« Ce ne sont pas des enfants, c’est des guerriers! » Les enfants esclaves sont une triste réalité au Sénégal: portraits

Vous imaginez-vous des enfants dans la rue toute la journée, traîner et mendier? Chez nous c’est impensable et c’est pourtant la réalité ailleurs. Au Sénégal, des enfants mendient du sucre et du riz pour leur marabout. Et dans leur culture, c’est accepté. Un jeune photographe belge, Quentin Bruno, est parti à leur rencontre et nous raconte le quotidien de ces enfants-esclaves d’un genre nouveau. 

Les talibés, comme on les appelle, ce sont des enfants qui mendient dans la rue. En arabe, ce mot signifie apprenti. Orphelins ou non, ils sont envoyés dans des écoles spéciales, des daaras traditionnels où ils sont sous la responsabilité d’un marabout. Ils apprennent le Coran et doivent mendier pour leur marabout.

Pendant un mois, un jeune photographe belge, Quentin Bruno, est parti à leur rencontre. Direction la banlieue de Dakar. Quentin n’est pas parti seul à l’aventure. Il a accompagné une association, Dafa Yow, qui tente de venir en aide aux enfants sénégalais. Grâce à l’organisation, les daaras qu’elle soutient sont de plus en plus auto-suffisants. Ils développent leurs propres centres de santé et leurs propres puits. Des cours de français sont par ailleurs donnés aux enfants. L’organisation ne veut pas que les enfants mendient et lutte pour se débarrasser de cette « pratique esclavagiste. » Il existe donc aussi des daaras modernes où la mendicité n’est pas pratiquée. Dafa Yow tente aussi d’offrir de meilleures conditions de vie aux enfants et de plus belles perspectives d’avenir. Parce que dans les daaras, la vie n’est pas tous les jours facile. Quentin a pu s’en rendre compte.

Les esclaves du 21e siècle

Tous les jours, c’est la même chose, nous explique Quentin. Réveil à 5h30, cours de Coran et d’écriture de tablette coranique et à 7h20, ils partent mendier. « Il y a plein d’articles qui les appellent les enfants esclaves. Moi ça me fait un peu mal au coeur parce que ce sont des gamins avec qui j’ai vécu donc je ne les considère pas comme esclave. Mais, au final, c’est clair que s’ils ne rapportent pas 100 grammes de riz, x grammes de sucre ou x francs CFA, ils se prennent des coups de fouet et ils doivent dormir dans la rue. Tout ça c’est fait pour enrichir d’une certaine manière le marabout. Après il y a des bons et des mauvais. Il n’y a pas que des horribles messieurs qui veulent s’engrossir sur le dos des enfants. Mais au final, oui, c’est une forme d’esclavagisme du 21e siècle. Mais ce ne sont pas des esclaves comme on les imaginerait au temps des égyptiens en train de tirer des cailloux mais ce sont des esclaves quand même ».

Nicolas Hrycaj

Ce sont des enfants sans être des enfants

Lui c’est Malik. Il a 6 ans et il vit dans le daara traditionnel. « Il me détestait quand il y avait ses potes et il m’aimait bien quand ses potes n’étaient pas là. C’était un petit fourbe comme ça mais vraiment mignon. Tout le monde l’aimait bien d’ailleurs », se souvient Quentin.

Dans le daara traditionnel, le choc culturel est flagrant: les enfants passent leur journée à mendier dans la rue. « Le but de l’association avec laquelle je suis parti c’est vraiment d’empêcher les enfants de mendier en rue et pour que, justement, ils puissent rester des enfants le plus longtemps possible », nous explique Quentin. « Ils traînent dans la rue, ils mendient, les gens les insultent et les frappent. Du coup, ils perdent toute leur enfance. » Les enfants du daara traditionnel, on peut facilement les repérer. Ils sont violents, ont les habits tout déchirés et ont faim.

Quentin Bruno / Hans Lucas
Quand Quentin a débarqué dans le daara traditionnel, il a fallu qu’il se fasse une place, qu’il soit accepté par les enfants. À première vue, on pense que ça va être facile. Mais quand les enfants ne sont plus vraiment des enfants, la réalité est toute autre. « Eux ce sont les guerriers, ils ne vont pas te faire de cadeaux. Ils ne cherchent pas à être sympas avec toi, ils ne cherchent pas à être mignons, ils ne cherchent pas de câlins, pas de bisous. Ce sont des bonhommes qui passent leur temps à se battre, à pleurer, à redevenir ami, à se faire des magouilles. » Il a donc fallu trois jours à Quentin pour se faire accepter. Mais ce n’était que la première étape. Il lui a fallu plus de temps encore pour que ces enfants lui fassent des sourires, lui parlent ou jouent avec lui. « Dans le daara traditionnel, tu sentais que tu étais dans un milieu hyper hostile, ils ne te calculaient pas ils n’en avaient rien à foutre de toi. »

« S’il vous plait, adoptez-le »

Lui, c’est Abdallah. Il a 7 ans et vit avec sa grand-mère. Mais comme il enchaîne les bêtises, il doit rester dans le daara moderne. Quentin décide de le suivre de près et de le motiver pour ses cours pour qu’il ait de meilleures notes,… Mais il n’aurait jamais pu imaginer ce qu’il va se passer ensuite. Un beau jour, Abdallah est au téléphone avec sa grand-mère et elle souhaite parler à Quentin. Non pas pour le remercier mais pour lui demander de l’adopter. « Ramenez-le en Belgique c’est quelqu’un de bien. Il a besoin d’espoir. Vous devez être son père adoptif. » Quentin se souvient parfaitement de cette conversation. « C’était hyper trash. »

Âgé de 24 ans, Quentin n’aurait jamais pensé qu’on allait lui proposer d’adopter un enfant. S’il n’est pas prêt pour ce rôle, il n’a par contre pas hésité à en endosser un autre: celui de grand frère. « C’est comme ça qu’ils me voyaient.

Muni de son appareil photo, Quentin a capturé le quotidien de ses « petits frères ». Il a offert un portfolio de ses plus belles photos à newsmonkey.

Quentin Bruno / Hans Lucas

Malik et Abdallah ne sont pas les seuls, plein d’enfants sont talibés

Quentin Bruno / Hans Lucas

En 2014, Human Right Watch recensait déjà 30.000 garçons soumis à la pratique de la mendicité forcée dans la région de Dakar seulement. C’est encore bien plus si on prend le reste du pays ainsi que les filles.

Cette boite de conserve, le talibé l’a toujours avec lui

Quentin Bruno / Hans Lucas
Et non des enfants qui mendient, ça ne choque pas vraiment là-bas. « Ils font partie du décor ».

Ils sont envoyés dans la rue pour ramener du riz et du sucre

Quentin Bruno / Hans Lucas

« D’abord ils vont sonner chez les gens récupérer du sucre et un peu de pain. Après ils vont dans des magasins et ensuite ils attaquent la rue. Demander, négocier, arrêter les voitures, c’est leur quotidien », se souvient Quentin.

La base d’un daara, c’est l’enseignement coranique

Quentin Bruno / Hans Lucas

« Ça c’est une tablette d’écriture du Coran. » Les enfants y écrivent des versets.

Au-delà des cours, il y a aussi les temps de prière qui sont très importants

Quentin Bruno / Hans Lucas

Même si les enfants ne sont pas toujours très concentrés. « Ils se tapent dessus pendant la prière, ils rigolent, ils se poussent, ils se tirent les cheveux tant que le marabout ne les voit pas. »

Il y a plusieurs prières par jour

Quentin Bruno / Hans Lucas

Et ce qui impressionne le plus Quentin dans ces moments-là, ce sont les couleurs.

Dans le daraa traditionnel, la salle de prière est aussi l’endroit où ils mangent et où ils dorment

Quentin Bruno / Hans Lucas
Et là où ils sont sous la « direction » de leur marabout.

Et tout le monde mange ensemble

Quentin Bruno / Hans Lucas

« Tu prends le poulet et tu donnes des petits bouts à tout le monde. C’est très convivial », explique Quentin, quand même un peu soulagé de ne pas avoir attrapé de maladie.

« Le dernier qui mange dans l’assiette doit la nettoyer et la ramener en cuisine »

Quentin Bruno / Hans Lucas
C’est comme ça et puis c’est tout.

Après la prière, les talibés s’allongent et s’endorment

Quentin Bruno / Hans Lucas

Dans le traditionnel, les enfants dorment soit à même le sol soit dans des chambres vraiment exiguës sur des sols plutôt glauques. Dans le moderne, il y a des lits superposés.

Les moustiquaires sont très importantes pour lutter contre le paludisme

Quentin Bruno / Hans Lucas

« Pendant trois jours, j’ai cru que je l’avais. Mais heureusement, je ne l’ai pas eu ». L’association Dafa Yow voudrait qu’il y ait des moustiquaires à chaque lit. « Les conditions hygiéniques sont les plus horribles de la terre. Une fille de MSF est partie avec nous, elle n’avait jamais vu ça. »

Le daara se trouve à côté d’une des décharges les plus grosses d’Afrique de l’Ouest

Quentin Bruno / Hans Lucas

« Tu vois des gamins hauts comme trois pommes se rouler dans des tonnes de déchets avec des vautours autour, c’est vraiment horrible ».

Du coup, l’eau qu’ils boivent est polluée

Quentin Bruno / Hans Lucas
« L’eau est vraiment polluée. Ils mettent de la javel dedans pour la sanitariser mais le goût est infect. »

Mais quel est l’avenir de ces « enfants »?

Quentin Bruno / Hans Lucas

« Le problème des daaras c’est que quand tu sors, soit tu deviens marabout parce que tu connais le Coran et que tu ne connais rien d’autre, soit t’essayes de te débrouiller mais sans connaissances ce n’est pas évident. »

Mais en fait, ce sont encore des enfants, ils ne se soucient pas vraiment de leur futur

Quentin Bruno / Hans Lucas
Et voir le sourire sur leurs visages, c’est ce qui est le plus beau.

Parce qu’après tout, comme tous les enfants de leurs âges, ils profitent de la vie sans trop s’en faire

Quentin Bruno / Hans Lucas
Et préserver leur enfance, c’est bien l’objectif de l’organisation Dafa Yow.

« On leur donne de l’espoir »: après les photos, Quentin réalise aussi un film « Warrior Kids » qui devrait sortir à la rentrée

Un film réalisé avec Samira Hmouda pour l’association Dafa Yow.

Toutes les autres photos de Quentin Bruno sont à découvrir sur son site internet

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