Stéphanie Fellen, Made & More: « Je veux casser cette image prolo, socialo, de Liège »

Stéphanie Fellen a voulu créer une entreprise à son image: celle d’une jeune femme de 20-30 ans qui aime savoir d’où vient ce qu’elle porte et qui veut pouvoir acheter quand ça l’arrange des vêtements qui ne sont pas seulement éthiques mais aussi un peu beaux. Heureusement pour elle, elle n’est visiblement pas la seule à avoir envie de ce genre de choses. 

Made & More, ce sont des vêtements produits en Europe, traçables et vendus en ligne. Parce que l’Europe a encore un potentiel, en termes d’usines, paraît-il, et qu’il s’y trouve des gens qui exigent de savoir d’où viennent leurs vêtements.

« On remet l’humain au centre » dit Stéphanie Fellen, la fondatrice, au four et au moulin pour son projet depuis 2013.

Dans la dernière année, les choses se sont accélérées: il y a eu une levée de fonds, de 225.000 euros au total, via le crowdfunding, Meusinvest et deux business angels privés. En plus des 28 marques venues de toute l’Europe, Made & More a lancé deux collections propres et ajouté des QR codes aux étiquettes « pour que les clients puissent vraiment tracer d’où viennent leurs vêtements ». Pas étonnant que Stéphanie Fellen nous ait demandé de patienter jusqu’en 2017 pour une interview, pas étonnant non plus qu’elle ait privilégié un modèle « e-shop », idéal pour les gens qui travaillent aux jours et heures où les magasins sont ouverts… Et des magasins éphémères, aussi: Made & More a ouvert temporairement à Bruxelles, Lille, Liège, ira à Paris, Bruxelles, Anvers, Maastricht. En janvier 2017, la boutique a dépassé les 1.000 clientes.

Ce que tu fais, c’est principalement un e-shop. Est-ce que tu crées de l’emploi directement avec ce modèle?

Oui! J’ai engagé une graphiste et une responsable du développement ventes. J’aime les personnes intelligentes, débrouillardes, à l’oeil vif – je déteste les assistés. Il faut une certaine affinité avec le secteur et puis… Il faut savoir que c’est une petite entreprise avec des gros challenges.

Made & More

Qu’est-ce qui t’a inspiré à lancer Made & More?

Pendant mes études à HEC, j’avais envie d’entreprendre, c’était mon scenario de vie. J’ai commencé à travailler, j’ai été cadre dans l’industrie chimique. Et comme consommatrice, j’ai constaté des dysfonctionnements dans la chaîne de production et de consommation: il y a des t-shirts à 9 euros, ce n’est pas possible, il y en a à 150 euros produits au Bangladesh, ce n’est pas possible non plus. L’industrie textile est la deuxième la plus polluante au monde, j’ai voulu proposer une alternative.

Je n’étais pas trop bio-toile de jute-sarouel, plutôt chemisiers-petits cols-aéroports. En plus, j’adorais les vieilles usines, je trouve qu’il reste des usines et un potentiel en Europe. J’ai voulu mettre ça en avant. Puis je suis de cette génération qui a accès à tout, je veux montrer la transparence. Je veux que mes client(e)s puissent tracer l’origine de leurs vêtements.

Enfin, ma cliente cible, c’est comme moi: le jeudi à 10h ou le mardi à 14h, elle est au bureau… C’est le soir qu’elle fait son shopping, de son ordi. C’est un peu tout ça qui a mené au concept Made & More.

Qui vient faire son shopping chez vous?

Nos clientes appartiennent à la génération Y, les millenials mais pas seulement: il y a aussi les plus de 45 ans, elles aussi sont sur les réseaux sociaux, et on échange via nos comptes Facebook, Instagram, les newsletters. Il y a un peu de tout, ce n’est pas que la vague « bio, lifestyle… ». Je dirais que c’est un public conscient, exigeant, qui recherche de l’authenticité.

C’est vrai qu’on a plus de produits pour femmes pour le moment, mais on cible aussi les hommes.

Tu entreprends pour un public initialement plus féminin, passage obligé pour une femme entrepreneure?

Je suis dans ce secteur-là par envie et parce que je le connais. Je devrais vendre du matériel de soudure que je serais très mauvaise parce que je ne connais pas ce secteur-là. Ici, j’achète des fringues aussi pour moi, j’aime bien donc je parle le même langage que mes clientes. Je dirais qu’on va plus facilement vers ce qu’on consomme, soi, ce qui nous passionne: moi, ce qui me passionne, ce sont les modes de consommation. Du coup, demain sur Made & More, on proposera peut-être autre chose que des vêtements, il y aura peut-être des chaises ou de la déco d’intérieur aussi.

Est-ce un avantage d’être une de ces femmes entrepreneures?

C’est vrai qu’il n’y en a pas beaucoup donc, dès que tu l’es, tu es médiatique. « Il faut faire un sujet sur l’entrepreneuriat au féminin? Ah oui, il y a cette fille derrière Made & More… » On reprend toujours un peu les mêmes quoi. Mais je suis sûre que ça changera, dans dix ans, on n’en sera plus là. En tous cas, quand je vois mon entourage, j’en suis persuadée.

Je vais bientôt à un débat sur le sujet à HEC Liège. J’y vais parce que j’ai envie de donner mon avis mais… ça m’agace! Ces débats sur le féminisme, ils n’ont pas lieu d’être! C’est comme si on débattait du droit de vote ou du fait d’engager un noir ou un blanc…

Encore une raison d’être sous le feu des projecteurs: tu entreprends à Liège…

En effet, et tout Liège me suit! Les Liégeois sont très humains, très chaleureux, j’ai full partages de Liégeois, ils sont fiers. En fait, Liège a une connotation très socialo et moi je vais aller dire à la RTBF que je suis fière du chiffre d’affaires et que j’en veux plus. Et je veux être sûre qu’ils ne coupent pas cette séquence au montage. Je veux casser cette image prolo, socialo. Et tous les jeunes me suivent, pas seulement mon petit microcosme d’HEC.

Bruxelles ne me manque pas, et j’ai un bon réseau ici et ailleurs. On est en ligne d’abord, et puis je bouge… Et la Région wallonne me soutient.

Un de tes derniers moments d’adrénaline, pour Made & More, c’était…?

Alors… On avait annoncé une deadline pour une sortie de collection, on l’avait communiquée à tout le monde… Et puis on a été livrés un peu tard. On a fait le shooting le samedi et toute la communication en 8 heures, donc le contenu en plusieurs langues, les newsletters, tout tout tout. Parce qu’on l’avait annoncé comme ça.

Heureusement, notre photographe est indépendante aussi, dans ces secteurs-là, les week-ends n’existent pas. Tout le monde est sur la même longueur d’ondes. Je ne suis pas la seule à tirer l’affaire, loin de là.

Heureusement, parce que je ne compte pas mes heures, là je viens de me prendre un weekend pour la première fois en deux mois.

Et qu’est-ce qu’il faut faire quand c’est la galère comme ça?

Et bien… Surtout, il ne faut pas faire ça, il ne faut pas faire comme moi, d’abord! Mais là, quand c’est difficile, je me fais aider: par exemple, ma mère est venue mettre des étiquettes sur les vêtements pendant trois heures un dimanche et j’ai passé un bon moment, j’étais avec elle, c’était cool. Je garde des petits moments précieux aussi: mon chez-moi, c’est un cocon de bien-être, un havre de paix, tout est en ordre, j’y recharge mes batteries.

En fait, c’est cliché mais il faut avoir la passion et la gnaque. C’est mon bébé, cette boîte, et si mon bébé a besoin de moi, je suis là.

As-tu parfois regretté la voiture de société qu’ont certains de tes camarades de promotion?

Jamais jamais jamais jamais. Pour rien au monde. C’est vrai que c’était chouette les congés, le beau salaire, tout ça. C’est très dur, je n’ai plus un rond, je ne suis pas encore en phase pour jongler en vie pro et personnelle, mais ça a tellement de sens: je fais ce que je dois. Je suis là où je dois être, je deviens qui je suis.

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