Maxime Prévot (cdH): « Une bonne idée, elle n’a pas de couleur politique »

À un mois des élections, nous avons discuté avec chaque président de parti. L’heure de tirer un bilan, mais aussi de se pencher sur les incertitudes du dimanche 26 mai. On a également essayé de savoir ce qui a et va être fait pour les jeunes. 

Le cdH a connu quelques coups difficiles lors de la précampagne. Qu’est-ce qui vous a le plus déçu dans cette séquence?

Il n’y a pas vraiment de choses qui m’ont déçu. Il y a des choses qui m’ont attristé. D’abord, effectivement, le fait que des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup d’estime aient été prises dans la tourmente. Sur le plan humain, ce n’est jamais agréable. Sur le plan politique, on se dit que ce sont des séquences dont on se serait volontiers passé. Maintenant, vous savez, les difficultés que mon parti a connues durant la précampagne… Certes cela a pu alimenter les choux gras de la presse, mais il faut relativiser. Ce n’est pas agréable, c’est contrariant, mais ce n’est pas quelque chose de grave.

J’ai l’un de vos confrères journalistes qui me demandaient : « Mais c’est grave, ce qui se passe au cdH? » Je lui ai répondu avec beaucoup de sincérité. Non, ce qui est grave, c’est d’avoir un enfant gravement malade, c’est de perdre quelqu’un dans un accident de voiture, c’est d’être atteint d’une maladie incurable. C’est de ne pas pouvoir nouer les deux bouts pour pouvoir manger à midi pour sa famille. Ça, c’est grave. C’est le sens, d’ailleurs, de notre engagement politique et ce pour quoi on se mobilise. Pour le reste, il faut relativiser. Les accrocs de parcours, ma foi, et ce que j’ai vécu, ce n’est que le reflet de ce que beaucoup vivent aussi, mais hélas en étant beaucoup plus directement touchés et impactés dans leur vie de tous les jours.

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Avec le recul, quand vous avez écarté le PS en juin 2017 de la majorité wallonne, est-ce que c’était une bonne idée? Le cdH a quand même souvent cette image d’un parti au-dessus de la mêlée. Est-ce que ce n’était pas un coup politique, plutôt?

Je suis d’abord heureux que vous souligniez qu’on a généralement l’image d’un parti qui essaie de se mettre au-dessus des guéguerres partisanes à deux balles, qui soûlent tout le monde. Nous y compris, bien souvent. On est conscient qu’on vit à l’ère des médias sociaux, avec la nécessité de faire le petit buzz, la petite phrase qui tue. Mais objectivement, jamais ça n’a fait avancer le schmilblick d’une quelconque manière. Aujourd’hui les problèmes sont complexes. Il n’y a aucun problème qui peut être résolu juste à coup de « y a qu’a… », « faut qu’on… », « il suffit de… » Non, il faut pouvoir rassembler toute une série de contraintes, transcender un peu les clivages, arrêter d’opposer la gauche, la droite les gens bien, les imbéciles, etc. Non. Travaillons ensemble pour pouvoir solutionner les choses.

Est-ce que la décision qui a été prise en 2017, avec le recul, était une bonne décision ou pas ? Certains vous diront que si on ne l’avait pas prise… Oui, c’est Benoît Lutgen qui a donné l’impulsion, mais qui a été soutenu par l’ensemble du bureau politique. Si on n’avait pas pris cette décision, peut être que d’aucuns nous auraient fait le reproche de continuer sans concession de nous acoquiner pour le goût du pouvoir avec un Parti socialiste qui, à l’époque, était empêtré dans bien des affaires, avec un sursaut démocratique pour la bonne gouvernance qui était attendue et que la population exprimait. Après, on a pu faire aussi de bonnes choses avec. Je n’ai jamais renié la qualité du travail que j’ai pu mener, notamment aux côtés de Paul Magnette, mais je crois que la Wallonie avait aussi besoin de changer un petit peu son logiciel. D’être dans une démarche un peu plus libératrice de l’activité. On a beaucoup travaillé avec nos partenaires gouvernementaux actuels, en Région wallonne comme à Bruxelles au demeurant.

Je crois que l’essentiel, ce n’est pas de savoir si un parti politique a fait ou pas un bon coup, un bon calcul. C’est de savoir, surtout, qu’est-ce qui a été posé comme acte? Quels sont les projets qui ont pu être concrétisés?

Revenons au fédéral. Tout le monde nous promet un nouveau record de 541 jours sans gouvernement. Quel rôle le cdH peut jouer là-dedans pour désamorcer cette crise annoncée?

J’ai encore la naïveté d’espérer qu’on ne va pas perdre 500 jours en palabres. Je pense que les gens, ils en ont soupé de ces négociations sans fin. Finalement, le seul gagnant de négociations qui durent, qui durent, qui durent, c’est la N-VA. Parce qu’on apporte par l’absurde la démonstration qu’on n’est plus capable de s’entendre. Que ce pays finalement est en hypothèque, ce qu’elle essaie par tous les moyens de démontrer. Donc, ayons le sens des responsabilités. Le cdH l’a toujours incarné. Nous sommes, parce qu’on est un parti politique, désireux de pouvoir peser sur le cours des choses.

Avec notre projet que nous souhaitons concrétiser, avec les partenaires qui le permettront le mieux possible. On n’a pas envie d’être dans la guéguerre stérile qui fait ne gagner personne. Ni les hommes et les femmes politiques qui, finalement, continuent alors d’être pointés du doigt par la population comme étant la source de tous les maux. Ni les citoyens qui, finalement, font les frais, que ce soit les entreprises ou que ce soit la jeunesse, de ces non-décisions qui tardent à venir.

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Qui, pour vous, a la stature d’un Premier ministre, chez vous au cdH ou ailleurs dans les autres partis?

Écoutez, il faut d’abord rester humble et modeste. On n’a pas vocation à revendiquer, dans le rapport de force actuel, l’exercice de la fonction de Premier ministre. Après, vous savez, il y a des gens de grande qualité et des gens avec lesquels on aurait moins envie de travailler dans la plupart des partis politiques. Je crois que l’enjeu n’est pas de faire une course à l’échalote derrière une personne. Est-ce que Pierre, Paul, Jacques, Charles ou Tartenpion serait plus à même d’être demain encore le Premier ministre dont ce pays a besoin? C’est surtout de savoir avec quelle coalition, pour faire quels projets et essayer de faire en sorte que demain il y ait beaucoup plus de justice fiscale.

Aujourd’hui, on a une fiscalité qui est complètement dépassée, qui repose sur un modèle de l’après-guerre de l’ère post-industrielle. On n’a pas du tout intégré la révolution numérique. On n’a pas du tout intégré la révolution environnementale. Ce sont des éléments-clés que la jeunesse aujourd’hui réclame pour avoir une fiscalité qui soit beaucoup plus juste. Une justice qui soit enfin efficace, qui ne prenne plus des plombes et qui coûte à chaque fois super cher pour pouvoir être rendue. Que les gens posent des actes qui soient conformes à la nécessité de bien habiter la terre plutôt que de pratiquer simplement, avec la variable d’ajustement qui est l’être humain, une politique de course à l’échalote derrière le profit.

Vous ne fermez pas la porte à la N-VA?

Alors, je n’ai aucune envie – que ce soit bien clair – de travailler avec la N-VA. Aucune. Je ne crois pas, d’ailleurs, qu’il puisse y avoir un seul parti francophone qui, spontanément, ait envie de bosser avec eux. Maintenant, il faut être lucide et il faut que chacun comprenne que ce ne sont pas les francophones qui vont voter à la place des Flamands. Les Flamands voudraient peut-être que dans le sud du pays on vote différemment que ce que les sondages annoncent, mais on est dans un pays où chacun va voter pour sa région, sa zone. Et après, il faut qu’on travaille ensemble.

C’est très facile, dans un divan, d’aller dire: « jamais avec la N-VA. Jamais avec le PS, jamais avec le MR, jamais avec Ecolo, le PTB ou que sais-je »… Mais à un moment donné, si tout le monde met des exclusives contre tout le monde, on va jamais pouvoir bosser ensemble. On va faire la démonstration que ce pays est malade et qu’il faut penser à autre chose qu’un régime fédéral. Et donc on va faire la thèse de la N-VA. Le meilleur moyen finalement, d’éviter que la N-VA soit incontournable, c’est d’arrêter de toujours tout penser et tout faire en fonction d’elle. La N-VA est tout à fait contournable, il faut que les autres partis flamands en aient également l’envie, l’émancipation. On sent d’ailleurs dans les discours que ça change. Enfin ils ne sont plus terrorisés par l’impact électoral potentiel de la N-VA. Travaillons avec les Flamands. Tendons la main vers celles et ceux qui ont envie de pouvoir travailler avec respect.

Vous avez recentré le parti. Certains se posent la question de la raison d’être du cdH. Qu’est-ce qui fait que le cdH est cdH ? Sans être à gauche, sans être à droite…

Très clairement, aujourd’hui, les gens utilisent de plus en plus le vocabulaire gauche-droite pour pourtant décrire des réalités qui n’ont plus de sens. Vous savez, une bonne idée, elle n’a pas de couleur politique. Nous sommes convaincus que si on veut faire en sorte que la société procure un plus à tout le monde – et pas seulement à quelques-uns. Pas aux plus riches, pas exclusivement en se préoccupant de ceux qui ont plus de difficultés en oubliant aussi que la machine économique doit être alimentée par des jeunes qui créent, qui osent et qui entreprennent – il faut simplement qu’on ait un discours de vérité. Celui de dire, on a besoin des deux jambes pour marcher. Il y a parfois de très bonnes idées qui pourraient être teintées de gauche ou teintées de droite, peu importe.

Moi je ne suis pas pour la gauche ou pour la droite, je suis pour le bon sens. Je suis pour les gens et je n’ai pas envie que l’être humain soit considéré comme une variable d’ajustement en matière de productivité économique à tous crins, au détriment d’un bien-être, d’un bonheur personnel et familial. Je n’ai pas envie non plus qu’on considère que l’État doit tout faire, nous mettre sous baxter à chaque fois qu’on doit prendre des initiatives. Non, il faut aussi réhabiliter le sens de l’effort, la prise d’initiative. Arrêter de pointer du doigt ceux qui osent entreprendre, qui font des choses, qui prennent des risques. Arrêter de les culpabiliser. Mettre aussi dans une démarche de responsabilité et de générosité. Nous devons aussi être au rendez-vous de la solidarité quand des personnes sont en difficulté dans notre pays ou ailleurs.

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Vous reconnaissez quand même que la baisse du chômage est une réussite du gouvernement fédéral. Il y a aussi l’explosion des chiffres des jeunes au CPAS. Quelles solutions préconise le cdH pour lutter contre cette forme de pauvreté qui touche les jeunes et les étudiants?

D’abord, on peut se réjouir qu’enfin, depuis plus de 60 mois consécutifs d’ailleurs, les chiffres du chômage s’améliorent en Belgique, mais singulièrement aussi en Wallonie. Le cdH a pris sa part pour que ça puisse être le résultat. Deux, on a encore beaucoup trop de jeunes aujourd’hui qui sont confrontés à des difficultés et qui ne savent pas nouer les deux bouts, qui savent difficilement payer leurs études, qui sont obligés de faire plein de petits jobs. Objectivement, ça on doit en être conscient. C’est pour ça que le cdH propose aussi des actes concrets : prise en charge financière pour les kots, augmentation des bourses d’études, soutien financier aux jeunes start-upeurs.

Je pense aussi qu’il y a un créneau dans lequel on peut distinguer la Wallonie et Bruxelles: l’intelligence artificielle et le gaming. Faire en sorte qu’on soit demain la Silicon Valley du gaming, du jeu vidéo, de l’e-sport. Tout ça, ce sont des créneaux sur lesquels on a des pépites, des jeunes entrepreneurs super positifs qu’on ne valorise pas assez.

Il y a une culture de l’entrepreneuriat en Wallonie?

Oui, elle existe bien entendu. Elle est probablement insuffisamment développée. On doit la sponsoriser, la favoriser. Mais à nouveau pour faire en sorte que chacun dès lors qu’il a une idée qu’elle peut avoir une plus-value collective, puisse s’engager. Pour moi, c’est aussi important d’avoir le gars qui va s’impliquer dans une aventure humaine en prêtant main-forte à des gens qui sont plus en difficulté chez nous ou qui veulent faire de la coopération à l’étranger, que le gars qui va lancer sa boîte, sa dynamique économique. Parce que cet enjeu de cohésion sociale, c’est celui qui va permettre la plus-value collective pour chacun.

Je crois qu’on a une jeunesse qui ne se sent pas beaucoup écoutée, qui a le sentiment que les hommes et les femmes politiques ne les entendent pas. Je suis, je pense, le plus jeune président de parti. La classe politique a du mal à se renouveler. Il y a des présidents qui sont là depuis très longtemps. Moi je viens d’arriver depuis quelques mois. Évidemment, pour certains qui ont 18 piges, moi qui en aie 41 depuis quelques jours, je parais peut-être un peu plus âgé. Je fais de la politique depuis quelques années, mais pourtant, je pense que c’est surtout une question d’état d’esprit. On connaît tous autour de nous des gens qui ont 25 piges, mais qui ont un mental de 45. En l’occurrence, ce qu’il faut, c’est d’abord l’envie.

Les jeunes doivent être entendus. Pas seulement quand ils se mobilisent dans la rue, mais quand ils ont un message à nous adresser. On doit nous-mêmes changer notre logiciel. Ce n’est pas aux jeunes à chaque fois à s’adapter. Le monde évolue beaucoup trop vite surtout avec la transition numérique et l’explosion des nouvelles technologies.

La Wallonie n’a pas basculé dans ce monde-là, si?

Alors là, je nuancerais votre propos parce que très, objectivement, le territoire wallon est reconnu à l’échelle européenne comme un des territoires où la recherche, le développement et l’innovation ont été le plus boosté ces dernières années. On attire d’ailleurs des grandes entreprises, y compris de l’étranger, y compris de Chine, pour venir s’installer chez nous. Avec Digital Wallonia, on a vraiment saisi très rapidement les opportunités de ce tournant digital. J’y suis en plus personnellement sensible, car j’ai fait dans mon parcours une spécialisation en droit des nouvelles technologies.

Je pense qu’aujourd’hui le tsunami de cette révolution environnementale, écologique et numérique est là. On ne saura pas l’arrêter. Faisons en sorte de saisir les opportunités sans être frileux pour que demain, ça représente une plus-value, des nouveaux jobs, des nouveaux facteurs d’épanouissement pour un maximum de gens. Et singulièrement pour notre jeunesse qui est quand même celle à partir de laquelle on doit tout bâtir demain.

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