Wouter Nuytten, Disendo: « Faire faillite a fait de moi un meilleur entrepreneur »

Screenshot Facebook @Wouter Nuytten

« J’ai 23 ans et certaines personnes m’appellent: un vétéran des start-ups ». À l’âge où beaucoup sortent de l’unif et arrivent sur le marché du travail, Wouter Nuytten a déjà lancé plus d’une entreprise et « appris plus que dans n’importe quelle école », entre autres parce qu’il a fait faillite et qu’il en a tiré certains leçons, qu’il nous partage ici. 

En Europe aussi, tout compte fait, il y a des récits de gens qui quittent l’école pour lancer des boîtes et attirent les investisseurs. Wouter Nuytten est l’un d’eux et, comme il se doit, un codeur enthousiaste. Au cours de ses aventures, il a appris énormément. Il aime en parler, de ses aventures, et surtout d’une d’entre elles: sa faillite.

Qu’est-ce que tu fais comme job?

Maintenant, je m’occupe de Disendo: on vend aux autorités un logiciel qui leur permet de trouver des informations en ligne au sujet d’un criminel, dans les limites du respect de la vie privée. Disendo ratisse les réseaux sociaux et analyse quantité de données et… le dark web. Les autorités, elles, peuvent ajouter les appels téléphoniques ou les emails qu’elles ont pu tracer.

Ça tourne bien?

Financièrement, ça se passe bien. J’ai connu des moments plus difficiles financièrement ;-).

En fait, on a réussi à vendre notre produit avant même d’en avoir écrit la première ligne de code. Aussi, il y a des agences à un niveau plus local qui ne peuvent pas se payer des logiciels trop coûteux. Avec nous, elles peuvent commencer à leur rythme et puis, au fil du temps, étoffer le produit de base que nous leur proposons.

On essaie de rester discrets sur l’étendue de nos activités vu le secteur dans lequel on se trouve. Disons qu’il y a des développeurs et, aussi, nous sommes plusieurs partenaires: je m’occupe de l’aspect technique. D’autres, plus âgés, avec 10-15 ans d’expérience dans le domaine de la sécurité et un réseau là aussi, aident à vendre la plate-forme.

Comment as-tu eu l’idée de Disendo?

J’avais déjà fait faillite, et je me suis dit: « Si ça foire de nouveau, ce qu’on aura fait doit au moins en valoir la peine ». Ici, Disendo s’attaque à la criminalité et je fais ça vraiment pour aider les gens.

Avant, je vendais mon expertise en collecte et en analyse de données à des grosses entreprises, qui faisaient de l’argent. Maintenant, je vends mon expertise pour le bien commun… Mais c’est clair, c’est moins lucratif.

Screenshot Instagram @ Wouter Nuytten

Que faisait ton entreprise qui a fait faillite?

C’est Octopin, que j’avais lancé en 2012. Elle faisait de la technologie de reconnaissance d’image: sur Pinterest, sur Instagram, il peut y avoir toute une conversation autour de Coca-Cola par exemple, sans que Coca-Cola soit mentionné. Les gens peuvent mettre une photo d’une bouteille… sans hashtag. Coca-Cola n’a donc aucune idée de ce qui se dit dans cette conversation sur sa marque ni même de l’existence de cette conversation… Avec Octopin, je rassemblais toutes ces données et j’allais trouver les entreprises concernées.

En six mois, j’avais développé l’idée, j’avais vendu le produit et l’équipe avait grandi jusqu’à inclure 10 personnes.

Que s’est-il passé?

Tout ça a été trop vite. J’avais 19 ans, je ne savais pas quoi faire avec tout cet argent, je ne savais pas négocier les bons contrats…

Aussi, je suis allé à San Francisco, pour lever des fonds. Le premier feedback qu’on m’y ait donné là c’est: « Essaie d’abord de lever des fonds en Belgique et… reviens avec un visa pour travailler, pas avec un visa de tourisme de trois mois ». La communication n’était pas si facile avec la Belgique, de là-bas. Et au terme des trois mois, je suis revenu en Belgique, et là nous avions pris du retard au niveau technique. On n’avait pas assez d’argent pour rattraper notre retard, les entreprises ont arrêté de payer, il n’y avait plus de cash… et une équipe de dix personnes à payer.

En trois ou quatre mois, j’ai dû virer tout le monde, je me suis retrouvé seul à bord avec le projet. Et j’avais peur d’aller raconter ça à mes actionnaires. C’était très difficile mentalement, j’ai vraiment eu beaucoup de pression tant du côté des relations familiales que des partenaires, en business.

Comment est-ce que tu as réagi quand tu as vu que tout s’effondrait?

Je me suis demandé: « Ok, comment est-ce qu’on va pouvoir résoudre ça? ». J’ai commencé à écrire du code moi-même, j’ai reçu de l’argent d’iMinds pour redémarrer. Je suis retourné aux États-Unis, à New York cette fois, pour essayer de me relancer de là. Mais en fait, je m’étais brûlé, j’étais épuisé, j’ai eu un burn-out. J’ai passé trois-quatre mois de retour en Belgique à zoner avec des potes. Et puis j’avais peur des réactions des actionnaires. Mais ils ont été très humains, Duval Union est venu en 2014 en me disant « on croit en toi comme personne ».

Comment est-ce que tu aurais pu éviter de faire faillite?

Pfff… En fait, on a été beaucoup trop vite. J’étais jeune, j’étais naïf, je ne savais pas négocier. Mais c’est une bonne chose que d’avoir fait faillite: je devais passer par là, ça a fait de moi un meilleur entrepreneur.

Comment les gens autour de toi ont-ils réagi?

J’avais une image à part: j’étais un peu un prodige, sans diplôme… Puis j’ai fait faillite, j’ai perdu mon image. Les gens étaient stressés pour moi, je l’étais aussi, c’est un cercle vicieux. Et les gens sont très gentils mais ils donnent aussi des leçons et ça, c’est toujours facile après coup. On me dit « regarde un peu ça, fais comme ça »… Comme si je n’avais pas tiré les leçons moi-même…

Qu’as-tu appris?

J’ai appris qui je suis et quelles sont mes limites. Je suis un meilleur entrepreneur parce que j’ai fait faillite.

Aussi, mon ego était un peu un problème: je faisais absolument tout moi-même, j’étais le jeune gars qui n’avait pas fait d’études et qui en était arrivé là, à employer dix personnes à 19 ans. Maintenant, je sais ce que je peux bien faire et ce que je ne fais pas bien. Et je m’assure de bien m’entourer de gens qui savent faire ce que je ne fais pas si bien.

Aussi, maintenant, je me prépare toujours à un « worst case scenario »: de cette façon, je peux anticiper, être préparé quoi qu’il arrive.

Comment est-ce que ta faillite a changé ta relation aux gens?

J’ai encore le même groupe d’amis qu’il y a quelques années. Et j’apprécie vraiment le noyau dur de mon réseau mais je ne suis plus prêt à laisser tout le monde et n’importe qui y entrer. Il y a toujours des gens qui vont te dire « oui, j’aime bien ton idée, super, je veux bien t’aider » mais qui ne décrocheront pas le jour où tu les appelles.

Quand as-tu été prêt à parler de ta faillite?

Il n’y a pas si longtemps en fait: quand on fait faillite, on doit aller au tribunal, on reçoit plein de lettres… pas très agréable. Et quand c’est fini, eh bien… Je vais faire une comparaison un peu forte mais c’est un peu comme quand quelqu’un meurt. Il y a les funérailles etc et puis il faut du temps pour soi, pour faire son deuil. Et on ressurgit, on est toujours la même personne, mais plus forte. Il m’a bien fallu 6-8 mois pour retomber sur mes pattes.

Quels sont tes atouts comme entrepreneur?

Je ne suis pas tellement pour parler trop, plutôt pour agir. Et je suis prêt à échouer, mais à échouer vite. J’ai appris sur le tas, vu que j’ai quitté l’école secondaire. Mais je suis un gars sociable, je sais bien expliquer les choses. Et je sais coder, j’ai appris tout seul à douze ans.

Maintenant, j’en sais plus que quelqu’un qui sortirait d’une école de commerce. À un moment, j’ai pensé entrer dans une entreprise traditionnelle, « avoir un job ». Chaque fois, les employeurs potentiels me disaient: « On croit en toi, comme personne mais dans six mois, tu ne pourras pas t’en empêcher, tu vas recommencer une affaire à toi. » Et au final, ils ont vu juste. C’est ce que j’ai fait avec Disendo.

D’où t’est venue ton envie d’entreprendre? Tu viens d’une famille d’entrepreneurs?

Mon père est dans la banque, ma mère s’occupe de la logistique dans un hôpital donc… pas du tout! Mais j’ai abandonné l’école secondaire et j’ai travaillé quelque temps comme programmeur. Mais c’était chaque jour refaire le même site, voir les mêmes gens. J’ai quitté cette boîte et j’ai essayé de vendre des apps que je programmais autour de moi. Mais là, il n’y avait pas de budget pour mes idées… Puis en traînant sur Pinterest, j’ai eu l’idée de Disendo.

Autre chose qui m’a aidé, c’est ce reportage sur VTM, qui montrait des histoires d’entrepreneurs. C’est comme ça que j’ai eu l’idée d’aller trouver IdeaLabs puis, plus tard, iMinds, que j’ai trouvé de l’inspiration et peu à peu un réseau.

C’est pour ça que je trouve ça vraiment important de partager mon histoire, autant que possible. Ça peut servir à d’autres!

Tes projets pour 2017?

Je veux avoir un impact sur les gens, plutôt que faire du profit à tout prix. Je réfléchis à un projet dans le domaine de la réduction de la pauvreté, par exemple.

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