Dans les négociations sur le CETA, la Wallonie est seule contre tous. Et c’est du pain béni pour le PS

Le 14 octobre, le gouvernement wallon a bloqué la ratification du CETA. Et ça passe très mal partout Outre-Atlantique et en Europe, pour les entreprises et les investisseurs. La Flandre et le Fédéral, qui sont pour la signature de ce traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada, voient aussi ce blocage d’un mauvais œil. Par contre, il y a un gagnant dans l’histoire: le PS wallon. Le parti d’Elio Di Rupo peut à nouveau se hisser au devant de la scène politico-médiatique. 

Depuis que la Wallonie a confirmé son veto à l’accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada, elle a déclaré une sorte de guerre économique. Mais tout le monde ne ressort pas perdant. Pour les partis francophones dans l’opposition au gouvernement fédéral, cette position de refus est du pain béni. Le PS, surtout, est à nouveau sous le feu des projecteurs sur la scène politico-médiatique.

Le Traité de Lisbonne (en vigueur depuis 2009) octroie les mêmes pouvoirs aux parlements régionaux et nationaux. Ce qui signifie que la Flandre, la Wallonie et Bruxelles doivent tous ratifier le traité… Ils sont en droit d’accepter l’accord mais aussi de le bloquer… à eux seuls et pour toute l’Europe. C’est exactement ce que fait pour l’instant la Région wallonne. Alors que tous les pays ont déjà marqué leur accord, sauf l’Autriche et la Pologne qui préfèrent réfléchir encore un peu.

Le PS au devant de la scène

Le Parti socialiste wallon est le plus fervent opposant au CETA. Les nombreuses manifestations anti-Ceta/anti-TTIP montrent aussi que beaucoup de citoyens sont contre la ratification de ce traité. Partager la même position que les Wallons remet donc le parti d’Elio Di Rupo dans une position plutôt confortable pour les prochaines élections. Être contre lui offre particulièrement deux avantages:

1. Il peut attirer à nouveau ses électeurs qui fuient de plus en plus vers le PTB (Parti du travail de Belgique). Le baromètre politique du Soir indiquait en mai que le PTB était devenu le 3ème parti en Wallonie. Il gagne dans les intentions de vote grâce à la crise, aux politiques d’austérité d’un gouvernement considéré par beaucoup comme trop à droite. Plus à gauche que le PS, il avance donc au détriment des socialistes. Mais il peut aussi toucher les écologistes hésitants entre le PS et Ecolo.

2. Il jouit désormais d’une grande visibilité sur la scène européenne et internationale. Parce qu’elle est la seule à avoir dit non, la Wallonie a braqué tous les projecteurs sur elle. Et comme le gouvernement de la Région wallonne et celui de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont aux commandes du Parti socialiste, c’est tout bénéf pour sa popularité.

Que veut la Wallonie?

L’objectif du CETA est de créer un marché commun sans douane pour stimuler les économies de chacun. Les échanges commerciaux seraient donc plus faciles, plus rapides et moins chers. Mais pour cela, il faut que l’Europe adhère aux mêmes normes commerciales, sanitaires et environnementales que le Canada. Et c’est là où le bât blesse.

Les francophones ont surtout peur des délocalisations d’entreprises, d’une perte de leur culture (à cause de la suppression de l’exception culturelle), des licenciements abusifs, moins de protection pour les travailleurs et les consommateurs… Tous les partis francophones, sauf le MR, sont donc plus que sceptiques. Et ils ne sont pas les seuls: les syndicats, mutualités et même Test-Achats sont aussi contre.

La Wallonie n’acceptera de ratifier le traité que si le texte change. Il doit, pour cela, répondre à trois conditions:

1. Couler dans le texte du traité la déclaration interprétative du CETA qui a été récemment négociée avec le Canada. Cela permettra d’informer tout le monde correctement et de calmer les ardeurs.

2. Supprimer les tribunaux d’arbitrage qui instaurent des tribunaux privés. A cause de ceux-ci, des investisseurs privés pourront attaquer en toute liberté des politiciens démocratiquement élus et leur réclamer des amendes en cas de prise de décisions qui pénaliseraient leurs bénéfices.

3. Limiter les listes de secteurs libéralisables et créer une exception agricole qui pourra être invoquée en cas de difficulté. Parce que l’Europe occidentale fait face à une grosse crise agricole et une fois le CETA signé, le Canada n’hésitera pas à exporter des tonnes de viande chez nous. Les agriculteurs wallons ont donc peur d’une concurrence déloyale.

C’est une « déclaration de guerre » pour l’Europe

Selon les mots de la Commission européenne, repris par L’Echo, la Wallonie a signé une « déclaration de guerre à l’ordre économique mondial ». Pour elle, c’est scandaleux que la Région wallonne bloque cinq années de dur labeur pour élaborer le texte du CETA. En plus, elle est loin d’être le centre d’intérêt de l’Europe. A Bruxelles, beaucoup de membres de la Commission « découvraient » qu’il y avait un gouvernement et un parlement en Wallonie.

La France craint que la Wallonie ne mette à mal les relations entre le Canada et l’Europe. Son président, François Hollande, a d’ailleurs annoncé qu’il essayerait de faire pression sur le PS wallon.

Mais le CETA n’est pas encore tout à fait mort. Le texte doit être officiellement signé par les 28 de l’UE le 27 octobre prochain lors d’un sommet à Bruxelles. En attendant, trois scénarios sont possibles pour l’avenir.

Premier scénario: le volte-face wallon

Le PS pourrait céder à la pression internationale et faire machine arrière. Un proche d’Elio Di Rupo a avoué à L’Echo que le président du PS était contacté depuis plusieurs jours par des chefs d’État qui l’exhortent à ne pas bloquer le traité. Mais revenir sur sa position serait un jeu dangereux pour lui et son parti. Ils décevraient totalement leurs électeurs.

Deuxième scénario: la prise en compte des revendications wallonnes

Le texte pourrait être renégocié pour qu’il réponde aux conditions des Wallons ou, en tout cas, en partie. Selon L’Echo, un porte-parole de la Commission a annoncé qu’un tel processus était en cours depuis plusieurs jours. Le Coreper (le Comité des représentants permanents qui rassemble les ambassadeurs des États européens), a d’ailleurs déjà discuté de certains points.

Troisième scénario possible: l’enlisement du Ceta

Ce serait l’enterrement définitif des négociations sur l’accord de libre-échange. En tout cas pour un bon bout de temps. Les Européens et les Canadiens quitteraient la table des négociations sur un échec. Ce serait un peu comme le TTIP, l’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis, dont les discussions sont pour l’instant au point mort.

Cette piste est réellement possible car la Wallonie n’est pas la seule à vouloir mettre son veto. Huit pays ont aussi émis des réserves mais dans une moindre mesure. Par exemple, l’Allemagne exige de pouvoir quitter le CETA à tout moment si des décisions contreviennent à sa Constitution.

Quoi qu’il se passe, il y aura des perdants

Si le CETA ne passe pas, la population et les ONG seront vues comme les grands vainqueurs. Parce que beaucoup se méfie de l’ouverture des marchés, de l’abaissement des normes européennes et des décisions et institutions supranationales.

Par contre, l’image de la Belgique et celle de l’Europe seront définitivement entachées. Les investisseurs et les entreprises n’auront plus envie de commercer avec nous. Le Canada ne comprendrait pas non plus pourquoi les Francophones, avec qui il entretient des relations de longue date, refusent cette fois de collaborer.

Et puis, le vote contre aura des effets négatifs sur les négociations futures de l’Europe, notamment sur le TTIP et sur les traités post Brexit avec le Royaume-Uni.

A voir dans dix jours ce qui se passera…

Sources : L’Echo, RTL

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