Bruxelles: un projet de fresque murale risque de faire disparaitre une partie de l’histoire du graffiti

Prochainement, Bruxelles Mobilité a pour projet de recouvrir les trémies des stations Lemonnier et Gare du Midi. Une initiative qui pourrait faire perdre à Bruxelles une partie de son patrimoine de graffiti vandale.

C’est une nouvelle qui crée la controverse dans le milieu de l’art urbain: Bruxelles mobilité, dans la lignée de sa « politique d’intégration des œuvres d’art dans le réseau de transport public bruxellois », a lancé ce 24 mai dernier un appel à projet visant à recouvrir les trémies* situées aux stations Gare du Midi et Lemonnier.

Le 5 juin, un article intitulé « qui veut buffer les BCP » paraissait sur le blog de référence « Graffiti Art On Train ». En quelques lignes, l’auteur expliquait en quoi ce projet risquait de faire perdre à la capitale une partie de son histoire urbaine en la comparant à la bruxellisation: « Bruxelles s’applique avec méthode à éradiquer toutes les traces de son histoire du graff comme elle a su si bien le faire jadis avec son patrimoine art nouveau. »

Pour essayer de comprendre pourquoi ce projet crée la controverse dans le milieu intimiste du graff, vandale ou non, on est allé discuter avec Ekors, qui officie chez Write Night. Cette jeune ASBL a à coeur de promouvoir l’art urbain, en proposant des fresques durant des événements, des ateliers et des décorations chez des particuliers ou des entreprises.

https://www.facebook.com/WriteNightOfficial/videos/574677446391318/
Un exemple du travail de Write Night

Une démarche « hypocrite »

« On ne peut pas promouvoir le vrai graffiti en le recouvrant avec quelque chose de plus convenable ». Pour Ekors, qui signe depuis quatre ans des graffitis sous ce nom à travers Bruxelles, la démarche de la ville quant à la promotion de l’art urbain, est « hypocrite ».

Les trams et les trémies qui les entourent ont longtemps été et sont toujours le lieu de prédilection des graffeurs vandales, qui, pour Ekors, représentent le « vrai graffiti »: « C’est des mecs qui se lèvent au beau milieu de la nuit et prennent des risques, se motivent et paient de leur propre poche leur matériel. C’est pas forcément fait pour s’adresser à tout le monde. »

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L’une des fresques/signatures d’Ekors

Pour mieux comprendre le milieu du vandale, il faut en connaître la règle majeure: on ne repasse pas là où d’autres ont déjà signé. D’autant plus que sur les trémies de la Gare du Midi et de Lemonnier, on peut retrouver des graffs historiques, comme explique Ekors: « Ils ont été faits par des anciens, qui sont là depuis longtemps. Certains ont dix ans et n’ont jamais été repassés. Il y a bien d’autres endroits vierges à aller décorer sur Bruxelles. C’est un manque de respect, pas spécialement de la part de la STIB, mais plus de la part d’autres artistes qui vont effacer une partie de l’histoire du graff. »

Qu’est-il arrivé à l’histoire du graff?

Une histoire qu’on connait mal, sans doute car il n’existe pas de musée du graff à proprement parler. « Il y a bien des gens qui font des photos pour essayer de garder une trace, mais on n’a pas de lieu où découvrir l’histoire du graffiti bruxellois. Effacer ces bouts de mur, c’est effacer le seul patrimoine qu’on a. »

Cette idée n’est pas forcément partagée par Propaganza, un autre collectif d’artistes urbains qui travaille depuis 2012 sur « le développement du street art et du graffiti en Belgique, mais également en Europe ». Eux ont, à plusieurs reprises, décoré des gares, notamment celles de Forest, Linkebeek ou encore Uccle Stalle. Une démarche critiquée qu’ils ne sont pas les seuls à mettre en place.

« Le Contrat » – Graffiti Art On Train

Dans une interview donnée à la RTBF, Julien Piloy, gérant du collectif, déclarait: « Certaines œuvres font partie du patrimoine bruxellois, c’est dommage de les enlever mais malheureusement, il faut faire évoluer les choses. c’est aussi important de pouvoir donner l’occasion à de nouveaux artistes de s’exprimer librement. »

Une uniformisation de l’art urbain?

Laisser d’autres artistes prendre une place, pourquoi pas. Mais encore faudrait-il trouver un moyen de conserver le patrimoine du graffiti. Dans les commentaires de l’article de Graffiti Art On Train qu’ont mentionnait plus tôt, certains déplorent aussi l’uniformisation du street art à Bruxelles.

Un anonyme commente: « Le pire c’est que ce sera comme toujours les mêmes qui se seront rués sur l’appel à projet et qui vont certainement le remporter », en citant toute une suite de cliques de graffeurs ou de street-artists considérés comme mainstream, dont Propaganza, Urbana ou encore FarmProd.

Pour essayer de rester logique, Ekors avance que les graffeurs qui ont déjà marqué les murs des stations de trams pourraient répondre a l’appel a projet et rafraichir leurs graff d’eux memes. « Mais bon, c’est compliqué, vu qu’ils devraient éviter d’être identifiables. » Sans compter que, leur activité étant illégale, ça n’aurait peut-être pas été au goût de la ville de Bruxelles.

Tout n’est pas perdu, d’après Ekors. Si les graffs réalisés dans des contextes dangereux, par amour du vandale et de la signature faite rapidement avec la peur au ventre de voir débarquer la police à tout moment sont respectés, pas sûr que ces futures fresques le seront: « Dans tous les cas, les vandales vont revenir. »

*trémies: « ouvertures dans le sol et les rampes qui permettent aux trams de circuler entre la surface et le sous-sol, et inversement. »

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