Ce qu’on voit de Listminut, ce sont ces plombiers, promeneurs de chien et autres jardiniers disponibles à la minute, ou presque, tout près de chez soi. Ce qu’il y a derrière, ce sont six personnes fraîchement sorties des études et qui disent construire de près l’économie collaborative en Belgique et en Europe.
Listminut, on ne peut pas les rater sur Facebook: tu voudrais faire garder ton chien (ou réparer ton évier), tu le pourrais en deux clics. En tout cas, c’est l’idée de l’affaire. Ça plaît et de plus en plus, à voir les chiffres: il y a 50.000 personnes chez Listminut, dont 20.000 prestataires de service. Chaque mois, la plateforme traite 2.500 demandes de service. En 2015, 100.000 euros se sont échangés entre utilisateurs sur Listminut, et en 2016, 550.000. Listminut se rémunère avec une commission sur ces sommes.
Au-delà des chiffres, ce qui plaît aussi, c’est l’histoire de Listminut: celle de potes d’univ’ qui ont lancé leur boîte et ont été des pionniers de l’économie collaborative. Ça, c’est la belle histoire. En pratique, l’aventure a aussi ses aléas. Jonathan Schockaert les raconte franchement.
Listminut, à quoi ça sert?
Listminut veut qu’on puisse trouver le coup de main dont on a besoin, près de chez soi. Cette proximité est cruciale, elle renforce le sentiment de confiance. En quelques mots, Listminut c’est: la confiance, la proximité, le coup de main.
Comment cette idée est-elle venue à votre équipe de fondateurs?
On a été quatre à faire un mémoire en équipe axé sur la création d’entreprises, via le programme CPME de l’UCL (ndlr: CPME: Formation Interdisciplinaire en création d’entreprise). On a été les derniers à choisir notre sujet parce qu’on en voulait un qui ait du potentiel. À court ou moyen-terme, on avait cette volonté de lancer notre affaire. On a choisi le concept, on a été de plus en plus emballé au fur et à mesure, on a gagné l’un ou l’autre concours et à la sortie des études, on s’est lancé… Et voilà Listminut maintenant: des quatre de départ, un est toujours actionnaire mais est entré dans un cabinet d’avocats, un autre a quitté l’aventure en juillet dernier et Sébastien et moi sommes toujours à bord.
Tu conseillerais de se lancer comme tu l’as fait, de devenir entrepreneur à la sortie des études?
Honnêtement, je pense que c’est plus facile: on a moins d’obligations financières à ce moment-là. On était bien content de pouvoir rester chez les parents parce qu’on n’a pas pu se rémunérer pendant 18 mois.
Maintenant, niveau crédibilité, ça peut parfois être difficile. Cela dit, les start-ups sont de mieux en mieux vues maintenant.
Qu’est-ce qui t’a valu des nuits blanches?
J’en ai quand même souvent des nuits blanches, aux moments les plus compliqués: on a eu des problèmes juridiques parce que le cadre autour de l’économie collaborative est encore en train d’évoluer. Le lendemain d’un reportage en télé sur Listminut, on a eu l’auditorat du travail qui nous disait qu’il fallait fermer le site. Une autre fois, on nous a parlé de prison…
Aussi, on s’est lancé trop tôt pour lever des fonds: on s’était fixé décembre 2013 comme deadline et puis on a repoussé chaque fois un peu. On a fini par lever des fonds auprès de deux business angels flamands, deux privés en juillet 2014. Il était temps, il restait 100 euros sur le compte, des 5.000 que chacun avait mis au départ, en allant demander un coup de main à la famille…
Quand on se lance avec des potes… est-ce qu’ils restent des potes?
Eh bien… Le quatrième, qui a quitté en juillet 2015, était un tout bon ami. Il l’est toujours, mais on n’imagine pas l’impact d’un projet comme ça sur la vie de chacun, les attentes qu’a chacun. Il peut arriver que ça n’aille plus. Un de nous a donc arrêté, ça n’a pas été le clash mais ça reste très difficile. Les plus grosses nuits blanches, c’était à ce moment-là. Et une séparation, ce n’est pas le scénario idéal.
Une leçon que ton équipe a tirée?
Maintenant, on fait des restos RH, comme on les appelle, une fois par mois: on prend le temps de dire un truc positif et un truc négatif, comme ça on évite les non-dits au jour le jour. On voit que nos visions restent alignées. Peut-être que si on avait fait ça dès le départ, on n’en serait pas arrivé à la séparation.
Votre équipe est ultra-jeune, quel conseil donnerais-tu à qui veut embaucher des gens de 20 ans et quelque?
Oui, donc deux nous ont rejoint dès la sortie des études, un autre avait un an et demi d’expérience. Pour recruter, on ne se base pas sur les compétences au sens strict. C’est clair, un gars de marketing ne va pas devenir développeur du jour au lendemain. Mais on choisit quelqu’un qui est prêt à évoluer avec la boîte. On regarde le côté humain. On a aussi un outil qui nous permet de savoir comment une personne fonctionne, mais aussi comment on peut fonctionner avec elle, comment on peut la motiver par exemple.
On prend beaucoup de temps pour recruter et pour former les gens. Après tout, l’équipe, c’est notre plus gros coût. Parce que la première chose, vraiment, ce sont les gens.
Comment vos prestataires de service sont-ils couverts?
Si c’est une activité occasionnelle qu’ils font via Listminut, ils ne sont pas assujettis à la T.V.A. Mais chaque semaine quasi, un de nos prestataires se lance comme indépendant et crée ainsi son job: souvent, c’est en plomberie, jardinage, bricolages… La première personne à s’être lancée comme indépendante après avoir essayé via Listminut fait de la garde d’animaux.Quel est le grand challenge dans votre domaine?
La confiance: c’est ça, le gros challenge de l’économie collaborative. L’humain est très important, c’est pour ça que maintenant, on rencontre chacun de nos prestataires de service, depuis cette année. Depuis que nous les rencontrons, nous avons sélectionné 800 prestataires de service, rien que sur Bruxelles.
Qu’est-ce qui en Belgique aurait pu accélérer Listminut?
Nous étions parmi les premiers acteurs de l’économie collaborative à l’époque. Il a donc fallu, non seulement se faire connaître, mais également faire connaître le concept de l’économie collaborative. Début 2013, peu de gens imaginaient mettre des photos de leur chambre, toilettes et salle de bains sur internet pour y loger des inconnus. Aujourd’hui, il y a des hôtes Airbnb à chaque coin de rue à Bruxelles. Et même s’il y a encore beaucoup de monde qui pensent à regarder sur internet pour trouver une personne de confiance pour tondre la pelouse, monter des meubles ou garder ses chiens, j’ose espérer que ce sera différent très bientôt.
De plus, nous avons eu beaucoup de freins à cause de la loi. Mais aujourd’hui, une nouvelle loi a été votée, sous l’impulsion d’Alexander De Croo, pour encadrer et soutenir l’économie collaborative. Elle autorise chaque citoyen belge à gagner jusqu’à 5.100 €, via des plateformes agréées, sans aucune formalité administrative et en bénéficiant d’un taux d’imposition avantageux de 10 % sur le montant brut. Cette loi entre en vigueur demain (1er mars 2017) et devrait permettre de mieux faire connaître l’économie collaborative en Belgique, tout en faisant disparaître toutes les barrières à l’entrepreneuriat. Parce que nous, à l’époque, nous avons été indépendants pendant 18 mois sans nous rémunérer, mais en devant payer nos cotisations sociales…. Heureusement qu’on habitait encore chez nos parents!
La « start-up culture » prend-elle trop d’ampleur?
Oui! Il y a beaucoup trop de tout, de start-ups, de structures diverses. Beaucoup de gens ne savent plus où s’adresser et ces différentes structures finissent par se concurrencer.
La start-up devient sexy et des gens qui n’en ont jamais fait se disent coachs… Mais nous, on préfère se faire aider par des gens qui ont l’expérience de la start-up, ça a une bien plus grande valeur pour nous.
Nous sommes passés par une couveuse d’entreprise et ça n’a pas trop trop marché pour nous. Par contre, cette même expérience aurait pu avoir une vraie valeur pour une boîte dans un autre domaine, avec d’autres besoins.
Nous faisons partie du réseau ‘Entreprendre, à Bruxelles’. Là, c’est plus du partage d’expérience humaine et c’est toujours utile. On a toujours intérêt à écouter les conseils, ce n’est pas parce qu’ils sont gratuits là qu’ils sont moins bons, loin de là.
Qu’est-ce que tu souhaites pour Listminut en 2017?
On veut réussir notre deuxième levée de fonds, pour aller à l’international: on vise les grandes capitales européennes. Ça marche mieux dans les grandes villes, là on est à Bruxelles et à Paris, mais on vise une troisième ville européenne en 2017.