Le handicap, toujours un frein pour les étudiants à l’université?

Ce lundi, une conférence se déroulait à l’ULB avec pour thème le droit fondamental à un enseignement supérieur inclusif. Que l’handicap soit visible ou non, c’était l’occasion pour la Fédération Wallonie-Bruxelles de réaffirmer sa volonté de faciliter l’accès à l’université et aux hautes écoles pour les personnes en situation de handicap, en compagnie de l’Equality Law Clinic. 

« La dimension pratique, c’est juste une histoire de moyens financiers et de volonté. J’ai envie de me concentrer surtout sur le handicap invisible ». Nathan Delbrassine suit un master en droit à l’ULB. Les mesures d’inclusion durant ses études, qu’il s’agisse d’un temps supplémentaire durant les examens ou de l’autorisation à utiliser son ordinateur pendant les évaluations, il en a fait l’expérience dès son entrée à l’université. Ce faisant, il a permis de donner une visibilité à la thématique, non seulement en s’exprimant personnellement sur le sujet mais aussi en conseillant des organisations telles que l’Equality Law Clinic, qui cherche à « contribuer concrètement à la promotion de l’égalité et de la justice« .

« Avoir un temps supplémentaire à l’examen ou pouvoir utiliser son ordi, ça peut créer des tensions, à la fois avec les professeurs, mais aussi avec les élèves ». Il raconte comment, au fil des années, il a appris à se faire discret quand des mesures étaient prises pour lui permettre de réaliser des travaux ou de, simplement, pouvoir assister au cours: « Je suis dyspraxique. C’est un subtil mélange entre la dyslexie et la dyscalculie. Ce sont des problèmes pour lire, ce qui n’est pas très pratique quand on fait du droit, mais comme je ne sais pas calculer non plus, il fallait bien faire un choix. »

Avec humour, Nathan intervient et témoigne sur son handicap alors que l’après-midi de conférences organisée par l’Equality Law Clinic débute. Au programme: la présentation d’un guide d’inclusion vis à vis des étudiants à besoins spécifiques ou en situation de handicap et l’intervention de porte-paroles d’associations, mais aussi du cabinet de Jean Claude Marcourt en la personne de Jean-Christophe Leloup, conseiller du ministre de l’enseignement supérieur de la FWB.


Equality Law Clinic

L’inclusion, longtemps oubliée

« J’aimerais rappeler qu’il y a quelques années, il fallait aller voir chaque professeur, demander à ce qu’ils prennent des mesures vis à vis de la poignée d’étudiants qui avaient des besoins spécifiques, et ils pouvaient refuser de prendre des mesures adaptées. Ça ne fait pas si longtemps qu’on en est au stade où les démarches sont standardisées, et il y a encore du travail. » Aurélie Huyse est neuropsychologue et directrice du CEFES, l’ASBL chargée – entre autres – d’assurer un bon suivi des études pour les personnes en situation de handicap. En sept années de travail, elle a vu une réelle évolution dans les procédures pour permettre aux étudiants à besoins spécifiques d’avoir accès à l’enseignement supérieur.

« On remarque aussi une réelle hausse dans les soumissions de dossiers. On est passés de 30 à 300 personnes acceptées, et ce en quelques années », ajoute Kelli Volpe, elle aussi neuropsychologue et membre du CEFES. « Parmi eux, on compte une énorme part de troubles de l’apprentissage, comme les troubles de l’attention, la dyslexie, la dyspraxie, mais aussi au moins un quart de maladies invalidantes, qui vont de l’épilepsie aux maladies dégénératives. » Des maladies qui, il y a quelques années, n’avaient pas la visibilité dont elles disposent aujourd’hui.

Les maladies invisibles et mentales dans l’oeil du cyclone

Nathan en parlait plus tôt: avoir un handicap qui se ressent mais ne se voit pas peut créer des tensions, à la fois avec les professeurs, mais aussi attiser une forme de jalousie chez les étudiants, qui aimeraient eux aussi avoir droit à un temps supplémentaire durant leurs examens. Cette incompréhension, elle concerne les handicaps invisibles, mais aussi les maladies mentales, qui peuvent s’avérer tout aussi handicapantes.

Laurent Belhomme, responsable d’équipe chez psy campus, un organisme qui propose des suivis psychologiques et thérapeutiques à un prix abordable aux étudiants du supérieur, vise une meilleure reconnaissance des maladies mentales en tant qu’invalidantes pour les étudiants: « On a pu voir que les thèmes prédominants de nos patients étaient liés à l’angoisse, au stress, aux idées noires et à l’isolement en 2017. On peut probablement s’attendre à ce qu’une majorité des situations de handicap dans un contexte de troubles psychiques sont en lien avec ces thèmes. Les étudiants qui souffrent de phobies sociales ou de crises liées à la dépression ou à la dépersonnalisation pourraient grandement bénéficier d’aménagements, comme par exemple des octrois de notes de cours ou des sessions aménagées. » La question des maladies mentales et de leur reconnaissance a pris de la place ces dernières années, notamment quand il s’est agi d’arrêter la décrédibilisation du burnout, de la dépression et de toute une gamme de troubles mentaux moqués par le passé. Dans l’assemblée, des questions se posent: une pratique comme celle du blocus en Belgique est-elle conciliable avec les personnes qui souffrent de troubles mentaux?

De l’intégration à l’inclusion

Un texte revient au centre du débat, avec l’intervention d’Isabelle Hachez, professeure de droit à Saint Louis et celle de Véronique Ghesquière, cheffe de service handicap à l’ONU: la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. L’article 24 aborde précisément la question de l’éducation inclusive, qui vise à inclure plutôt qu’intégrer les personnes à besoins spécifiques.

La nuance est subtile entre ces deux notions, mais capitale pour ceux qui gravitent autour de la thématique: intégrer revient à garder une frontière entre valides et non-valides, créer des aménagements utiles mais qui créent une barrière. L’inclusion, elle, veut promettre une équité entre tous les étudiants, pour enfin considérer une personne handicapée comme un élève comme un autre, qui agit en son plein droit et ne devrait pas mettre en oeuvre des efforts inconsidérés pour des aménagements qui devraient être naturels.

Un changement de mentalités avant tout

On en arrive au point central de la conférence: la création d’un guide collaboratif d’inclusivité par l’Equality Law Clinic. Un travail long de cinq ans financé par le cabinet du ministre de l’enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt. Même s’il est destiné à un usage interne avant tout, il constitue l’ouverture vers un univers étudiant plus tolérant et inclusif envers les personnes à besoins spécifiques.

C’est d’ailleurs Françoise Tulkens, ancienne vice présidente de la Cour Européenne des droits de l’Homme et marraine de l’ELC en compagnie de Christiane Taubira, qui le rappelle: « Je trouve que ce guide ouvre de nouvelles voies et de nouvelles perspectives. il dévoile la face cachée de l’enseignement supérieur, une face de souffrance et d’exclusion de trop nombreux jeunes. Toute la force de ce guide, c’est de proposer des solutions concrètes. »

Au final, un vent de nouveauté et d’acceptation souffle sur la société de manière générale, et pas seulement dans les cercles universitaires. On y assiste avec le succès d’une série comme Special, qui conte sur Netflix le parcours d’un jeune homme qui vit avec une paralysie cérébrale et qui se retrouve à découvrir sa sexualité et son identité en dehors de son handicap. Les hashtags sur les réseaux sociaux se multiplient pour assumer une fierté de sa condition de personne handicapée. Enfin, le handicap n’est plus tabou, et les droits des personnes qui le vivent avancent. Une égalité de fait s’annonce, accompagnée d’une égalité dans la loi. Peut-être bien que le changement débute dans les auditoires des universités et hautes écoles, avec une nouvelle génération informée et consciente de ces problématiques.

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