On a passé une « cool » soirée à jouer à Uno avec des migrants

On a participé à une soirée jeux de société mercredi soir, à Bruxelles. Sa particularité? Elle mettait en contact des primo-arrivants et des « locaux ». Une initiative qui vise à sensibiliser la société d’accueil aux richesses que les personnes réfugiées peuvent apporter.

La rencontre se passe à La Serre, un ancien hangar à deux pas de la place Flagey qui a été métamorphosé en un espace social multifonction. L’endroit vaut le détour. Des vélos sont réparés au milieu des anciennes tables pour machine à coudre. Une étagère expose des livres de géographie. Un coin cosy qui rappelle un salon d’appartement a été aménagé, et, totalement à l’autre bout de la pièce, on trouve un bar attenant à une cuisine.

C’est dans ce lieu qui respire l’inspiration hipster de Greenwich Village que se retrouvent chaque semaine des réfugiés, des migrants, des primo-arrivants, des employés de l’Union européenne, des Bruxellois et des Bruxelloises. Ils y viennent pour faire des ateliers de cuisine, pour pratiquer leur français, pour chanter, pour raconter des blagues ou encore pour s’amuser avec des jeux de société. C’est pour cette dernière activité que l’on s’est rendu à La Serre mercredi soir.

Créer du lien

Dès 19h, un petit groupe est réuni autour d’une table. Les présentations commencent. Agente du CPAS, professeure d’espagnole, membre d’une ONG, cuisinier dans une maison de retraite, informaticien, étudiante… les profils sont variés et il est difficile de définir réellement un type de participants. Normal. Déconstruire les stéréotypes, c’est l’objectif poursuivi par Singa, l’association qui organise ces rencontres.

Singa est née en France mais elle s’est rapidement étendue à d’autres pays francophones, comme le Canada et la Belgique. Son pendant belge a vu le jour en 2016 et ne cesse depuis de croître, notamment grâce au soutien de la Fondation Roi Baudouin, de la Loterie Nationale et de la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale.

Avec ses deux salariés permanents et l’aide d’une brassée de bénévoles, elle poursuit quotidiennement son objectif: favoriser la création de liens entre primo-arrivants et membres de la société d’accueil. Sa démarche consiste à mettre en place des événements sympathiques où tout le monde a le smile, comme c’est le cas ce mercredi soir.

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Échec et mat

Je m’attable avec un Syrien pour une partie d’échec. Après m’avoir mis une sérieuse branlée, Braa m’explique que c’est un jeu auquel il s’entraîne quotidiennement. Sur son smartphone, sur son ordinateur et sur Internet. Il en profite pour me donner quelques conseils stratégiques. « La reine, c’est comme Charles Michel. C’est elle la plus forte », blague-t-il dans un français approximatif. « Mais le roi, c’est comme Philippe. Il ne peut pas tomber. »

Braa, comme d’autres participants, est arrivé récemment en Belgique. Il améliore son français chaque semaine en suivant des cours du soir. Il nous explique bénéficier de l’aide du CPAS mais être à la recherche d’un emploi. Vu sa maîtrise des échecs, il pourrait viser un poste qui requiert un esprit de stratège. Je rempile pour une autre partie, espérant user de mes potentielles compétences tactiques pour gagner cette fois. En quelques mouvements, Braa bloque mon roi. Échec et mat.

Partie d’Uno

Après cette défaite, on décide de rejoindre une autre table où quatre hommes se marrent généreusement. Ils sont dans une partie d’Uno. Une 100 Pap est sur la table. Cette bière « éthique et solidaire », faite par et pour les sans-papiers, a été créée pour « financer les frais liés aux occupations des personnes étrangères en situation irrégulière à Bruxelles ». Elle est vendue par Communa, l’asbl qui gère La Serre. Et franchement, la 100 Pap est loin d’être dégueulasse.

On me tend une chaise et une volée de cartes. Autour de la table, ça parle arabe, anglais et français. Les origines sont diverses. Palestinien, Algérien, Syrien, Tunisien… Ça triche, ça rigole joyeusement, ça s’énerve l’espace d’une seconde puis ça redémarre de plus belle. Exactement le genre d’atmosphère que tente de créer chaque jour Singa.

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Changer l’image des primo-arrivants

« On est chaque fois plus », nous confie Cerise Vandenkerckhove, chargée de projet chez Singa. « Le jour le plus animé, c’est le lundi. On est souvent une cinquantaine de personnes. Chacun peut proposer une activité ». C’est ainsi que l’on peut assister à des matchs de foot (tous les samedis), à des cours de théâtre, des courses à pieds, des ateliers cuisine ou encore des tables de discussion sur l’actualité.

« La semaine passée, il y avait une femme de la Commission européenne », raconte Ahmed, la main sur une table où reposent pèle-mêle les jeux Touché-Coulé, Imagine, Tabou, Dobble. « On parle de sujets d’actualité mais on ne rentre pas dans des débats trop profonds », juge-t-il avec un sourire, avant de rejoindre la table animée où s’affrontent les amateurs de Uno.

« C’est trop cool, la Belgique »

21h sonne la fin de la rencontre. On abandonne les gérants de La Serre pour retrouver quelques participants qui grillent des clopes devant l’espace solidaire. « Je ne rate aucune rencontre », confesse Ridouane, informaticien. Membre d’un club d’amateurs de jeux de société, il a commencé à participer à ces rencontres au début de l’année 2018. Depuis, il est toujours présent et prend aussi part aux ateliers de théâtre.

« On voit vraiment tous les styles de profils », décrit Kenza, étudiante en communication et stagiaire chez Singa. « L’idée est vraiment de dépasser les simples concepts de nationalité pour mettre en avant la richesse culturelle des participants », ajoute-t-elle, tandis que l’on se dirige vers la place Flagey. Un jeune primo-arrivant marche à nos côtés dans le froid mordant. Il était présent à la soirée. Soudain, il lâche avec un grand sourire une conclusion totalement inattendue: « C’est trop cool, la Belgique ». Effectivement.

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