Du jamais vu dans la politique belge: l’Europe est devenue une ligne de faille. Alors que nous avons été pendant des années les petits premiers de classe du projet européen, et que chaque parti se présentait comme pro-européen, ce n’est plus le cas. La N-VA se trouve dans une fraction avec les conservateurs britanniques et le CD&V, l’Open Vld et le MR ne sont pas très à l’aise avec ça.
L’Europe donne des cheveux gris au gouvernement fédéral. Hier soir, sur le plateau de Terzake, le Vice-premier ministre Kris Peeters (CD&V) a, à nouveau, mis les points sur les i: la critique de Bart De Wever à propos de la Grèce n’était pas appropriée ni correcte. Et aussi: les principes de Schengen doivent rester ainsi.
Le même jour, la présidente de l’Open VLD, Gwendolyn Rutten, avait déjà critiqué la N-VA. « Nous ne pouvons pas en croire nos oreilles. Il met la crédibilité du Premier ministre en jeu ». Et les deux ont donc réitéré leur foi absolue dans « Schengen », le principe des « frontières ouvertes » et du « projet européen » qui doit continuer. Ce n’est pas un hasard qu’il soit tant question de Schengen. Il ne s’agit pas seulement de discuter de grands principes.
Et dans les coulisses, les critiques sont encore plus dures. Et ce dont la N-Va est vraiment accusée, c’est de son manque de loyauté envers l’Europe dans la gestion quotidienne. Et le noyau de l’affaire: Jan Jambon aurait délibérément violé Schengen, et cela aurait affecté la position diplomatique de notre pays en Europe.
N-VA sur la ligne de l’Europe de l’Est, de l’Autriche et du Royaume-Uni
Que le dossier « Europe » pourrisse depuis des années entre les partenaires du gouvernement est clair, mais la plaie semble actuellement plus ouverte que jamais. La crise des migrants ne divise pas cette équipe dans l’approche pratique parce que, là-dessus, tout le monde est d’accord. Non, c’est l’approche européenne qui divise.
Dans les rangs de la N-VA, l’analyse est claire comme de l’eau de roche: Angela Merkel, et elle seule, est responsable du drame de l’asile. Son « Wir Schaffen das » a ouvert les vannes. Et dans un second ordre, la N-VA s’en prend à la Grèce d’Alexis Tsipras, qui « encourage des gens à atteindre l’Europe ». Au coeur du continent, d’autres pays vont dans le même sens, comme c’est le cas des pays de l’Europe de l’Est, l’Autriche et le Royaume-Uni. La Macédoine a déjà fermé ses frontières et les Grecs voient leur pays envahir. La même coalition des pays d’Europe de l’Est, de l’Autriche et du Royaume-Uni soutient ce pays de manière manifeste et active. Et soutient donc aussi De Wever.
Mais pas la Belgique en elle-même, bien au contraire. Notre Premier ministre Charles Michel (MR), est un européen convaincu, tout comme notre ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR). Pour eux, la solution à la crise de l’asile va au-delà de l’Europe. Ce n’est pas un hasard si Michel se positionne dans les discussions sur le Brexit avec David Cameron comme défenseur de l’expression « an ever closer union », dans les principes de base de l’Union européenne. Une phrase que Cameron veut voir détruite. Ce même Cameron qui reçoit régulièrement De Wever au Downing Street 10.
La loyauté de Jan Jambon
En tant que président de parti, De Wever peut de temps en temps faire des déclarations fortes, sans que ça ne devienne l’affaire du gouvernement. Mais c’est justement ce qui se dit dans les coulisses du fédéral qui devient intéressant: Jan Jambon a-t-il agi avec loyauté en ce qui concerne les contrôles supplémentaires aux frontières de la Flandre occidentale? Poser la question, c’est déjà y répondre pour les libéraux et les chrétiens démocrates.
Le week-end dernier, la Commission européenne n’a pas été « amusée » par la Belgique. Avec le renforcement des contrôles aux frontières et le déploiement de 290 policiers à la frontière française, près de Calais, la gouvernement fédéral n’a « délibérément pas respecté les accords de Schengen ». Un blâme ferme pour notre pays. « C’était vraiment trop difficile de suivre les procédures correctes? Ou est-ce une manière de faire savoir au reste de l’Europe que nous aussi, tout comme les pays de l’Europe de l’Est, sommes prêts à laisser tomber Schengen? », se demande une source haut placée.
Le plus douloureux c’est que le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, un socialiste, a ouvertement attaqué la Belgique sur cette question. Il s’est montré « surpris » de la décision de notre pays de maintenir les contrôles à la frontière franco-belge. Le Premier ministre, Charles Michel, a publiquement défendu son ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA), « nous avons donné toute l’information là-dessus il y a déjà des semaines ». Il pouvait difficilement faire autrement vis-à-vis des Français…
L’Europe sur la sellette: c’est nouveau pour la Belgique
Flashback sur l’été 2014 avec une apparemment douloureuse zone de turbulences entre la N-VA et l’Open Vld à propos de l’Europe. Depuis des semaines, la N-VA flirtait avec la fraction libérale ALDE en Europe. Jan Jambon et Johan Van Overtveldt (N-VA) sont même allés parler avec Guy Verhofstadt (Open Vld), pour savoir si la N-VA pourrait rejoindre ALDE. Finalement, De Wever a lui même décliné l’idée: la N-VA a fini auprès des conservateurs britanniques.
Cette décision a d’importantes conséquences, jusqu’à aujourd’hui. Parce que de facto la N-VA suit sa propre ligne de conduite dans deux grands dossiers européens du moment. Autour de la crise de l’euro, le ministre des Finances Johan Van Overtveld s’est avéré être un hardliner au sein de l’Europe, lui qui travaille à mettre sous pression les Grecs avec le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble. Ça n’est pas dans la ligne traditionnelle de la Belgique mais bien dans la ligne de conduite des propres convictions de Van Overtveldt et de son parti.
Et c’est aussi le cas dans le dossier de la crise des migrants, dans lequel Jambon et Theo Francken (N-VA), le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration jouent un rôle primordial. Francken a eu une grave altercation avec son collègue grec, le ministre de la Migration. Il a été révélé à la BBC que Francken aurait dit: « que les réfugiées doivent retourner à le mer. » Francken l’a nié dans toutes les langues et les Grecs ont finalement dû admettre que ces déclarations n’étaient pas vraies. Il a été question de « pushbacks », une confusion donc. Seulement, ces pushbacks ne sont pas des positions officielles du gouvernement, mais bien un point du programme de la N-VA.
C’est un dur réveil pour les libéraux et les chrétiens démocrates. Personne dans le gouvernement n’aurait pu imaginer que cela valait la peine de consacrer du temps et de l’attention à la position de la Belgique dans l’Europe . Le CD&V, l’Open Vld et le MR se basaient sur du « business as usual« , la même approche pro-européenne que suit notre pays depuis des années. Mais c’était sans compter avec ce grand acteur au gouvernement, la N-VA. Elle suit en effet une logique tout à fait différente, et ne semble pas vouloir dévier de sa ligne de conduite. Un rude échange de tweet entre la présidente de l’Open Vld, Gwendolyn Rutten, et la Vice-président de la N-VA, Sander Loones, en témoigne: aucun des deux n’est prêt à plier. Voilà un cocktail bien dangereux pour un gouvernement stable.
.@SanderLoones Dit is ècht verkeerd. Onze taak is oplossing te vinden waarop we trots kunnen zijn ipv ons te schamen pic.twitter.com/0DBobRHr4L
— Gwendolyn Rutten (@RuttenGwendolyn) 29 février 2016
.@RuttenGwendolyn Wie zich niet aan de afspraken houdt, moet daar in eerste plaats zelf gevolgen van dragen #Responsabilisering #Griekenland
— Sander Loones (@SanderLoones) 29 février 2016