Le suicide d’Epstein et ses théories du complot secouent les Etats-Unis

Le milliardaire de 66 ans a été retrouvé pendu dans sa cellule à New York. Il aurait dû être traîné devant les tribunaux en juin 2020. Il était soupçonné de pédophilie et d’exploitation sexuelle de mineures. Son réseau et ses relations amicales avec de nombreuses personnalités jettent le trouble. Aurait-il été aidé à se tuer?

Jeffrey Epstein a fait fortune comme trader à Wall Street. Issu d’une famille juive de classe moyenne, il est devenu milliardaire en deux décennies. Il a de multiples connexions avec des personnalités puissantes comme Bill Clinton, pour qui il finance à coup de millions la fondation ainsi que la campagne sénatoriale d’Hillary Clinton. On lui prête aussi quelques rencontres avec Donald Trump et une amitié avec le Prince Andrew, deuxième fils d’Élisabeth II.

« Je connais Jeff depuis 15 ans. Un type génial », disait ainsi Donald Trump en 2002. Ils faisaient alors tous deux partie de la jet set new-yorkaise. « On dit même qu’il aime les jolies femmes autant que moi, et beaucoup sont plutôt jeunes ».

Et pour cause, Epstein est condamné une première fois en 2008-2009. Il effectue 13 mois de prison dans une affaire de prostitution impliquant une mineure. Il est également soupçonné d’organiser des sauteries à bord du sulfureux « Lolita Express », son jet privé dans lequel il propose de nombreuses filles, parfois mineures, à ses riches invités. Il était aussi connu pour organiser d’énormes fêtes au début des années 2000 dans ses propriétés de Manhattan et Palm Beach.

Mais en juillet dernier, le piège se referme. Il est inculpé et arrêté pour avoir organisé pendant plusieurs années un réseau constitué de dizaines de jeunes filles sous son emprise. Le tribunal fédéral de New York a publié un dossier à charge contre le milliardaire fort de plusieurs centaines de pages. Il est question de ses pratiques prédatrices et de pédophilie sur des mineurs de 12 à 14 ans.

Plaidant non-coupable, son procès, pour lequel il risquait la prison à perpétuité, devait se dérouler en juin prochain. Mais son suicide, samedi matin, dans le Metropolitan Correctional Center de Manhattan en aura décidé autrement, laissant de nombreuses victimes sans réponses.

Les Clinton en mode House of Cards?

Mais les relations d’Epstein avec les puissants de ce monde secouent les États-Unis. Après une première tentative de suicide fin juillet, comment se fait-il qu’Epstein n’était pas plus surveillé? Aurait-il bénéficié d’une aide pour mettre fin à ses jours? Des questions légitimes, mais qui alimentent des théories de complot. Voulait-il protéger les Clinton ou encore Leslie Wexner, fondateur de Victoria’s Secret?

epa

Sur les réseaux sociaux, le hashtag #ClintonBodyCount est lancé. À la manière d’un House of Cards, le couple Clinton est soupçonné depuis longue date par les complotistes. Ils traîneraient un nombre incalculable de cadavres dans leur placard tout au long de leur carrière politique. Rien n’a été prouvé jusqu’ici.

Mais il est vrai que Bill Clinton a voyagé à bord du « Lolita Express », à quatre reprises, comme le reconnait la Fondation Bill Clinton. En septembre 2002, l’avion a transporté Bill Clinton, Kevin Spacey et Chris Tucker (acteur) en Afrique pour promouvoir l’action de l’ancien président américain dans la lutte contre le SIDA. Les carnets de vol du jet d’Epstein publiés par le site défunt Gawker en 2015 révèlent eux plus de 25 voyages en commun.

« Jeffrey Epstein avait des informations sur Bill Clinton, et maintenant il est mort ! » a écrit l’acteur Terrence K.Williams aussitôt retweeté par Donald Trump, toujours prêt à adresser un tacle à ses adversaires politiques. Le président américain a visiblement changé d’avis sur Epstein assurant avoir coupé les ponts et « ne pas être un grand fan ». « Ce n’est pas quelqu’un que je respectais », a-t-il ajouté après l’incarcération du trader à New York début juillet.

Élites à la Eyes Wide Shut

Mais au-delà des théories du complot, ce scandale commence à prendre de sérieuses proportions sur le plan politique. Il a déjà coûté son poste au ministre du Travail Alexander Acosta, accusé d’avoir mal géré les premières accusations en 2008 alors qu’il était procureur de Floride. Sur Twitter encore, l’ex-sénatrice démocrate du Missouri Claire McCaskill se questionne par rapport au suicide d’Epstein: « Il y a quelque chose qui pue très fort dans tout ça. Comment quelqu’un placé sous surveillance anti-suicide peut-il se pendre tout seul, sans intervention ? Impossible. À moins que… « 

Eyes Wide Shut/Stanley Kubrick (1999)

Sur les plateaux télé, les soupçons à l’encontre d’une classe dirigeante dépravée font la une depuis samedi. Une sorte de haute société perverse comme elle est décrite dans le film de Stanley Kubrick Eyes Wide Shut. Théories du complot ou pas, ces soupçons soulignent l’impunité et la corruption des élites aux États-Unis. « La mort de M. Epstein soulève des questions graves auxquelles il faudra répondre », avertit le ministre de la Justice, William Barr. « Il va falloir des réponses. Beaucoup de réponses » a ajouté la fer-de-lance des démocrates à New York Ocasio-Cortez, dégoûtée elle aussi du traitement de faveur réservé à Epstein en 2008.

Le procureur de New York a toutefois assuré que la mort d’Epstein ne remettait pas en cause l’enquête. À cet égard, le témoignage de Virginia Roberts Giuffre, victime du milliardaire et aujourd’hui âgée de 36 ans, pourrait être déterminant. Elle décrit un « système de recrutement » mis en place par Epstein et sa rabatteuse, Ghislaine Maxwell, fille du défunt magnat de la presse Robert Maxwell. Cela passait notamment par le repérage de jeunes lycéennes en Floride ou à New York à qui il promettait parfois de lancer la carrière artistique. Ensuite, elle passait par la case « esclavage sexuel » avant « partage » avec le réseau du milliardaire.

De nombreuses victimes sont toujours dans l’attente de la reconnaissance de leur calvaire. D’autres se disent prêtent à témoigner.

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