La communication du gouvernement Michel n’est pas au top. Le scénario dans lequel Jan Jambon (N-VA) et Koen Geens (CD&V) aurait traité d’une manière ordonnée ce qui s’est bien ou mal passé dans l’enquête sur Ibrahim El Bakraoui a foiré. Finalement, Jambon a choisi la fuite en avant en annoncant sa « démission » et Geens devait suivre. Les dégâts sont grands et les ministres soudain très vulnérables. Car les questions sont toujours là.
Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) et le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) peuvent s’attendre à une séance de questions qui sera difficile à la Chambre. Des questions sur comment la justice et la police belge ont géré l’affaire avec le terroriste Ibrahim El Bakraoui et surtout quelles fautes ont été commises.
Car comment expliquer que le terroriste, un gangster qui a été emprisonné, viole les conditions de sa libération conditionnelle et soit renvoyé deux fois par la Turquie et que la justice et la police belge ne sachent pas?
Ce problème de communication n’aurait pas dû aller si loin, c’est ce que disent différentes sources au gouvernement. Car tout le jeudi matin, on a travaillé sur un scénario selon lequel le gouvernement allait communiquer de manière offensive. Une conférence de presse, dans laquelle tous les détails minutieux à propos d’Ibrahim El Bakraoui auraient été expliqués, avait été échafaudée. Come clean, jeter toutes les informations, se jouer des journalistes et espérer que la tempête passe, ça c’était le plan.
Mais ça s’est passé tout à fait autrement. Le récit de Jambon et Geens qui, au cours d’une session de nuit ont parlé de démission au Premier ministre, est sorti dans la presse. L’opposition, qui était en train de gérer la solennité du deuil de la manière la plus digne possible, s’est énervée. Et à l’intérieur du gouvernement, il était question de comment la communication avait échoué. En plus, maintenant, une commission d’enquête parlementaire promet quelques semaines d’agitation encore.
Une nuit de travail
L’histoire commence mercredi soir vers 6h. Le président turc Recep Erdogan lance une petite bombe sur le gouvernement belge et néerlandais. « Nous avons arrêté Ibrahim El Bakraoui à la frontière syrienne et nous avons averti les Belges. Et finalement, l’homme a été renvoyé en avion vers les Pays-Bas », c’est ce qu’a déclaré Recep Erdogan.
Au gouvernement, tout le monde voit rouge. Cette nuit-là, les cabinets Geens et Jambon et les Vices-Premiers ministres organisent des sessions pour analyser le dossier et tous ses détails. Les présidents de parti sont aussi impliqués dans cette affaire sensible. Geens a la malchance d’entre-temps passer sur la VRT et il doit bien communiquer sur les propos d’Erdogan. « Mais dans le journal de Wim De Vilder, il est complètement dans le brouillard », dit une source au gouvernement.
Michel, Jambon et Geens
Jambon et Geens se rendent alors au 16 rue de la Loi. Cette nuit-là, ils discutent pendant des heures de cette affaire. Il apparaît clairement que des fautes ont été commises. Différentes sources indiquent que l’officier de liaison qui est en Turquie pour donner l’information n’a pas fait son job correctement. « Il se serait endormi ».
L’information n’est pas bien passée ou n’a pas été bien traitée. La Cellule terrorisme de la police fédérale a reçu le 29 juin 2015 l’annonce qu’El Bakraoui avait été attrapé à la frontière syrienne. Mais ils ont dit « qu’il ne figurait pas sur la liste noire des terroristes ». Cela a duré jusqu’au 9 décembre 2015 avant que la Cellule terrorisme fasse le lien avec les autres services belges sur El Bakraoui.
C’est également clair, maintenant, que la collaboration entre la Justice et l’Intérieur n’était pas ce qu’elle devait être. À la question de savoir si l’agent de liaison en Turquie, travaillant pour la police judiciaire, était du ressort de la Police ou de l’Intérieur, la réponse est « complexe ». Les deux ministres se soutiennent.
Il y a aussi des questions concernant le tribunal d’application des peines et la libération anticipée d’El Bakraoui. Malgré les rapports négatifs, il était toujours en liberté. Mais c’est purement une responsabilité judiciaire. Rien ou presque ne peut être reproché à Geens. Depuis l’affaire Dutroux, tout a bien changé pour éviter ce genre de situation avec une responsabilité politique. Seulement, El Bakraoui n’a pas donné signe de vie depuis fin juin et a violé les conditions de sa libération conditionnelle et cela ne figure pas dans les bases de données jusque fin août, ça pose question.
Les conclusions de cette nuit-là sont claires: personne n’est clean. La justice comme la police. Mais quelle est la responsabilité politique? « Si Jan part alors Koen doit partir aussi » clame le camp de la N-VA. Au CD&V, ils ne voient pas de raison pour démissionner. Mais Jambon a mis sa démission sur la table et Geens aussi. Il montre une volonté de démissionner mais lie son sort à celui de Jambon.
Mais le Premier refuse: ce n’est pas le moment vu les circonstances. Et les fautes ne pèsent pas assez lourd ont-ils estimé tous les trois. Et bien sûr, les présidents de parti sont aussi dans le jeu: Wouter Beke (CD&V) et Bart De Wever (N-VA) se sont téléphonés assez longuement. Personne ne sort, ils ne sont pas tirés dans les pieds les uns des autres mais ils se soutiennent.
Le plan et le kern
Jeudi soir, la presse est destructrice sans qu’elle connaisse tous les détails. Le plan est: communication ouverte. Organiser une conférence de presse où le dossier El Bakraoui est expliqué. Le mot d’ordre: transparence.
Mais le kern a été plus en profondeur dans le dossier, et là il semblerait que ça coince. Geens propose de faire la conférence de presse avec tout le kern. Les autres déclinent, les dossiers sur la sécurité ont toujours été la prérogative de Jambon et Geens, maintenant ils doivent nettoyer, c’est le raisonnement. Pas un mot sur une possible démission d’après plusieurs personnes impliquées. Il a seulement été question de la « commission d’enquête ». De cette manière, le gouvernement donne le flambeau au parlement qui a exigé cette commission. Tout le monde à l’intérieur du gouvernement Michel peut croire à la transparence totale. Mais à l’intérieur de la Chambre, il est question que plus personne ne communique.
L’attaque est la meilleure défense, non?
À la N-VA, on a décidé que l’attaque était la meilleure défense et que Jambon allait communiquer. Le Vice-premier de la N-VA a cherché la meilleure équipe de reportage et a donné une interview sur VTM, à nouveau. Il raconte que c’est bien vrai qu’il voulait démissionner. Est-ce parce qu’il n’avait pas dormi ou qu’il était stressé? Jambon déclare: « que le kern lui a demandé ce matin de rester compte tenu de la situation. En situation de guerre, tu ne peux pas quitter le terrain ».
Quelques collèges ont avalé leur café de travers. Le CD&V et Geens aussi. Il a vite été dire qu’il avait aussi donné sa démission. Mais les autres collègues du kern faisaient les grands yeux: ils n’ont pas de souvenirs de lui avoir demandé de rester comme Jambon l’affirme. Ils n’ont pas non plus de souvenirs de l’explication » tu ne peux pas quitter le terrain en cas de situation de guerre ».
« Ca ne marche pas. Ce sont les présidents de parti qui donnent ou pas leur soutien à la question de la démission pas le kern » témoigne un insider. Le fait est: la communication a fait plus de mal que de bien. Soudain, l’opposition se réveille et la presse commence à creuser de plus en plus profond dans le dossier El Bakraoui. Jambon et Geens sont devenus nerveux même si la majorité a décidé qu’ils restaient.
« Il s’agit seulement d’un terroriste »…
Sur VTM, Geens a construit son argumentation sur le fait qu’il ‘s’agit d’un terroriste ». « Dans ce cas-ci, il n’y a pas qu’un homme, Ibrahim El Bakraoui, présent dans les attentats ». »Naturellement, la responsabilité de la justice et de la police va être étudiée pour toutes les autres personnes qui ont participé aux attentats.” Une défense douteuse: il ne recevra pas beaucoup de compréhension de la part de l’opinion publique avec une telle position.
Ce qui est sûr c’est qu’une commission d’enquête va suivre. Dans les prochaines semaines, le dossier va de nouveau surgir et cela sous l’oeil de la presse. Ce qui ne sera, pas le moins du monde, agréable.
En plus, il y a la vulnérabilité politique, un ministre qui présente sa démission n’est pas bien pas dans ses baskets. Au moindre élément qui arrive, il peut être ébranlé. Et dans ce dossier, il y aura de nouveaux éléments. Pour en nommer un: le rôle des Pays-Bas et de la Turquie. Ils ont aussi des informations dans le dossier et pas la moindre intention d’épargner leurs collègues belges. Geens et Jambon vont passer des semaines difficiles avec ces dossiers.