Tout de même, face à l’afflux de migrants, « il faudrait aux frontières de l’Europe qu’on puisse avoir un contrôle beaucoup plus ferme. Que nous n’avons pas… ». Elio Di Rupo (PS) nous a raconté ça mais aussi son enthousiasme pour Bernie Sanders, son dernier passage chez Ikea et sa vie de Président de parti quand nous l’avons conduit de Bruxelles à Mons.
Elio Di Rupo nous attend à l’heure pile, et même un peu avant, à l’arrière du siège du Parti socialiste. Nous lui donnons un lift vers Mons. Du travail et des rendez-vous l’y attendent « jusque 22 heures » mais c’est une journée à peu près normale vous savez ». Elio Di Rupo a encore du pain sur la planche, il accepte donc avec gratitude notre café. Il accepte aussi de nous co-piloter, « Alors ici soyez attentive, on va à droite, on vise vraiment le coin de l’immeuble, tout droit, à gauche et puis à droite ». Et voilà, entre-temps, le café est servi. « Ah mais c’est une grosse tasse ». Toute grosse qu’elle soit cette tasse, Elio Di Rupo soulignera tout de même vite que c’est une performance de garder le café à l’intérieur: « Ici, à gauche, les piétons ont priorité, priorité, stop, stop, stop! ». Et c’est là qu’on se met à se tutoyer, « ah mais avec plaisir ». Après tout, on a quand même un petit bout de chemin à faire ensemble…
« J’ai des projets pour mon parti »
Elio Di Rupo a retrouvé au quotidien la gestion du Parti socialiste, après son passage au fédéral. Président de Parti est un travail très particulier, reconnaît-il d’emblée, et très enthousiasmant. La présidence se joue à plusieurs niveaux. D’abord, Elio Di Rupo suit en détails tout ce qui se passe dans les régions et les communautés. D’ailleurs, tous les mercredis, il se réunit avec les différents ministres socialistes. Le Parti socialiste est dans l’opposition au fédéral – mais une opposition qui se veut force de proposition. Aussi, « un socialiste est par définition un internationaliste »: Elio a l’oeil ouvert sur le monde. Enfin, à son agenda de Président de parti, la renaissance de celui-ci et la réactualisation de son message. D’où, un grand « chantier des idées » est en cours: à la clé, déterminer la voie, les méthodes à mettre en oeuvre en 2016, 2017 autour des valeurs-clés du socialisme.
La tâche n’est pas mince, et elle s’accomplit à grands renforts de clarté, « la clarté de ce que l’on souhaite et où on veut atterrir », une extrême honnêteté et… de la patience, beaucoup de patience, nous dit-il encore.
Tu as 65 ans bientôt?
Elio Di Rupo: « Oui oui, j’en ai 65 bientôt. Le 18 juillet! Je suis né le 18 juillet! »
Et comment ça se passe quand on a 65 ans et qu’on est dans un parti qui se veut jeune?
Elio Di Rupo: « Et bien c’est très simple, ça se passe comme quand on a 30 ou 40 ans. Je n’ai aucune notion et aucun frein dû à l’âge. Non seulement nous mettons la jeunesse en avant, nous travaillons beaucoup avec énormément de jeunes. Il y a beaucoup de jeunes et de nouvelles générations au Parti socialiste. Les circonstances font que j’ai été Premier ministre un peu sur le tard, que je suis revenu a la tête du parti et élu par les militants. Mais le travail que j’occasionne n’a rien à voir avec l’âge. C’est-à-dire, je travaille comme si je commençais une carrière. En d’autres termes, j’ai des projets, des projets pour mon parti. J’ai une vision assez claire de ce qu’il convient de faire. Mais si vous regardez autour de nous, si vous prenez ne serait-ce qu’un seul exemple: Bernie Sanders aux États-Unis. Il suffit de cet exemple-là pour montrer qu’à 74 ans, il peut être un jeune parmi les jeunes. »
Tu te sens plutôt Bernie ou Hillary?
Elio Di Rupo: « Je suis très impressionné positivement et très heureux de l’action de Bernie Sanders, sans renier Hillary Clinton que je connais. (…) Elle a d’indéniables qualités. Bernie Sanders me séduit parce qu’il apporte un vent nouveau. Et puis il se déclare socialiste! Quand on disait socialiste, socialisme aux États-Unis, on était honni, on était rejeté. Aujourd’hui, on se rend compte que 80, 85% des jeunes qui ont été amenés à voter jusqu’à présent sont derrière Bernie Sanders et trouvent qu’il a raison. Ça veut dire qu’il y a cette renaissance du socialisme qui se fait dans le pays qui est un des pays les plus capitalistes au monde. »
« Il faut aux frontières de l’Europe renforcer les contrôles »
La migration est un sujet extrêmement difficile, Elio Di Rupo le reconnaît d’emblée. Mais il voudrait d’abord nous donner quelques indications (sur la route, évidemment): « il faut vous remettre là ». « Oui, je vais me glisser, hop voilà », et notre bolide est de retour sur le droit chemin. Donc, nous disions:
La Jungle de Calais: crains-tu un effet tâche d’huile?
Elio Di Rupo « Alors, c’est un sujet extrêmement difficile. Les politiques dans beaucoup de pays ont créé la peur et le rejet de l’immigration. L’Union européenne n’a pas trouvé de solution. Je suis contre le fait qu’on rejette et qu’on démantèle. On doit trouver des solutions humaines.
Mais Calais?
« Comme ça je réponds à votre question, mais pour que vous compreniez mon raisonnement, je vais vous dire ceci. Prenons la Belgique: il y a eu en 2015 35.000 demandes (d’asile, ndlr.). On croit que c’est la catastrophe, ce n’est pas la catastrophe. En 2000, quand il y a eu les événements dans les Balkans, on en a eu 40 000. Donc quand la N-VA ou d’autres font croire qu’on est submergés, qu’on ne sait pas faire face, ce n’est pas vrai. L’Union européenne, qui est la zone économique la plus riche du monde, n’accueille que 8% de tous les immigrés, de tous les migrants au monde! (…) Donc nous pourrions trouver une solution avec du travail, une solution acceptable et sans que l’on ait cette attitude de rejet, de mépris et donc cette tension à l’intérieur de l’Union européenne. Ceci étant, il faut aux frontières de l’Europe renforcer les contrôles parce que c’est là où les choses ne vont pas: on laisse passer et puis on crée des problèmes comme à Calais. Donc il faudrait aux frontières de l’Europe qu’on puisse avoir un contrôle beaucoup plus ferme. Que nous n’avons pas… »
« Maintenant, il suffit d’être prudente ». Décidément, Elio Di Rupo prend son rôle de co-pilote très à coeur. « Qui a peur dans la voiture? » « Non, moi je n’ai pas peur » affirme crânement Elio.
« Oui, j’ai des objets Ikea »
Elio Di Rupo se meuble aussi chez Ikea, maintenant on le sait. Il a des rayons Ikea, des armoires Ikea mais, plus que de son mobilier, il avait envie de parler d’Ikea à Mons. Parce qu’il a travaillé dix ans durant à ce que la multinationale vienne y ouvrir ses portes.
Tu es allé faire des courses à Ikea au moment de l’inauguration?
Elio Di Rupo: « Non, pas encore, mais Ikea, Ikea… »
Plus pratiquement, as-tu chez toi ces objets Ikea que tout le monde a?
Elio Di Rupo: « Oui, bien sûr, j’ai des objets d’Ikea. Non j’ai des rayons, des armoires Ikea. Mais cette dernière semaine il y a eu beaucoup de critiques sur Ikea… »
Ces critiques se justifient-elles?
Elio Di Rupo: « Les critiques fiscales sont justes. Ce qui n’est pas juste, c’est de pointer uniquement Ikea. Toutes les multinationales cherchent à réduire le paiement des impôts. Ça me scandalise. Pour Ikea ou pour les autres entreprises, ça ne va pas. Mais qu’est-ce qui ne va pas? Notre système belge, que nous essayons de modifier, mais nous n’avons pas la force politique nécessaire pour le faire et je n’entre pas dans les détails techniques: ça s’appelle les intérêts notionnels. En d’autres termes, les entreprises et surtout les très grandes entreprises paient peu d’impôts. »
Elio Di Rupo pointe du doigt l’ingénierie fiscale dans nos frontières et appelle encore à une harmonisation européenne sur le plan fiscal et à la fin des paradis fiscaux: « il y a un immense travail à faire. »
« Nous à Mons, pour que vous sachiez, on a travaillé durant dix ans pour que Ikea vienne à Mons. Pourquoi à Mons? Parce que quand ils sont venus pour la première fois, ils ont dit «on veut se mettre en Hainaut». Nous nous sommes dits que si l’Ikea allait à Charleroi ou dans le Hainaut français, par exemple à Valenciennes, les gens de chez nous iraient à Ikea Valenciennes, iraient à Ikea Charleroi. On a préféré faire venir les gens à Ikea Mons et en espérant aussi qu’ils viendront dans la ville de Mons. Voilà un peu l’explication. »
Tout de même, il y a là un challenge pour les plus petites entreprises. Elio Di Rupo le reconnaît: « il faudra changer le service, être beaucoup plus proche du client etc. Mais ça fait partie du monde concurrentiel dans lequel nous vivons. Si j’avais le sentiment qu’on pouvait protéger notamment les petites entreprises, je l’aurais fait immédiatement. Le sentiment, c’est que c’est comme si je faisais un trou dans l’eau. Ikea ne va pas à Mons, je le répète, Ikea va à Charleroi ou à Valenciennes. Qu’est-ce que ça aurait changé? Rien du tout. »
« La vie politique n’est pas possible sans le travail médiatique »
Elio Di Rupo est une star de la communication. Il nous explique à quelle école il s’est formé, sans même faire l’impasse sur le co-pilotage: « à gauche ou à droite, ici c’est la même chose alors reste à gauche ».
Il reprend: « La vérité est la suivante: j’avais une amie qui est morte à 95 ans et qui était l’ancienne directrice d’un lycée pour jeunes filles. Une femme exceptionnelle, qui m’a donné le gout de la culture, de la lecture, de la littérature (…). J’ai écrit beaucoup de textes et elle me les corrigeait. Et dans les corrections qu’elle me faisait, elle m’engueulait toujours parce que je disais par exemple: « je vais faire tout ce qui est possible ». Elle, elle soulignait le ‘tout’: « Une petite affaire que tu ne peux pas faire, tu n’auras pas fait tout ». Donc j’ai appris à être précis et pédagogique tant elle a corrigé mes textes et tant elle m’a engueulé. J’ai acquis cette manière d’agir pas du tout en étudiant dans une société de communication. (…) Très vite, j’avais compris que la vie politique n’est pas possible sans le travail médiatique, c’est-à-dire que si on fait la meilleure action du monde mais que ce n’est pas rapporté, que ce n’est pas éclairé par un média, c’est comme si vous n’aviez rien fait. »
On the road again
Normalement, on devait s’arrêter ici, à Nivelles. Rendez-vous était pris sur le parking avec un membre de l’équipe d’Elio Di Rupo. Mais « Allô, oui, désolé, on a raté la station-essence ». Rendez-vous est fixé au Roeulx, et c’est reparti pour un tour. Ça tombe bien, on avait encore quelques questions, sur la route justement… Et on essaie d’y arriver!
Tant qu’on est en route…
« Ah la mobilité, la mobilité »
Mais on ne va peut-être pas dans la direction que tu crois…
« Mais j’ai formulé une proposition »
Non mais: est-ce qu’on est à la merci d’un défaut d’entretien sur les autoroutes wallonnes? Est-ce qu’on va passer sur un nid de poules et renverser notre café?
(Elio Di Rupo rit) « Ah, ça! Il n’est pas prévu de fermer les autoroutes en Wallonie. En revanche, il y a un plan d’investissement, de réparation des endroits avec des trous – d’ailleurs nous en voyons quelques uns – et d’amélioration du revêtement des autoroutes. Je ne connais pas toutes les nuances et le pourquoi des tunnels bruxellois mais je voulais dire ceci: je pense que la responsabilité de la mobilité aujourd’hui est éclatée. Elle est un peu au fédéral, un peu aux régions, il y a les transports en commun, il y a De Lijn, il y a la Stib, la Tec, la SNCB, les routes, les autoroutes, etc. Je pense que le Premier ministre devrait faire une conférence interfédérale, c’est-à-dire avec les régions et le fédéral sur ces problèmes de mobilité. Il y a des jours où on devient fou: rentrer à Bruxelles, sortir de Bruxelles, c’est très compliqué. »
Il nous reste un kilomètre et demi avant Le Roeulx. « Un kilomètre » corrige Elio Di Rupo. Cette fois, pas question de rater la sortie. Un kilomètre donc, pour demander au Président du Parti socialiste ce qu’il ferait d’une journée libre qui apparaîtrait entre aujourd’hui et demain. « Ah ah ah ». L’idée le réjouit et, tout de suite, il rêve de cinéma. Il ne sait pas ce qu’il irait y voir, il y a bien huit ou neuf mois qu’il n’a plus pu y mettre les pieds. Tout de même, une chose est sûre, ce serait la séance de 18 heures parce qu’à 20 heures, Elio Di Rupo voudrait dîner avec sa famille, avec ses amis: « Je trouve que passer un moment de convivialité avec les gens qu’on aime, c’est un vrai luxe de la vie et c’est vraiment important. Alors pour sortir, je vais t’expliquer… » Oui, nous sommes déjà au parking mais Elio nous indique la voie à suivre: jusqu’à la toute dernière minute, il prouve ses talents de co-pilote. Il part, emporterait-il notre belle grande tasse newsmonkey? Oui, mais pas sans contrepartie: il la troque contre son noeud pap’. « Je suis dénudé ». Dénudé, peut-être, bon joueur certainement…