« Je suis désolé pour ton pays »

Avant d’entrer dans le vif du sujet, sachez que je ne tirerai pas en longueur ce message adressé à l’Europe et, plus généralement, aux dirigeants occidentaux, et que je mâche mes mots pour rendre cet écrit politiquement correct. À chaque voyage que j’entreprends, je suis toujours fier de dire que je suis Belge, ravi de corriger tous les anglophones que je croise lorsqu’ils appellent nos frites « French fries » et de rappeler à nos amis du monde que, yes, Tintin, les Schtroumpfs et Stromae sont Belges. Cette fierté ne me quittera jamais. Quant au fait d’être Européen, je ne m’en souciais guère et ne m’en servais que comme laissez-passer. Aujourd’hui, j’en suis de plus en plus embarrassé.

Au lendemain du 22 mars 2016, alors que je me rends à la Sécurité Générale du Liban pour renouveler mon visa, parce que, croyez-le ou non, je me sens plus en sécurité au Liban qu’en Europe, voilà que je croise un ami syrien sur le chemin. Il a vingt-deux ans et avait commencé ses études à l’Université d’Alep en janvier 2012 avant de devoir quitter précipitamment son pays et de se réfugier au Liban. Aujourd’hui, il travaille dans un bar où il accueille, sourire aux lèvres, des dizaines de Libanais et d’étrangers au quotidien. Ce matin donc, il me salue mais me regarde avec tristesse. Puis, il porte la main à son cœur et me dit : « Je suis désolé pour ton pays ».

J’ai souri, je l’ai remercié et j’ai rapidement dévié la conversation. Pourquoi? Simplement, parce que ce qui fait mal, c’est de voir sa bonté de cœur et celle de tous les réfugiés que j’ai eu l’occasion de croiser pendant onze mois au Liban. Leur pays est en ruine, ils n’ont plus vu leurs proches depuis des mois voire des années pour certains car ils ne peuvent plus retourner en Syrie ou parce que leur famille a été décimée. Tous leurs rêves d’avenir se sont effondrés, s’agissant de leurs études, de leur travail ou de leurs projets familiaux… Et pourtant, ils arrivent encore à ne montrer que compassion et délicatesse à l’égard de ceux qui n’ont finalement rien perdu (au-delà des victimes et de leurs proches bien évidemment!), si ce n’est une certaine insouciance qui ne durera qu’un temps.

Le sentiment que j’éprouve quand mon ami me dit cette phrase ce matin, c’est celui de la honte. La honte d’appartenir à une Europe qui n’a rien fait quand Bachar a décidé de massacrer son peuple. La honte de posséder un passeport de blanc européen qui m’ouvre les portes du monde entier alors que nos pays tentent de fermer leurs frontières pour ne pas être envahis par le malheur des autres. La honte de représenter dans l’abstrait la richesse, la liberté et le succès sans avoir la possibilité de les partager à cause de la société binaire dans laquelle les gouvernements occidentaux nous ont coincés. Enfin, la honte de faire partie de cette moitié du monde qui, depuis 2011, n’a jamais mis la main au cœur un beau matin pour dire aux Syriens : « Je suis désolé pour ton pays ».

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