Plus de 2000 journalistes et youtubers mis en danger par une fuite d’infos de l’E3

Une liste de plus de 2.000 coordonnées de journalistes jeux vidéo et YouTubers a « leaké » du site de l’E3. Une nouvelle qui a de quoi inquiéter les premiers concernés, surtout après les événements du GamerGate.

Le savais-tu? Le monde du gaming n’est pas fait que d’amour et de tendresse. Harcèlement de joueuses, swatting chez des streamers, attaques envers des journalistes spécialisés… Les affaires se sont multipliées au cours des dernières années.

Le swatting, une pratique qui consiste à signaler au GIGN, à la police (France/Belgique) ou au SWAT (USA) un crime commis à l’adresse d’un steamer alors qu’il est en live, pour ainsi le voir être arrêté en direct. Le steamer BIBIX en a été victime en 2015.

Un leak de l’E3 pourrait bien empirer les choses. Il se trouve qu’une liste Excel regroupant plus de 2.000 coordonnées, comprenant adresses, numéros de téléphone, nom complet et mail était présente, publiquement, sur le site de l’E3.

Une liste disponible en accès libre, sans mot de passe. Autant dire que sur ce coup-là, c’est un gros coup de stress, justifié par plusieurs messages qu’on peut lire sur certains forums, qui s’abat en particulier sur les journalistes concernés.

https://twitter.com/JonathanBarkan/status/1157647221225086977?s=20
Certains d’entre vous ont entendu parlé du leak de l’E3 et de l’ESA. En considérant la population qui déteste les journalistes gaming, il s’agit d’une situation terrifiante. Cette liste est copiée/collée sur des sites où la haine est nourrie et cultivée. Sans mentir, j’ai peur.

Retour sur le GamerGate

Si tu as du mal à comprendre en quoi cette situation est effrayante pour des journalistes qui parlent de jeux vidéo, il faut remettre en contexte le GamerGate. En août 2014, plusieurs polémiques sont nées autour du monde du journalisme de jeu vidéo. En cause: le manque d’éthique vis à vis du traitement et la critique concernant cette matière.

On appelle ceux qui délivrent des critiques positives, après avoir reçu des goodies, des possibilités de voyage et des séjours dans des hôtels de luxe les Gamergaters. Le problème de ces derniers: comment ne pas penser à des pots-de-vin quand on voit tous ces cadeaux qui encadrent la sortie d’un jeu?

Jusque là, ce souci éthique est compréhensible et a eu comme conséquence une remise en question du milieu, allant jusqu’à une réunion au sein de l’Association des Journalistes Professionnels.

Harcèlement de journalistes gaming

Comme dans tout débat, certains Gamergaters ont voulu remettre en question les accusations qui leur étaient portées. Parmi eux, et en particulier les femmes d’après une enquête du média américain Newsweek, beaucoup se sont retrouvés victimes de harcèlement ciblé.

Les affaires de harcèlement de journalistes ne s’arrêtent pas au GamerGate. En 2018, William Audureau, journaliste à la section Pixels du Monde, en a été victime pour avoir critiqué l’attitude d’un YouTuber gaming connu. En retour, il a vécu du harcèlement en ligne de la part de la communauté du vidéaste.

Pia Jacqmart, journaliste de jeux vidéos depuis presque 14 ans, a signé un papier en février de cette année, un peu après avoir été marquée par les témoignages entourant la Ligue du Lol. Durant toute sa carrière, elle a été confrontée à la haine de forums tels que JeuxVidéo.com, No Frag ou Gamekult, additionnés à des agressions qu’elle aurait subi de la part de collègues.

Cette année, si j’avais continué, j’aurais fêté mes 14 ans de “journalisme jeu vidéo ». Et ça fait presque autant de temps que j’ai appris à vivre avec la honte. De n’avoir rien dit, de ne m’être pas assez bien défendue, d’avoir laissé croire que ça ne me dérangeait pas, voire que ça me faisait rire, que c’était des blagues.

Le démarrage du texte de Pia Jacqmart sur Médium

Sophia Narwitz, lanceuse d’alerte

Alors aujourd’hui, quand plus de 2.000 coordonnées fuitent depuis le site même de l’E3, plus grande conférence jeux vidéo qui existe, ce sont des milliers de journalistes qui s’inquiètent pour leur sécurité.

C’est Sophia Narwitz, journaliste et vidéaste, qui a pointé l’affaire la première après avoir prévenu l’E3 et qu’ils aient retiré la liste de leur site web. Dans sa vidéo qui révèle la fuite, elle explique ainsi que « Sur le site public de l’E3, il y avait une page avec un lien simplement intitulée « Liste de médias enregistrés ». En cliquant sur ce lien, une fiche Excel était téléchargée qui comprenait les noms, adresses, numéros de téléphone et publications de plus de 2.000 membres de la presse qui ont assisté à l’E3 cette année. »

« L’E3 vient tout juste de donner à ces personnes énervées et instables la capacité de cibler les personnes avec qui ils sont en désacord et amener le cyberharcèlement auquel sont habitués ces gens dans le monde physique », commente Katelyn Vivel, journaliste américaine sur Twitter.

Sur les forums où la liste a été repostée, les commentaires ne sont pas là pour rassurer les potentielles victimes, membres autant de Konbini que de Goldman Sachs: « Attrapez le popcorn, on va s’amuser », commentent certains. Les forums en question sont actuellement en train de tenter de supprimer toutes les pages reprenant la fiche Excel, et un à un on tombe sur des 404 not found lorsqu’on se retrouve sur le site. Mais sur Internet, malheureusement, rien ne disparait jamais vraiment.

Une réponse de l’ESA jugée comme pas assez satisfaisante

L’ESA (Entertainment Software Agency), organisatrice de l’événement, a contacté par mail les personnes concernées par la fuite. Dans leur message, on peut ainsi lire les explications suivantes:

« Nous donnons aux membres de l’ESA et les exposants une liste média sur un site protégé par mot de passe afin qu’ils puissent vous inviter à des événements presse de l’E3, vous contacter pour des interviews, et vous laisser savoir ce qu’ils exposent. Pour plus de 20 ans, il n’y a jamais eu de problème. Quand nous l’avons découvert, nous avons suspendu le portail de l’E2 et nous sommes assurés que la liste ne soit plus disponible sur le site de l’E3. Encore, nous nous excusons pour le désagrément et nous avons déjà mis des mesures en place pour que ceci ne se reproduise plus. »

Sauf que la liste n’était clairement pas protégée par un mot de passe, comme le montre la vidéo initiale de Sophia Narwitz. Les excuses paraissent aussi, pour certains, insuffisantes.

Rupture de confiance

Deux questions se posent alors: comment l’E3 va-t-elle se relever de cette brèche dans la confiance que les journalistes et vidéastes lui portaient, et comment les journalistes et vidéastes en question vont-ils vivre les prochaines heures, voire semaine?

Les conséquences peuvent aller d’une commande de pizza délivrée à la porte d’un journaliste à un swatting, mais aussi à du harcèlement téléphonique ou à domicile. Heureusement, une bonne partie des journalistes avaient donné les coordonnées de leur rédaction, déjà disponibles en ligne à qui s’y intéresse. Mais d’autres, indépendants, ont souvent donné leurs lignes personnelles.

Seul le temps nous dira si un nouveau GamerGate, plus violent cette fois-ci, se prépare. En attendant, difficile de trouver une solution à la présence en ligne de cet annuaire au goût amer.

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