Ça y est: le MR a finalement lâché Armand De Decker. L’ancien président du Sénat ne peut plus exercer de fonctions politiques au sein du Mouvement Réformateur. Les révélations se sont succédé ces derniers jours et la presse parle maintenant d’une possible implication de la Princesse Léa de Belgique. Sans compter la possible « sensibilisation » de trois ministres en fonction et l’hypothèse d’une intervention française. Aujourd’hui, certains parlent même d’affaire d’État. Du coup, on t’explique tout sur ce Kazakhgate.
Le MR a pris tout le monde de vitesse. Armand De Decker devait normalement s’expliquer au sein de son parti ce lundi pour un possible conflit d’intérêt dans le dossier communément appelé: Kazakhgate. Mais l’explication a eu lieu finalement dimanche soir et la décision qui y a été prise est sans appel: « En concertation avec le Président du MR, Olivier Chastel, vu la tempête médiatique qui entoure l’affaire ‘Chodiev’, il a été convenu qu’Armand De Decker se met en congé de toutes ses fonctions internes au sein du Mouvement réformateur et de ce fait, ne s’exprime plus au nom du MR », indique un communiqué du parti.
De quoi ça parle en fait?
Affaire Chodiev? Kazakhgate? Voici de quoi il est question: en 2011, Patokh Chodiev, un homme d’affaire belgo-kazakhe, est sur le point d’être renvoyé devant le tribunal pour des affaires de faux et de blanchiments d’argent. Les faits sont graves et il espère bénéficier d’une transaction pénale. En gros, il veut donner une grosse somme d’argent pour éviter un procès, à l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis.
Armand de Decker quitte toutes ses fonctions au sein du #MR #kazakhgate
— Philippe Malherbe (@PhilippeMalherb) 20 novembre 2016
Cette demande lui sera refusée dans un premier temps vu que la loi belge ne le permet pas. En tout cas, pas tout de suite: puisque quelques mois plus tard, le 16 mai 2011, le parlement ouvre les possibilités d’une transaction financière. La justice saute sur l’occasion pour proposer une transaction pénale à Patokh Chodiev: l’homme d’affaire n’hésite pas une seconde et verse 23 millions d’euros en date du 17 juin 2011.
Comment l’élargissement de la loi pour les transactions pénales et la proposition qui en a suivi ont pu arriver si rapidement? C’est là toute la question. Le journal Le soir et Mediapart ont pu avoir accès à certaines pièces du dossier et il en ressort une possible intervention de l’entourage du président français Nicolas Sarkozy auprès d’Armand de Decker qui porte alors une double casquette de sénateur et d’avocat.
Un contrat juteux pour la France à l’origine des pressions?
En gros, Patokh Chodiev est un grand ami du président kazakh Noursoultan Nazarbaïev. Et celui-ci a mis la pression pour l’aider à se défaire de cette affaire de blanchiment d’argent. Comment? Via la France. Un marché de plusieurs centaines de millions d’euros, portant sur l’achat de 45 hélicoptères du groupe Eurocopter, était alors en voie de conclusion finale par le Kazakhstan. Le contrat franco-kazakh a été officiellement signé le 27 juin 2011, soit dix jours après la transaction pénale de Patokh Chodiev.
Un mail ayant été envoyé par un conseiller du président Sarkozy au ministre de l’intérieur de l’époque, Claude Guéant, tend à impliquer l’ancien président du Sénat belge, Armand De Decker. Il serait lié à l’adoption d’une disposition législative favorisant, via une transaction pénale, l’homme d’affaires belgo-kazakh et deux de ses associés. Nous y voilà.
Trois ministres impliqués dont Didier Reynders?
Dans ce mail, le conseiller rappelle que le président kazakh Nazarbaïev avait sollicité le « PR » (Président de la République), deux ans auparavant, « pour trouver un soutien politique en Belgique en faveur de son ami », rapporte Le Soir. Tout en précisant que « pour résoudre cette affaire, un texte de loi a été voté, il y a un mois, organisé et suscité par Armand De Decker qui a sensibilisé trois ministres : Justice, Finances et Affaires étrangères ». Les ministres en question sont Stefaan De Clerck (CD&V), Didier Reynders (MR) et, Steven Vanackere (CD&V).
D’une possible affaire de conflit d’intérêts, la presse parle maintenant d’affaire d’Etat.
Un salaire de 2.000€ de l’heure pour De Decker
Pour favoriser ce texte de loi sur les transactions pénales, Armand De Decker a touché en frais d’avocat la somme de 741.846 rapportait ce dimanche la RTBF. Pour 350 heures de travail dans ce dossier, Armand De Decker a donc gagné 2.000 euros de l’heure.
Dans ses auditions, le député bruxellois reconnait avoir touché 540.000 euros dans ce dossier et 200.000 dans d’autres. Mais interrogé en 2015 au JT de la RTBF, il parlait de sommes « fantaisistes ». Aujourd’hui, on voit qu’on en est pas très loin quand même.
Mais est-ce illégal ou pas? C’est justement ce que devra prouver la justice. Toujours est-il que les derniers témoignages parus dans la presse montrent qu’Armand De Decker a suivi ce dossier de très près, s’est servi de ses connaissances dans le monde politique et est venu en personne avec l’avocate française de Patock Chodiev dans le cabinet du ministre de la Justice, Stefaan De Clerck.
Si rien n’est encore prouvé aux yeux de la justice, tu peux quand même te demander si d’un point de vue éthique, tout cela est bien normal? Le fait qu’un homme politique, et aussi avocat, se serve de ses connaissances en vue de favoriser une transaction pénale d’un justiciable privé, ça pose question. Surtout avec un cachet à plus de 740.000 euros. Sans compter que les inspecteurs des impôts ont découvert qu’il n’avait pas déclaré et donc pas payé d’impôts sur une somme de 81.131 euros.
#Kazakhgate : Reynders, De Clerck et Vanackere savaient #EXCLUSIF https://t.co/zOUY7RwN2w pic.twitter.com/1145FuLCDj
— LEVIF / L'EXPRESS (@LeVif) 18 novembre 2016
De Reynders à la famille royale: on nie en bloc
Du côté de Didier Reynders (MR), on nie avoir été approché dans ce dossier: « Tout d’abord, il n’y a absolument rien de neuf », répliquet-il.
« Cette publication intervient un an après la même publication dans le Vif. J’avais déjà eu l’occasion de démentir à l’époque: il n’y avait pas besoin de sensibiliser qui que ce soit puisque le projet de loi déposé faisait l’objet d’une décision du gouvernement. Gouvernement qui avait décidé de lever le secret bancaire en matière fiscale et d’étendre la transaction pénale dans les mêmes matières. Mon démenti est donc exactement le même que l’année dernière », dans des propos repris par la RTBF.
La Princesse Léa De Belgique a également dû démentir toute implication dans ce dossier. Le Tijd évoquait ce samedi un étrange versement de 25.000 euros de l’avocate de Patokh Chodiev, vers le Fonds d’Entraide Prince et Princesse Alexandre de Belgique de la princesse Léa, datant de 2012. Léa de Belgique confirme avoir bien reçu cette somme mais assure que « l’action du Fonds d’Entraide repose exclusivement sur l’intervention de bénévoles (…) », et que « tous les dons sont intégralement rétrocédés aux œuvres soutenues. »
L’Agusta du MR?
Tu l’as donc compris, même si la présomption d’innocence prévaut, ça pue quand même les conflits d’intérêts et le trafic d’influence. Le tout est de savoir si Armand De Decker avait le droit d’intervenir dans ce dossier au vu de ses fonctions publiques. Il faudra également savoir jusqu’à quel point les trois ministres sensibilisés savaient et s’il y a bien eu une intervention française dans ce dossier.
Dans la presse spécialisée, on n’hésite pas en tout cas à parler d’affaire Agusta du MR, du nom de cette affaire de corruption impliquant plusieurs parlementaires socialistes dans les années 80. Une affaire qui a vu aussi l’achat d’hélicoptères de combat pour l’armée belge, fabriqués par la firme italienne Agusta.
Voilà, maintenant tu sauras de quoi il est question quand tu entendras parler du Kazakhgate quelque part. Et tu pourras même participer aux débats.