon à ce que les musiciens aient l’occasion de tourner la page, à un moment qui les arrange. Maintenant, si le microphone d’un iPad par exemple pouvait reconnaître différents sons et tourner la page au moment qui arrange le musicien… Ça pourrait être intéressant. Ce ne serait pas évident, parce que le microphone devrait faire le tri entre les différents son d’un ensemble et éventuellement le brouhaha des environs ».
Ça fait quoi d’être choisi comme CEO au milieu des fondateurs de la boîte?
« Je suis devenu CEO parce qu’à un certain moment, il a fallu se concentrer sur l’aspect opérationnel des choses. Et ça, c’est mon forte. Le changement de CEO a été de pair avec un changement dans les priorités de la boîte, dans la stratégie. C’est un choix que nous avons fait ensemble.
Comme start-up, dans une industrie pleine de défis, il faut se montrer flexible: on atteint ses objectifs et puis on passe à la suite, pour faire avancer la société ».
Qu’est-ce qui t’a convaincu de quitter ton job pour rejoindre Gustaf?
« Au moment où j’ai commencé, en septembre 2015, comme COO (chief operating officer), il fallait tenir les promesses que l’on avait faites aux clients: il fallait organiser le bazar, toute la production etc. Par nature, je suis quelqu’un de méthodique, de bien organisé. C’est pour ça qu’ils m’ont choisi!
Je connaissais bien Gustaf parce que je suivais l’affaire de près: Bob Hamblok, un des fondateurs, travaillait avec moi dans une entreprise précédente. Je le voyais, à table, faire des plans pour Gustaf et je l’ai vu passer à mi-temps, puis à temps-plein, dans sa start-up. Quand ils m’ont proposé de les rejoindre à bord, j’y ai vu une occasion unique de participer à une start-up, de faire grandir un projet. »
Y a-t-il eu des moments où tu t’es dit: « si c’était à refaire… »
« Evidemment, ça arrive! Depuis septembre 2015, il y a eu des hauts et des bas, naturellement, comme dans tous les jobs, comme dans mes jobs précédents aussi. Je me suis déjà dit: « Ah, si c’était à refaire, je m’y prendrais autrement ». Mais je suis encore là, et je suis encore super motivé. »
As-tu des exemples de ces moments-là?
« Attends, laisse-moi un peu réfléchir…
Oui, il y a eu des moments où c’était moins évident côté finances. Comme start-up, dans un monde changeant, on vit mois par mois, trimestre par trimestre! Or, on emploie quand même onze personnes, certaines à temps-plein, certaines pour des projets… C’est une responsabilité énorme, ces gens ont des familles!
Il y aussi toutes sortes d’incertitudes qui planent: on se demande, par exemple, si on peut encore engager quelqu’un? S’il faut se séparer d’une personne alors que son contrat touche à sa fin?
Quand on dit « start-ups », on entend ‘brûler du cash’. Oui oui mais… avec raison et modération! »
Quel conseil donnerais-tu à un autre starter?
« ‘Spend money like it’s yours’: dépense cet argent comme si c’était le tien, et seulement si il le faut vraiment. Est-ce qu’on a vraiment besoin maintenant d’une grande TV. dans la salle de réunion?
Cela n’a aucun sens de voir les choses en plus grand que ce qu’on peut vraiment réaliser à ce stade. On a voulu être proactifs et on a développé trop tôt certaines fonctions. Parfois, il faut juste se demander: ‘est-ce que je dois prendre cette décision maintenant?' »
Ici, maintenant: le bon moment, le bon endroit pour Gustaf?
« Les trois fondateurs viennent d’Anvers, et c’est vraiment notre QG, c’était un choix conscient de démarrer de là. On a reçu plein de support en Belgique, par exemple via des incubateurs comme Start it @ KBC, iMinds (imec aujourd’hui). Nos investisseurs viennent de toute la Belgique.
Ce n’était pas du tout un mauvais choix de commencer ici, maintenant on va là où les affaires nous appellent. On a aussi un bureau à New York.
Et je trouve que les médias belges parlent quand même pas mal de start-ups. C’est toujours intéressant de lire des success stories, en tout cas moi j’aime bien. Il y a pas mal d’initiatives du style Start it @ KBC. Mais il faut quand même y trouver son chemin, parmi toutes ces initiatives et toutes ces aides.
Au niveau du timing… l’arrivée de la tablette dans les mains des gens a vraiment aidé à l’envol de Gustaf.
À voir Bart Van der Roost, à te voir, à lire vos blog posts… Gustaf a juste l’air d’être une cool aventure. C’est vraiment comme ça?
« Hahaha… On n’est pas si relax en fait! Il faut vraiment travailler dur: ça ne réussit pas, un projet comme ça, avec un horaire de 9 à 5. Tu vas dormir avec. La journée n’est jamais finie, il y a 10.000 trucs différents dont il faut s’occuper, des subsides au développement de softwares. Là par exemple, on voudrait trouver de nouveaux investisseurs, pour encore renforcer et diversifier notre catalogue. Mais je ne trouve pas ça stressant. Je le fais plus volontiers que mon job précédent.
Ici, nous avons le sentiment de contrôler les choses. Et quand je dis « nous », je pense à toute l’équipe. On a ce sentiment qu’on peut changer le monde. Si cela se passe bien, la Belgique pourra être fière de nous. »