Philippe Courtois, Velophil: « Être derrière le comptoir, c’est ça qui m’excitait »

La mode a beau en être aux « start-ups » qui partent à la conquête du monde avec quelques lignes de code, Philippe Courtois, lui, a choisi « une entreprise en dur », il veut « être un commerçant de quartier ». Il vend et répare un produit qui a peut-être le vent dans le dos maintenant mais que les grands-parents connaissaient aussi: le vélo. 

« Ça te va d’écrire sur tes genoux? Alors on peut se poser dans le petit local derrière » – derrière la boutique, les vélos, entre toutes sortes d’outils et d’accessoires, dans les coulisses du marchand de vélos Velophil. Le magasin de Philippe Courtois a pignon sur rue, en bas d’une rue commerçante, et chaque cm² est occupé par un vélo ou l’accessoire qui va avec. Un beau petit magasin mais « on est tout petit à côté du Delhaize qui vient d’ouvrir, eux ont dû bien se saigner, c’est vraiment une autre échelle. Moi, j’ai commencé petit. » Petit, peut-être, mais en quatre ans, il y a du mouvement: avec Philippe Courtois, ils sont cinq (quatre équivalents temps-plein) à mettre la main à la pâte, c’est-à-dire à réparer ou vendre des vélos.

Qu’est-ce que tu as dû mettre sur la table au départ pour avoir ton magasin/atelier de réparation de vélos?

Donc ici, je suis locataire, j’ai aménagé un peu mais pas tant que ça. La belle peinture jaune là, c’est d’origine ;). J’ai plus investi dans le stock de vélos. Je suis parti avec une mise de départ relativement petite. J’ai emprunté zéro. J’ai un peu fait le tour de la famille. S’ils comptaient un jour me donner un coup de pouce, eh bien ce jour c’était maintenant pour moi. Quand on est sûr, motivé, qu’on a la tête sur les épaules… Il faut se lancer. Je gère mon argent en sachant que si je me plante, il n’y a pas de deuxième tour. Il faut être réaliste, mais ce n’est pas indispensable d’avoir des fortunes colossales.

On ne parle que de ceux qui cartonnent, en soi je n’ai pas la prétention de révolutionner le monde – mais je suis toujours là au bout de quatre ans, et j’ai embauché des gens.

Comment est-ce que tu t’es retrouvé à avoir ton atelier de vélos au lieu de faire du code comme toutes les start-ups à la mode?

J’ai étudié l’horticulture, donc rien à voir… Mais à la fin de mes études, je n’avais pas envie d’être professionnel là-dedans, je n’étais plus si motivé. La Maison du Vélo cherchait à engager quelqu’un, moi j’aimais bien le produit vélo, j’étais bilingue, j’ai postulé, le patron m’a engagé. J’ai bien aimé le commerce du vélo, c’est assez vivant et il y a un côté technique qui me plaît. C’est un des rares commerces où tu as un contact avec la clientèle.

Et là, au bout d’un temps, soit tu restes le second, le mécano du patron, soit tu te lances à ton compte et là tu deviens patron d’entreprise. C’est ce que j’ai fait. Il y a un côté challenging là-dedans qui m’a plu.

Quels sont tes atouts dans ce domaine-là?

La mécanique, j’ai appris ça plutôt sur le tas. Le fait de connaitre les langues me sert, j’ai la fibre commerciale, un bon contact avec les gens, je suis plutôt habile de mes mains. Un magasin online, une start-up où je passerais des journées à programmer, ce n’est pas mon truc. Être derrière le comptoir, c’est ça qui m’excitait. On ne valorise plus tellement ça…

Et là tu te sens au bon moment, au bon endroit pour lancer un magasin de vélos?

C’est clair que le vélo cartonne, il a le vent dans le dos. Aussi, je connais le quartier, j’habite pas loin. Ça me semblait naturel de m’installer là où je vis, et de faire un commerce de proximité. Mon aîné va à l’école dans le quartier et je me suis rendu compte que je connaissais tous les parents de l’école ou à peu près parce que je les vois au magasin.

En fait, la vente de vélos et d’accessoires rapporte peut-être plus, mais le service aux clients, c’est une continuité. On ne peut pas le délocaliser. Et c’est l’occasion de revoir les clients, de garder le contact avec eux.

Maintenant, quel est ton plus gros poste de dépenses?

Le personnel! On est quatre équivalents temps-plein – je prétends travailler à 4/5e mais je n’y arrive pas toujours.

Je recrute via « via », ça reste un cercle un peu fermé. Il y a un côté administratif, laborieux, dans la gestion d’une équipe. Quand je me suis lancé, j’étais le seul maître à bord. Maintenant une partie du boulot, c’est parfois taper sur les doigts des autres. Mon idéal, ce serait que tout tourne, que je ne sois pas le méchant monsieur.

Quels ont été tes coups de stress?

La mayonnaise a vite pris, je dois dire. J’ai vite pu me payer un petit salaire. Mais j’ai parfois été stressé: j’avais mis de l’argent dans le stock de vélos et il peut dormir parfois plusieurs mois avant la vente… Du coup, je me demande si j’ai choisi les bons modèles, tout ça. Maintenant, je prends tout plus à la légère.

Il faut toujours un peu jongler aussi, j’ai deux petits enfants, ce serait préférable que je puisse commencer à travailler tôt et terminer tôt. Mais j’ai beaucoup de clients qui viennent en fin de journée, je travaille le samedi, ma femme aussi comme sage-femme a des horaires compliqués… Donc ce n’est pas toujours facile. Quoi qu’on fasse, cela dit, partout, c’est toujours compliqué!

Mais tu as l’air plutôt confiant?

Sur les 10 dernières années, il y a eu pas mal d’ouvertures de magasins de vélos… Mais je crois qu’il y a toujours place pour la nouveauté. Les plus dynamiques ont toujours leur place. Le vélo cartonne et j’aime vraiment le produit, et ça a quand même son importance. Je crois que je passerai au-delà de l’effet de mode.

Quel conseil donnerais-tu à un entrepreneur qui se lance dans du solide, tangible?

Il faut y aller petit à petit; à refaire, par exemple, j’aurais peut-être pensé à louer un local un peu plus grand? Mais il faut travailler avec du bon sens, ne pas avoir des envies démesurées. Et puis il faut travailler tout court.

Qu’est-ce que tu as en tête pour la suite?

J’aimerais peut-être bien grandir, avoir un peu plus de confort et d’espace. Surtout, je veux devenir une référence… J’aimerais vraiment être une « maison » avec une tradition de qualité que les gens reconnaissent. C’est gratifiant. En fait, beaucoup de boîtes qui ont bien tourné ont privilégié le produit. Ceux qui sont partis en se disant qu’ils allaient faire fortune n’y sont pas toujours arrivés.

En soi, je n’ai pas de train de vie hallucinant. J’ai vite pu prendre des vacances, j’essaie d’être là quand il faut pour ma famille, de prendre du temps. Il faut savoir vivre simplement, là j’ai une voiture qui a 10 ans qui roule très bien et un smartphone qui fonctionne pas… et je suis très content.

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