La Ligue du LOL: quand des « caïds » de Twitter, surtout journalistes, harcelaient des femmes

Le cyberharcèlement n’est pas neuf, loin de là. Mais les harceleurs ne sont pas toujours ceux à qui l’on pense. Un article de Libération et plusieurs témoignages ont remis la « Ligue du LOL » au-devant de l’actualité. Il s’agissait en fait d’un groupe Facebook créé à la fin des années 2000 et composé de gens influents sur Twitter. Pour quoi faire? Se moquer, troller, harceler, notamment des femmes. Problème: beaucoup de ses membres sont des journalistes connus, dont certains s’autoproclament féministes aujourd’hui.

À la fin des années 2000, Twitter n’est pas le réseau social populaire que l’on connaît aujourd’hui. Les pionniers y forment une solide communauté. Leur voix compte, leurs followers s’accumulent. Journalistes, communicants, spécialistes en marketing; ils sont à Twitter ce que les influenceurs sont à Instagram, ils règnent en maîtres et mieux ne vaut pas trop s’y attaquer.

À l’initiative de Vincent Glad, journaliste à Libération, qui compte aujourd’hui 145.000 followers, certains d’entre eux décident de rejoindre le groupe Facebook « La Ligue du LOL ». Un groupe privé pour faire « des blagues, qu’on ne pouvait pas faire en public. C’était brillant, c’était bête, il y avait ce côté observatoire des personnages de Twitter, on s’échangeait des liens, des photos, on se moquait des gens », raconte sur sa page Facebook Henry Michel, l’un de ses membres, 24.000 followers sur Twitter.

Se moquer des autres en secret sur un groupe Facebook privé? Jusque là, pas de drame. Chacun fait ce qu’il veut après tout. Le commérage, c’est vieux comme le monde. Là où ça se corse, ce sont les campagnes de cyberharcèlement de certains des membres du groupe à l’égard d’autres utilisateurs de Twitter, dont beaucoup de femmes, si l’on en croit les témoignages qui s’accumulent ces derniers jours.

Entre antiféminisme et grossophobie, montages à l’appui

« Pendant plusieurs années sur Twitter, moi et d’autres copines féministes, on a été la cible de ces petits mecs parisiens qui se foutaient de notre gueule. J’étais grosse, donc je n’avais pas le droit à la parole », écrit l’une d’elles.

Le harcèlement prenait plusieurs formes raconte une autre: « Cétait de l’acharnement, je me suis aussi faite harceler, avec des insultes, des photomontages, des gifs animés avec des trucs pornos avec ma tête dessus, des mails d’insulte anonyme ».

La journaliste Capucine Piot a décidé d’écrire un thread pour raconter son expérience. Il y a de quoi être estomaqué: « La Ligue du LOL m’a repérée et a commencé son travail de sape petit à petit: montages photos, vidéos visant à se moquer de moi (…), critiques récurrentes sur mon apparence.Tout ça de façon régulière, gratuite, et entraînant tout un tas de twittos dans leur sillage malsain et dévastateur. »

On semble donc bien loin des petites moqueries évoquées, voire même de la condescendance. Le pire étant que certains des membres de la ligue – dont voici une partie de la liste (fiable) – ont été les premiers à crier au scandale lors de la vague #metoo quelques années plus tard.

« Un grand jeu »

Certains tiennent aujourd’hui à présenter leurs excuses: « Aux personnes qui se sont senties visées ici ou ailleurs depuis 11 ans par une ou plusieurs de mes saillies ricaneuses, je peux difficilement dire autre chose qu’un sincère « je m’excuse, c’était vraiment pas malin, et ça ne se reproduira plus ».

Mais d’autres dont Henry Michel nuancent la portée antiféministe du groupe: « Il y avait de tout. Il y avait déjà à l’époque des gens incapables d’être antiféministes, il y avait des connards (…) des gens drôles et des gens pas drôles ou qui essayaient de l’être. » Il poursuit: « Tout le monde y passait, l’humour et les vannes n’étaient pas ciblées sur une catégorie, une classe ou une minorité. Ça allait des influenceurs aux blogueuses mode aux spécialistes high-tech, aux féministes aussi. »

Vincent Glad va dans le même sens: « Nous étions influents, et c’est vrai que si on critiquait quelqu’un, ça pouvait prendre beaucoup d’ampleur, affirme-t-il. Il y a une part de vrai là-dedans, une part de gens qui ont pu se sentir légitimement harcelés. Mais il y a aussi une grosse part de fantasme. »

Entre excuses et autodéfense, il poursuit: « On nous a un peu attribué tous les malheurs d’Internet. (…) À l’époque, j’en prenais plein la gueule aussi. On se disait que c’était un grand jeu. C’était une grande cour de récré, un grand bac à sable. C’était du trolling, on trouvait ça cool. Aujourd’hui, on considérerait ça comme du harcèlement. »

À moins que ça ne l’ait toujours été, mais que certaines personnes ont maintenant décidé d’en parler.

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