« Je veux voir de l’écologie chez Hanouna »: rencontre avec Félicien Bogaerts et Professeur Feuillage

Aujourd’hui, une myriade de personnalités te parlent quotidiennement de climat et d’écoresponsabilité. Parmi eux, Félicien Bogaerts du Biais Vert et Mathieu Duméry aka Professeur Feuillage, qui ont participé à la naissance des marches pour le climat via les réseaux sociaux. On les a rencontrés au CRACS pour discuter milieu vidéoludique, militantisme sur Internet et coke (mais ça c’était en off).

« Les gens qui font de l’écologie sur YouTube, soit ils sont dépressifs, soit il faut qu’ils soient très excentriques pour créer un exutoire, parce qu’on brasse quand même énormément de caca. » Savoir résumer des thématiques complexes avec des mots simples, c’est décidément le talent qu’a Mathieu Duméry, à l’instar de son collègue vidéaste Félicien Bogaerts. Tous les deux vulgarisateurs sur YouTube et militants écologistes, ils profitent de conventions comme le CRACS pour se retrouver, et enfin pouvoir défouler cette excentricité qu’on retrouve déjà dans leurs vidéos.

« Quand t’as le nez dans la déliquescence du monde à longueur de journée, ça peut avoir un impact sur le moral »

Lola d’Estienne

« L’avantage qu’on a avec Mathieu, c’est qu’on fait aussi de la télé. On évolue en parallèle du milieu un peu fermé de YouTube dans un monde de décadence, de pute et de caviar. Une bonne soupape de dépressurisation. » Rien de tel qu’une blague sur la drogue pour briser la glace en début d’interview. C’est en tout cas la technique de Félicien. Être habité par la certitude que le monde court à sa perte n’empêche visiblement pas d’avoir un minimum d’humour.

« Tout est vrai, sauf la coke », précise Mathieu, sourire aux lèvres, avant que l’autre n’enchaîne: « Y a de la vérité, dans le sens où quand t’as le nez dans la déliquescence du monde à longueur de journée, ça peut avoir un impact sur le moral, même si t’as une communauté qui te soutient. »

Leur communauté, ils ont eu l’occasion de la croiser pas mal de fois ces derniers temps. Dans la rue, dans les marches pour le climat, à défendre la même cause qui les anime depuis des années. Ils ont tous les deux participé au lancement des mouvements On Est Prêts, Il Est Encore Temps ou encore J’peux pas, J’ai Climat, qui ont envahi ton fil d’actualité au cours des derniers mois. Des mouvements qui pourraient être rapprochés de celui qui avait donné naissance à Nuit Debout en 2016, contre la loi El Khomri en France, avec On Vaut Mieux Que Ca. Il s’agit cependant d’une démarche très différente pour Mathieu: « Disons que l’objectif était fixé depuis le départ avec On Est Prêt. On a travaillé dessus pendant six mois avant. Nuit Debout avait plutôt un côté « bordel anarchiste », un mouvement spontané comme les Gilets Jaunes. »

L’autre différence qu’ils aimeraient voir, ce sont les retombées qu’auront leurs manifestations, comme en parle Félicien: « La loi travail s’appelait quand même la loi Macron à la base. On voyait des gens brûler des effigies du gars dans les rues de Paris, et un an plus tard il était élu président de la République ».

Greenwashing partout, mesures écologiques nulle part

Lola d’Estienne

On pourrait penser que les retombées concrètes des marches pour le climat ont déjà eu lieu, et ce surtout en Belgique. Lors des communales, la « vague verte » a surgi, et elle pourrait bien se reproduire aux fédérales. Ce n’est cependant pas l’avis de Félicien: « Si la retombée politique des 8 mois de mobilisation, du blocage de la rue de la loi, des 100 000 personnes à Bruxelles le 2 décembre et de cette énergie incroyable qui s’est déployée dans le mouvement climat, c’est le fait que Ecolo soit devenu premier parti de Wallonie sans avoir eu à faire campagne… Je me réveillerai avec une fameuse gueule de bois. Ecolo, c’est pas un parti révolutionnaire. C’est un parti du système, pas des grands énervés de la révolution écologique. Ce serait juste mettre un label vert sur notre gouvernement. Comme Nicolas Hulot en France. »

Tous deux s’accordent pour parler de « greenwashing politique ». Installer des personnes à responsabilités qui auront les mains liées par les lobbies, mais qui donneront une bonne image au gouvernement. Ce n’est pas non plus innocent quand Félicien parle du manque d’énervement chez des figures de l’écologie comme Hulot. Mais pour mieux comprendre son point de vue, il est nécessaire d’avoir une mise en contexte de la part de Mathieu: « On est dans un film d’action qui a commencé il y a une heure et demie. Les monstres ont envahi la ville, et il ne manque plus que le héros pour débarquer et dire « allez, on va faire ça » et que tout le monde se prenne la main en s’unissant contre l’ennemi. Mais personne n’arrive on est juste là à regarder, en se disant « Oh, tiens. Un tsunami. » »

Où sont les Jack Bauer de l’écologie?

C’est en reprenant cette métaphore que Félicien déplore ce manque de personnalités fortes de l’écologie: « Où sont les Jack Bauer de l’écologie? Nicolas Hulot, je le respecte énormément, il est charismatique et intelligent, mais c’est un pleurnichard. Encore aujourd’hui, il continue de dire qu’il nourrit une amitié pour Macron et Philippe, alors qu’il s’est fait souiller par ces gars. »

« En même temps, il y a de quoi pleurnicher. », contrecarre Mathieu. On en revient au début de la conversation, cette déprime qui peut naître quand on s’investit dans la cause écologique.

Le remède à l’effondrement (comprenez du climat et du mental d’un écologiste): l’investissement financier, une réelle mobilisation de la part des institutions, additionnés aux actions du quotidien que chacun peut entreprendre: « Quand les deux pôles vont se toucher, on aura enfin un changement. On en est loin. » On atteint le point de la conversation où l’excentricité se substitue à une forme de lassitude, mais aussi et surtout d’énervement. Peut-être que ça devrait être eux, les Jack Bauer de l’écologie.

« L’écologie, c’est pas un sujet grave. C’est un sujet important. »

Rien ne pourra cependant leur retirer leur humour, qui est l’une des composantes majeures de leur contenu sur les réseaux sociaux. « Travailler sur Internet permet de faire tourner des idées à des gens qui ne sont pas sensibilisés à l’écologie de base. Ils vont me voir en Amélie Poulain et Mathieu en train de sucer une bite, ils vont cliquer sur un épisode, puis rester quand je leur parle de permafrost. », explique Félicien.

Une méthode discutable pour certains écologistes, comme en parle Mathieu: « On nous a reproché d’utiliser les mêmes arguments de publicitaires pernicieux, alors que c’est un sujet grave. Mais l’écologie, c’est pas un sujet grave. C’est un sujet important. »

« Je veux voir de l’écologie chez Hanouna »

Un sujet important qui n’est, visiblement, toujours pas accepté dans l’espace médiatique. « Depuis cinq ans, on m’invite sur des plateaux et on me demande si les gens sont prêts, voire même si le réchauffement climatique existe. Ce serait pas mal qu’on passe à l’étape deux. » ajoute Mathieu. La télévision demeure cependant une composante importante de la mobilisation: « Moi, j’ai envie de voir de l’écologie chez Hanouna. Chez Morandini. C’est là qu’on touchera les gens qui ne sont pas encore sensibilisés. » Même chose chez Félicien: « Avec Plan Cult, j’aime à penser qu’un gars qui me voit interviewer Angèle et qui m’aime bien sera plus réceptif quand il verra ma tête sur Internet. »

Durant toute la discussion, on passe du rire aux larmes. C’est un peu ça, la lutte écologique. Une énorme contradiction, qui pousse à utiliser les moyens qu’on dénonce pour essayer de faire changer les choses. « J’ai eu droit à une pleine page dans Elle l’autre jour, où j’ai dû caser au moins trois fois le mot « anticapitalisme » dans une interview. Toutes les trois pages y avait des pubs pour Dior, Chanel, Yves Saint Laurent avec des sachets plastiques remplis de 3 ml de parfum. Ça m’a fait rire. » « Un peu comme une fleur sur un champ de bataille », rajoute Mathieu. Puis un rire nait, et l’entrevue se clôture. Humour, larmes et beauté.

Lola d’Estienne
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