Et si on arrêtait d’afficher le nom et la tête des terroristes qui commettent des attentats?

Abdeslam, Abrini, Kouachi, Merah… Les noms et les visages de tous ces terroristes sont connus de tout le monde. Souvent, ils sont bien plus célèbres que leurs nombreuses victimes. Mais faut-il vraiment faire de ces tueurs des « stars » en les affichant de la sorte dans les médias? C’est la question que pose une pétition signée par près de 75.000 personnes, qui demande tout simplement l’anonymat pour les terroristes.  Un anonymat qui peut dépendre des cas de figure.

L’anonymat des terroristes est un débat qui avait déjà été lancé en France après l’affaire Merah en 2012. Un débat vite oublié puisque tout le monde connaît le nom et le visage des terroristes qui ont semé la mort derrière eux depuis. Après l’attaque de Nice le 14 juillet, un lycéen a relancé cette question en publiant une pétition sur le site Change.org: « Pour l’anonymat des terroristes dans les médias ».

Bientôt 75.000 signatures

« Que nous apporte la connaissance de l’identité d’un tueur de masse? Pourquoi en faire une « super-star »? », demande l’auteur de cette pétition. « Je lance donc aujourd’hui un appel aux médias nationaux: cessez de diffuser l’identité des terroristes! Cela n’apporte rien, mis à part une notoriété d’outre-tombe pour l’auteur ou les auteurs de massacres. »

Il précise que les familles et proches des victimes des attentats auront évidemment le droit de connaître le nom du ou des terroriste(s) s’ils le souhaitent. Cette pétition, lancée le 16 juillet, rencontre un franc succès: elle a bientôt atteint les 75.000 signatures ce mercredi, dont celles de personnes célèbres comme Bernard-Henri Lévy.

Dès que ce total sera atteint, la pétition sera envoyée au conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) français. « Cette pétition n’est qu’une proposition, qui peut ne pas recevoir de réponse favorable de la part du CSA. Si tel était le cas, elle aura tout de même été un moyen d’entamer une réflexion sur le traitement de l’information par les médias », explique l’auteur de cette pétition à la Libre.

Impossible, l’anonymat?

Demander à tous les médias de conserver l’anonymat des terroristes semble impossible, notamment en raison du droit à l’information. « Même en légiférant sur le sujet, des informations sortiront dans la presse étrangère » explique aussi dans 20 Minutes Aline Lebail-Kremer, de l’association française des victimes du terrorisme. Et si les médias « traditionnels » (télé, web, ou presse écrite) décident de cet anonymat, les médias des groupes terroristes se chargeront de relayer largement l’identité des leurs.

EPA

Inutile, peut-être même contre-productif?

Le journaliste français David Thomson, spécialiste de la question djihadiste, juge que cet anonymat des terroristes ne changerait rien du tout. « Le processus d’héroïsation se fait lui aussi au sein de la jihadosphère. Elle compte déjà de nombreux héros que le grand public ne connaît pas », a-t-il écrit dans Libération, assurant aussi que « le fait de diffuser nom et portrait des terroristes n’a aucune incidence sur le rythme des attentats », ce qui semble, malheureusement, vrai.

« Au contraire, ne pas publier ces données développerait les théories du complot déjà nombreuses alors que les informations circulent », ajoute-t-il. Là aussi, le journaliste touche un point sensible avec cette fameuse « théorie du complot » chère à certains… Pour lui, il ne faut pas « vivre dans le déni » mais plutôt « regarder la menace » en face. Et donc publier la photo des terroristes, quitte à faire d’eux des « stars ».

Parfois, publier les photos peut servir

Le débat mérite dans tous les cas d’être posé. Quel est l’intérêt de balancer quelques heures seulement après l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray le nom et le visage du terroriste qui a tué le prêtre? Par contre, cacher le fait que ce sympathisant de Daesh ait tenté à plusieurs reprises d’aller en Syrie et qu’il portait un bracelet électronique semble impossible: ces informations méritent d’être portées à l’attention du grand public pour qu’il se fasse sa propre opinion sur l’efficacité des mesures de sécurité.

Autre cas où la publication d’informations ou des photos des terroristes semble importante: quand ceux-ci sont recherchés par la police, comme par exemple après que Salah Abdeslam ou Mohamed Abrini ont fui les lieux des attentats de Paris et de Bruxelles. Publier leur visage peut aider la police à récolter des informations sur eux (même si beaucoup se révèleront fausses malheureusement…) ou pousser les terroristes à faire une erreur car ils sentent l’étau se resserrer.

Des médias français choisissent l’anonymat des terroristes

Mais en quoi afficher la tête et le nom des auteurs des attentats de Bruxelles, ou de celui de l’attaque de Nice a fait avancer le débat? Cela ne semble qu’offrir une exposition médiatique à des tueurs, ce qu’ils recherchent et ne méritent pas… Plusieurs médias français et non des moindres (Le Monde, BFM TV, Europe 1, La Croix…) ont ainsi décidé de ne plus publier les photos des terroristes, et de ne mettre que leur prénom accompagné de l’initiale de leur nom de famille.

« Nous voulons éviter de faire une mise en avant involontaire de ces gens, avec des photos qui, de plus, sur l’antenne d’une chaîne d’information en continu, reviennent plusieurs fois dans la journée. Nous voulons aussi éviter de mettre les terroristes au même niveau que les victimes, dont nous diffusons des photos », a justifié Hervé Béroud, directeur de la rédaction de la chaîne d’informations BFM TV.

La France réfléchit à faire une loi

La question de l’anonymat des terroristes pourrait bientôt évoluer un peu plus en France. C’est ce qu’a expliqué Juliette Méadel, la secrétaire d’Etat chargée de l’Aide aux victimes, à Metronews il y a peu: « Nous sommes en train de travailler avec Axelle Lemaire (secrétaire d’Etat chargée du Numérique). La réflexion est aussi engagée avec le ministère de la Culture et de la Communication. Mon objectif est de faire des propositions à la rentrée prochaine. (…) La question est de savoir comment préserver la liberté de l’information tout en gardant une certaine décence vis-à-vis de la mémoire des victimes ».

Elle n’a pas donné plus de détails, mais a promis que cette loi n’empiéterait pas sur le principe de la liberté d’informations des médias. Cette possibilité d’une loi ne semble pas encore avoir traversé la frontière: ce serait peut-être une idée sur laquelle nos politiques pourraient réfléchir…

Sources: La Libre, 20 Minutes, Metronews
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