Bon, c’est quoi cette affaire Publifin? Voici pourquoi elle met toute la politique wallonne en danger

L’affaire Publifin fait la une de tous les journaux, mais tu es passé un peu à côté? Pas de souci, on te propose une séance de rattrapage. Après cette explication, que l’on espère claire, tu pourras te faire ta propre opinion sur le sujet. Les politiciens tous pourris? Le PS encore mêlé à une affaire d’intercommunale? Paul Furlan (PS) doit-il porter le chapeau? Voici en quatre points le déroulement du dossier Publifin, l’intercommunale liégeoise.

Publifin, c’est quoi? Publifin c’est un holding financier public liégeois. Derrière ce nom barbare se cache en fait une intercommunale qui a voulu voir les choses en grand. L’organisme public, anciennement appelé Tecteo, a fait le choix de la croissance de ses activités dans trois secteurs clés: l’énergie, les médias et la télécommunication. Via sa société privée Nethys, elle possède notamment L’Avenir, Voo et BeTV.

Ce holding appartient en majorité à la Province de Liège. Le reste est partagé par 75 communes, même si une infime partie du capital est à la main de la Région wallonne (0,4%). Mais quand on regarde de plus près à ses activités, on se rend compte que Publifin est une intercommunale qui s’étend sur plusieurs régions. Elle échappe de cette manière au contrôle strict de son pouvoir de tutelle (la Région wallonne et Paul Furlan, le ministre des Pouvoirs locaux).

Le point de départ

Mais jusqu’à ce que le contraire soit prouvé, tout ce qui se passe au sein de cette intercommunale est légal… et c’est bien là le problème. Cette affaire embrasse plusieurs questions d’ordre éthique: l’éthique personnelle d’abord, le flou qui règne autour de ces mégastructures ensuite et enfin le problème lié aux rémunérations, qui relance une nouvelle fois le débat du cumul des mandats/fonctions.

En effet, en trois ans, l’intercommunale a déboursé plus de 2,5 millions d’euros pour rémunérer 31 mandataires. Principalement pour assister à des réunions auxquelles ils ne participaient même pas. C’est le journaliste David Leloup qui a révélé l’affaire dans le Vif, c’était le 20 décembre dernier déjà. « Ils sont soit conseiller provincial à Liège, soit bourgmestre, échevin, conseiller ou président de CPAS […]. Ils ont été désignés par leur parti en tant que membres d’un des trois comités de secteur« . A ce titre, ils bénéficient de rémunérations. Le souci c’est que cette rémunération s’inscrit le plus souvent chez Nethys (société privée, qui n’est pas tenue de respecter des plafonds légaux de rémunération, au contraire des intercommunales comme Publifin).

Mais à quoi sont censés servir ces mandataires justement? Au sein des trois « comités de secteur » de Publifin (Energie, Liège Ville, Télécom) – qui font office d’organes à vocation consultative – les représentants ont « des compétences d’avis et de recommandation et non de décision », explique Gil Simon, secrétaire général de Publifin, dans un courriel consulté par Le Vif. En gros, ils doivent « éclairer » le Conseil d’Administration de l’intercommunale.

Sauf qu’à la fin, l’addition est lourde, avec des dérives spectaculaires sur le plan comptable: des élus sont ainsi payés 500 euros la minute pour des réunions auxquelles ils n’assistent pas ou peu (pas d’obligation légale). S’en est suivie une série de démissions, avec en tête, le chef de cabinet adjoint du ministre des Pouvoirs locaux Paul Furlan (PS): Claude Parmentier a en effet touché depuis le 28 juin 2013 plus de 153.000 euros bruts. Il a perçu ce salaire « à titre privé », a-t-il commenté dans la presse.

La bombe Gemenne

On est ici au cœur du problème. Personne ne sait qui fait quoi, qui est rémunéré pour quoi et ça laisse place à toutes les dérives possibles. Pour faire court, c’est le flou complet entre ceux qui ont une responsabilité chez Publifin et ceux qui ont un poste chez Nethys. On en arrive à des salaires astronomiques qui vont de 1.340 à 2.871 euros bruts par mois pour assister à des réunions fantômes.

Alors que la presse flamande s’est emparée de l’affaire – le Morgen n’ayant pas hésité à titrer la « Mafia wallonne » – c’est le politologue de l’Université de Liège, François Gemenne, qui a le premier lancé un pavé dans la mare.

Accusé d’être à la botte d’Ecolo, le politologue qui est aussi chercheur à Sciences Po Paris, a déclaré au JT de la RTBF ce que tout le monde pensait tout bas. Selon lui, Publifin et Nethys font partie d’un « système de nature mafieuse ». Il s’explique: l’intercommunale « distribue de l’argent à tout le monde pour que personne ne pose de questions. Les mandataires incriminés disent aujourd’hui qu’ils n’ont rien fait d’illégal. Le problème, c’est que ces pratiques seraient illégales dans de nombreux autres pays, ce serait du détournement public et des emplois fictifs. Mais ici, l’ensemble des partis ont décidé que ce serait légal simplement parce que Stéphane Moreau (PS, administrateur délégué de Nethys) a arrosé tout le monde, y compris ses propres opposants politiques : le CDH et le MR. »

Attaqué depuis en justice par Publifin, Gemenne soulève ici un point clé du dossier. Cette affaire touche tous les partis. PS, MR et CDH renvoient à nouveau une image désastreuse du monde politique. Et le pire là dedans, c’est que tous ces mécanismes sont légaux, sans être transparents, tu l’auras compris.

La faute à Paul Furlan?

Le PS en tête se retrouve au centre de la tempête médiatique. Son nom est à nouveau mêlé à une histoire douteuse, au centre de laquelle se trouve une intercommunale. On n’est pas dans la même situation que le scandale de « La Carolo » qui était totalement dans l’illégalité, mais Ecolo (qui n’a pas de représentants au sein des trois comités) dénonce « la vieille politique », celle des « petits arrangements entre amis ».

Le PS est doublement visé: les deux mandataires avec les fonctions les plus importantes ne sont autre que Stéphane Moreau et André Gilles, deux vieux de la vieille de la politique. Le premier est administrateur délégué de Nethys, le second est le président de Nethys et Publifin. D’aucuns s’accordent à dire qu’ils ont été placés à ces positions pour « services rendus » au parti. « Ils sont les deux faces d’une même pièce », juge David Leloup pour la RTBF. « Depuis 2005, ils ont noué un pacte ensemble pour diriger cette structure main dans la main » ajoute-t-il.

Pour ne rien arranger, Paul Furlan (PS) se retrouve dans de sales draps en tant que ministre de tutelle. Ecolo et Pierre-Yves Jeholet (MR) demandent la démission de celui qui n’a pas « cherché à savoir ». Au Parlement wallon, le socialiste s’est contenté de dire que « ces pratiques apparaissent contestables sur le plan éthique ». En coulisses, l’enquête administrative se poursuit, une information judiciaire est d’ailleurs toujours ouverte.

Et maintenant?

Paul Furlan a proposé à l’assemblée parlementaire une réformes en cinq points. Elle est censée « supprimer tout ce qui n’est pas indispensable » dans les organismes supracommunaux. Insuffisant pour Jeholet qui accuse le ministre de « négligence forte, de paresse coupable, de dilettantisme inacceptable. »

Depuis, les accusations s’accumulent autour du ministre. Comme vu au-dessus, son chef adjoint de cabinet a bénéficié amplement du système, et maintenant Pierre-Yves Jeholet accuse Paul Furlan d’avoir placé « la moitié du collège de Thuin » (il y est bourgmestre empêché) dans son cabinet. C’est tout? Non! Il y a aussi sa femme, Anne-Sophie Herbé, qui travaille comme « conseillère particulière » (sans que ça n’apparaisse nulle part dans les mandats de cette conseillère provinciale).

Si on résume, c’est d’abord un gros coup dur pour la politique wallonne de manière générale. C’est une très mauvaise pub pour le PS ensuite: certains médias (flamands) n’hésitent plus à parler de « pas de côté » d’Elio Di Rupo (qui représente l’ancien système) au profit de Paul Magnette (l’étoile montante). La Wallonie doit « vider sa fosse à fumier », écrit le Standaard, qui y voit une bonne nouvelle pour le PTB. Enfin, ce dossier révèle le peu de transparence qui règne dans ces organismes publics et relance le débat autour du cumul des mandats et des fonctions. Il reste donc du boulot pour les politiciens wallons, sans quoi ils ne retrouveront jamais la confiance des citoyens.

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