Des livreurs Deliveroo sont en colère en France à cause de leur nouveau mode de rémunération, et en Belgique?

Ce dimanche, une centaine de livreurs Deliveroo ont manifesté à Paris, Lyon, Nantes et Bordeaux. En cause: un nouveau mode de rémunération exclusivement à la course et non plus à l’heure. Un moyen pour l’entreprise de maximiser ses profits. Une perte sèche si on en croit les livreurs mécontents. En Belgique, les livreurs sont payés à l’heure plus une prime par livraison. Doivent-ils craindre un changement?

« Les forçats du bitume relèvent la tête », voici ce qu’on pouvait lire sur une des banderoles de la manifestation qui a eu lieu hier après-midi à Paris. « Pédaler pour manger, pas se faire bouffer »: l’autre slogan qui résumait le sentiment général des livreurs.

Perte sèche

Les livreurs Deliveroo ne sont pas d’accord suite à un changement majeur dans leur mode de rémunération. Depuis le 27 août, tous les livreurs français doivent désormais passer à une rémunération à la commande et non plus à l’heure. Avant août 2016, tous les livreurs au statut indépendant qui ont été embauchés étaient payés 7 euros de l’heure auxquels s’ajoutait une prime de 2 à 4 euros par course, ce n’est donc maintenant plus le cas. « En gros, c’est entre 20% à 30% de pertes pour nous. C’est énorme », déclarait à l’AFP Diego Guglieri Don Vito, 28 ans, du collectif 2CL & LFV, présent dans la manifestation lyonnaise.

Les livreurs français revendiquent de toucher 7,5 euros par course (au lieu de 5 euros actuellement en province et 5,75 euros à Paris). Faut dire que leur statut les précarise déjà pas mal. En effet, le statut d’indépendant, très intéressant pour Deliveroo, oblige les livreurs à payer des cotisations sans bénéficier pour autant de certains avantages. Ils n’ont par exemple pas de contrat de travail et donc ne cotisent pas pour leur pension, ils n’ont pas de congés payés et peuvent être virés du jour au lendemain. Une assurance accident est aussi à leurs frais et c’est à eux qu’il revient d’acheter le matériel (vélo, scooter, casque, téléphone…).

Dans les faits, seuls « 8% » des « 7.500 livreurs » sont encore soumis à l’ancienne tarification, peut-on lire dans 20Minutes. La direction de Deliveroo France disait vouloir faire converger l’ensemble des contrats dans un objectif d’équité. Pour elle, la rémunération à la course permet de générer en moyenne plus de 14 euros de l’heure. « C’est prouvé, les cyclistes qui changent de situation gagnent plus », nous confirme Charles Van Den Bogart, directeur marketing pour Deliveroo Belgique. « Tout le monde est gagnant », enchaîne-t-il: « Les gens veulent manger entre 7 et 8 heures, donc les cyclistes préfèrent travailler durant ces périodes intenses (…). Et ceux qui préfèrent des périodes moins intenses sont moins nombreux et sont donc également satisfaits ». Un argument que ne partagent pas les livreurs mécontents car ce système favorise la concurrence entre les coursiers.

Et en Belgique?

Mais en Belgique justement, qu’en est-il? La situation actuelle est la rémunération à l’heure plus une prime à la course. « Aucun changement n’est à l’ordre du jour, même si nous étudions la situation dans chaque pays », nous fait encore savoir Charles Van Den Bogart.

On a toutefois essayé d’en savoir plus sur la situation des livreurs belges et si un tel changement les dérangerait. Sous couvert d’anonymat, une source interne à Deliveroo nous fait savoir que le problème se pose moins en Belgique. « La direction n’est jamais contraire à nous rencontrer et nous disposons d’une certaine protection syndicale (Le Collectif des Coursier-e-s) ». De plus, 90% des livreurs sont des étudiants sous contrat SMART, et la direction de Deliveroo Belgique s’en satisfait, pour l’instant, très bien.

Il y a toutefois eu quelques tensions ces dernières semaines, notamment concernant la délocalisation du service clientèle à Madagascar. Une délocalisation qui a mené au licenciement d’une dizaine de personnes chez Deliveroo Belgique. Une manifestation de soutien a même été organisée fin juillet et les critiques fusaient. La plus grande peur suite à ce service clientèle délocalisé, c’est que les clients mécontents se retournent contre les livreurs.

Les livreurs ont aussi été soutenus par les syndicats CNE et CSC-Transcom lors de ce rassemblement. Qu’ils passent par la coopérative SMART ou qu’ils bénéficient d’un statut d’indépendant, ces syndicats tentent « de leur fournir une aide logistique surtout, vu qu’on n’a pas d’outils juridiques pour les aider », avait commenté pour Le Soir Martin Willems de la CNE.

Facebook Collectif des Coursier-e-s

« Chaque cas est différent »

Pour en revenir au mode de rémunération, un changement de statut fait-il peur à notre source? Et ce changement est-il à l’ordre du jour selon lui? « On va y arriver en Belgique »: Deliveroo tenterait déjà de ne plus engager les non-étudiants qui passent par la SMART, et essayerait aussi de favoriser un nouveau statut d’étudiant indépendant. Plus intéressant financièrement pour Deliveroo, mais moins intéressant pour les travailleurs vu que la Belgique est un des pays d’Europe qui taxe le plus les indépendants. De manière non officielle, Deliveroo tenterait aussi de faire passer les étudiants SMART vers une rémunération à la course, une fois leur quota d’heures de travail dépassé (les étudiants ne peuvent pas travailler autant qu’ils le veulent en Belgique).

Mais notre source interne insiste sur le fait que « chaque cas est différent ». « Si demain je passe à une tarification à la course, je perdrai 30% de mes rémunérations. Mais ce ne sera pas forcément le cas pour tout le monde ». En effet, tout dépend de la zone géographique dans laquelle travaille le livreur et du jour de livraison. Un coursier qui travaille le week-end dans une commune fortement peuplée bénéficiera d’une meilleure rémunération s’il est payé à la course. A contrario, un livreur qui travaille en semaine dans une commune comme Watermael-Boitsfort aura plus de difficultés.

Notre source anonyme nous explique que la situation de certains coursiers reste profitable: « Pour un indépendant complémentaire, c’est vraiment très intéressant, il s’agit vraiment d’un bon complément. Mais pour les indépendants complets, même s’il y en a très peu, la situation n’est pas évidente », et un changement du mode de rémunération les précariserait encore un peu plus. Il faudra voir aussi comment évoluent les contrats SMART des étudiants. Chaque situation est en effet différente, un étudiant SMART bénéficie par exemple d’une assurance en cas d’accident, ce qui n’est pas le cas d’un travailleur indépendant.

Donc voilà, aucun changement sur le mode de tarification n’est pour l’instant à l’ordre du jour en Belgique, mais on a bien lu entre les lignes que cela pourrait bouger dans les mois à venir. Pour notre source, si changement il y a, « il se fera en douceur, pas comme à Paris ». Du côté de la direction de Deliveroo Belgique, on assure « vouloir toujours agir dans l’intérêt des coursiers ». Il faudra donc tenir la situation à l’œil…

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