Un vote décisif aura lieu au Parlement européen le mardi 26 mars. Il devra mettre un terme à une année de lutte entre les partisans et les opposants aux article 11 et 13 de la directive européenne sur les droits d’auteur. Un changement législatif sur lequel plane une immense interrogation mais pour lequel la classe politique belge ne semble accorder aucun intérêt.
On ne va pas se mentir. Une grande partie de la culture que nous consommons actuellement – surtout ceux qui ont moins de 30 ans – se trouve sur Internet. Exceptés quelques adeptes du matériau solide qui s’achètent encore des livres, des mooks, des Blu-Ray et des CD, la grande majorité d’entre nous écoute, visionne, lit, s’informe et débat via le web.
Twitter, Facebook, YouTube, TikTok, Instagram, Snapchat, Vimeo, Deezer, Spotify, Bandcamp, Google Maps, Soundcloud, WhatsApp, Messenger, Apple News… toutes ces applications – qui sont également des plateformes sur lesquelles s’échangent des contenus culturels – pourraient être transformées dans les semaines qui suivent. Leur fonctionnement devrait être revu pour s’adapter aux nouvelles exigences de la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique.
Incertitude
Pour l’instant, le conditionnel est de mise. La proposition de loi européenne sera votée le 26 mars 2019 et il est encore difficile de savoir si notre consommation culturelle sera réellement bouleversée par la suite. Officiellement, la directive se présente comme un élément positif: une série de mesures « visant à faciliter le processus de concession de licences et d’acquisition des droits, ce qui permettrait à terme aux consommateurs d’accéder plus facilement, par-delà les frontières, aux contenus protégés par le droit d’auteur. »
Mais chez les opposants à cette directive, on s’inquiète. Principalement pour les articles 11 et 13 qui concernent les « publications de presse » et les « contenus protégés par des prestataires de services ». Des figures comme Julia Reda, députée européenne au Parti Pirate, ou encore Edward Snowden, lanceur d’alerte sur les questions de surveillance du net, mettent en garde contre l’appauvrissement du web que cette directive pourrait signifier.
Correction: The votes will start at 12:30 on Tuesday, not at 12. https://t.co/V5eGOTsjep #SaveYourInternet #Article13
— Julia Reda (@Senficon) 21 mars 2019
Liberté d’expression en péril?
Une pétition signée par plus de 5 millions d’européens affirme que « la liberté d’expression sera restreinte et la façon actuelle de communiquer les uns avec les autres ne sera plus possible ».
Un avis que partage David Kaye, rapporteur indépendant pour le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. « L’Europe a la responsabilité de moderniser sa législation sur le droit d’auteur afin de relever les défis de l’ère numérique », écrivait-il le 11 mars dans un communiqué de presse. « Mais cela ne devrait pas se faire au détriment de la liberté d’expression dont jouissent les Européens aujourd’hui. »
« L’article 13 imposera aux plateformes de mettre en œuvre des filtres de téléchargement ou des « machines de censure » qui généreront une censure généralisée du réseau », écrit la défenseure des droits numériques Maria Aspiazu. « Cela conduira à la suppression du contenu légitime et du discours, et encore plus de pouvoir pour les grandes entreprises américaines. »
Des créateurs mieux rémunérés
Du côté de l’Europe, on tient à rassurer. « Les plateformes devront seulement être capables d’identifier certains contenus spécifiques protégés par le droit d’auteur sur la base d’informations fournies par les ayants droit. Par conséquent, les déclarations de YouTube au sujet de la fermeture de chaînes et la mise en place de mécanismes de filtrage pour le contenu sans licence sont infondées », peut-on lire sur Article13.org, le site monté par le lobby européen Europe For Creators.
Cette directive ne viserait qu’à offrir aux créateurs de meilleures protections et une possibilité d’être mieux rémunéré pour leur travail. Les plateformes devront faire leur possible pour signer des licences avec les titulaires de droits et, en cas d’infraction au droit d’auteur, retirer les contenus en désaccord avec la loi. Le filtrage automatisé ne sera pas imposé, ce qui rassure pas mal de gens. Avec 400 heures de vidéo uploadées chaque minute sur YouTube, par exemple, le filtrage aurait certainement provoqué quelques couacs.
This is it: With the final #copyright vote taking place next week, we’re closer than ever to a level and fair playing field for EU creators. Make sure to stay up to date with our newsletter, and say #Yes2Copyright.https://t.co/Tdg3IdJetW
— Europe For Creators (@EUForCreators) 21 mars 2019
Et en Belgique?
En Allemagne, de nombreuses manifestations ont eu lieu contre cette proposition de directive. On craint que ce qui semble être une protection pour les petits créateurs ne se transforme en une porte ouverte aux géants de la tech, les GAFA et consorts. De nouvelles manifestations sont prévues samedi au Portugal, en Grèce, à Chypre, au Luxembourg, en Écosse, au Danemark, en Pologne, en Suède, en Estonie, dans la République tchèque, en Roumanie, en Suisse.
Le 21 mars, plusieurs site se sont mis en blackout pour manifester leur opposition à la directive. Parmi eux, il y avait les versions danoises, tchèques, slovaques et allemandes de Wikipedia ainsi que… Pornhub. Le géant américain du porno – qui est devenu aussi important en ne respectant jamais le travail des créateurs – craint également la nouvelle directive. Reddit a mis un message d’erreur hier pour avertir du « danger » de l’article 13.
Étonnamment, cette question ne semble pas soulever beaucoup d’intérêt en Belgique. Rares sont les politiciens qui s’y intéressent ou qui en parlent. Sur les 126 eurodéputés qui se sont engagés contre la directive, un seul est Belge: Gerolf Annemans, du Vlaams Belang. Or, la Belgique compte 21 représentants au Parlement européen. Que l’on soit pour ou contre, cette question fondamentale de l’accès à la culture mériterait que l’on y accord un peu plus d’intérêt. Il reste quatre jours avant le Jour J.