La Belgique ne sera pas pionnière pour contrer l’obsolescence programmée: les raisons d’un acte manqué

La durée de vie de certains produits commerciaux pose beaucoup de questions. Les Belges sont d’ailleurs très sensibles à cette problématique. Pourtant, la majorité fédérale a décidé de botter en touche. Officiellement, car la Belgique n’est pas prête et qu’elle attend un premier pas de l’Europe. Ce n’est pas du tout du goût de l’opposition qui a déjà présenté trois propositions de loi, toutes rejetées. 

« Planned obsolescence » ou « obsolescence programmée » est une expression apparue en 1932. À cette époque, le taylorisme est déjà bien installé. On produit à la chaîne, et les profits deviennent énormes. C’est à ce moment qu’un certain Bernard London utilise cette expression pour la première fois, dans son livre The New Prosperity. Pour lui, la définition de l’obsolescence programmée est simple: une durée de vie courte est un moyen d’entretenir la production et donc l’emploi, éternel argument de la grande industrie.

Sauf que l’obsolescence programmée à grande échelle aura mis du temps à se généraliser. On a tous en tête ces produits increvables de nos grands-parents où seule la couleur vive d’origine faisait défaut. Ce n’est plus du tout le cas maintenant, particulièrement concernant les nouvelles technologies: smartphones, batteries d’ordinateur voire brosses à dent électriques… combien de fois as-tu déjà dû remplacer ces objets par un autre achat?

Un problème connu en Belgique

Trop. Test-Achat a récemment dit avoir reçu pas moins de 7.000 plaintes sur sa nouvelle plateforme « tropviteusé« . Les Belges sont particulièrement sensibles à cette thématique et n’en ignorent certainement pas l’existence. Il aurait donc été judicieux de légiférer pour protéger les consommateurs, mais la majorité fédérale s’y est refusée. Une question: pourquoi?

Pour la députée fédérale Caroline Cassart-Mailleux (MR), qui se dit « particulièrement vigilante à la protection des consommateurs », il était tout simplement « trop tôt ». « Le débat doit encore avancer. Je suis persuadée que nous allons y arriver, mais il faut patienter. Si c’est pour le faire tout de suite et mal le faire, ce n’est pas mon truc. »

Le débat n’est pourtant pas neuf. Cela fait plus de deux ans que la thématique est abordée en commission du parlement. Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo à la Chambre, nous parle même d’une résolution votée en 2012 au Sénat, soit il y a plus de cinq ans. Entre-temps, Ecolo, PS et cdH, tous dans l’opposition, ont déposé une proposition de loi en la matière. Pourquoi ne pas y avoir donné suite?

Pas prêts?

« Vous savez quand vous êtes dans l’opposition, c’est toujours très facile. Mais mettre en place une loi quand on est aux commandes, c’est une autre affaire ». La proposition de loi d’Ecolo nous paraît toutefois assez complète. Quelque 18 points y sont abordés. « Nous comprenons que nos 18 points ne soient pas tous repris, mais mettons en place, à tout le moins, une définition de l’obsolescence programmée, précisons qu’elle est interdite et sanctionnée », rétorque Jean-Marc Nollet (Ecolo).

Parmi ces 18 points, on peut citer encore l’accès aux pièces détachées pour les consommateurs ou l’accès aux plans pour les réparateurs. Un secteur de la réparation que l’on pourrait d’ailleurs soutenir via une TVA plus légère et des cotisations amoindries, histoire de faire face à la concurrence chinoise. « Le secteur de la réparation, c’est de l’emploi chez nous », insiste le député Ecolo. Du côté du MR, on s’accorde sur ce point.

Sauf que rien n’a été voté dans ce sens en commission Économie de la Chambre, tout au plus une proposition de résolution qui vise à soutenir l’économie circulaire. Un écran de fumée.

À l’Europe de bouger…

Caroline Cassart-Mailleux (MR) attend en fait un signal de la part de l’Europe pour pouvoir bouger. Il est vrai que lutter contre l’obsolescence programmée doit se faire à une plus grande échelle que la petite Belgique. Mais la France, elle, a déjà pris les devants: l’obsolescence programmée y est formellement interdite et est passible de deux ans de prison et de 300.000 euros d’amende. Une avancée que relativise la députée MR: « Regardez les textes, il n’y en a pas énormément. »

« Ce n’est que parce qu’il existait un texte de loi, que des recours ont pu être déposés en France », répond Jean-Marc Nollet (Ecolo). Il est vrai qu’Apple et les cartouches d’ancre Epson font l’objet d’une enquête de la part de la justice française.

« Si on doit attendre l’Europe, on peut encore attendre », poursuit-il. Même son de cloche du côté de l’entourage de Marc Tarabella (PS), député européen en charge de la protection des consommateurs. Le parlement européen a voté une résolution en juillet dernier, appelant la Commission à légiférer. Un rapport d’initiative a même été signé en novembre 2017 pour appuyer cette demande « endéans les deux prochaines années ». On a donc le temps de voir venir.

« Un cadeau aux multinationales »

Pour Ecolo, comme du côté du député européen, il ne faut pas se voiler la face. La majorité fédérale a fait un « cadeau » aux multinationales. L’Europe sert « d’excuse »: « La majorité fait le jeu des multinationales au détriment des consommateurs et de la planète », selon Jean-Marc Nollet (Ecolo). « Le poids des lobbys est clair. Ça n’intéresse pas une série d’industriels de lutter contre l’obsolescence programmée. La majorité se fait le porte-parole de l’industrie et pas des consommateurs », nous précise-t-on du côté de Marc Tarabella (PS).

L’Europe, justement, a proposé hier au sein d’une commission du Parlement une harmonisation des garanties au niveau européen: « Vendeur ou fabricant seront responsables du produit durant deux ans après réception de celui-ci par le client », une bonne nouvelle indique Marc Tarabella. Un renforcement des droits du consommateur qui cache toutefois un énorme danger: tout devra passer par l’Europe. Un État ne pourra plus changer les règles de lui même s’il veut aller au-delà des normes européennes.

Une raison de plus pour que la Belgique prenne les devants. Sinon, il sera peut-être tout simplement trop tard.

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