La disparition de SVB a provoqué de tels troubles dans la Silicon Valley que les grands gourous de la technologie eux-mêmes ont appelé Washington à l’aide après des années de lutte contre toute intervention gouvernementale. Comment est-il possible que des dirigeants très intelligents disent A mais font B, non seulement dans le monde de la technologie, mais aussi bien au-delà ? Est-ce de l’hypocrisie ou se passe-t-il autre chose ?
Petit échantillon de toutes les ambiguïtés que nous avons pu entendre et voir récemment de la part des plus grands chefs d’entreprise du monde :
- Le patron de Tesla, Elon Musk, veut faire de Twitter la plateforme où tout peut se dire… mais en Chine, qui est l’un de ses marchés les plus importants, il peut très bien vivre avec la censure que le gouvernement lui impose ainsi qu’au reste du monde.
- Mark Zuckerberg investit des milliards dans la construction du métavers où nous devons tous interagir virtuellement… mais en même temps, il rappelle tous ses ingénieurs au bureau pour se rencontrer physiquement, car les résultats sont bien meilleurs.
- Les sociétés de puces américaines se sont toujours opposées aux subventions publiques que reçoivent les fabricants de puces chinois… mais maintenant, elles font toutes la queue pour profiter des 39 milliards de dollars que le gouvernement américain veut débloquer pour amener la production en Amérique.
- Jason Calacanis, l’un des principaux investisseurs et entrepreneurs du secteur de la technologie, estime depuis des années que les entreprises croulent sous les réglementations gouvernementales… mais il a été le premier à demander que les dépôts au sein de SVB soient assurés par ce même gouvernement.
Aussi en politique
Vous pouvez en imaginer une centaine d’autres vous-même, également depuis le monde politique.
Le maître en la matière est bien sûr Donald Trump, qui ne veut pas payer d’impôts lui-même mais qui veut défendre l’homme de la rue.
Ou Vladimir Poutine qui ose dire que ce sont les Ukrainiens qui ont déclenché la guerre et non les Russes. Un mensonge incroyable.
Ou qu’en est-il du dictateur vénézuélien Nicolas Maduro qui utilise désormais des deepfakes pour justifier ses propres politiques alors que son peuple est visiblement appauvri.
Dissonance cognitive
L’origine de ce comportement est appelée dissonance cognitive. Il s’agit du sentiment inconfortable qui survient lorsque deux pensées complètement opposées se présentent à la même personne. C’est un conflit intérieur qui ne peut être résolu parce que les deux pensées sont incompatibles.
Par conséquent, l’hypocrisie est aussi une forme particulière de dissonance cognitive. Car les hypocrites sont très conscients qu’ils disent A mais font B alors que certaines personnes ne réalisent pas qu’elles prêchent cette contradiction.
Rappelons la nuance dont nous avons parlé la dernière fois à propos de ChatGPT. Le mensonge est un processus conscient; raconter du bullshit, comme le font régulièrement ces chatbots, c’est aussi dire des mensonges, mais il n’y a aucune intention consciente derrière ce processus.
Plus c’est haut placé, plus c’est dissonant
Il est essentiel de comprendre que ce processus se produit tout le temps, surtout lorsqu’il s’agit de dirigeants. Plus on monte dans la hiérarchie des entreprises ou des gouvernements, et plus les gens sont intelligents, plus il leur est difficile de justifier certaines décisions ou certains comportements politiques. Le niveau de dissonance cognitive et d’hypocrisie augmente donc à vue d’œil.
La seule chose que vous pouvez invoquer comme circonstance atténuante est qu’il est souvent impossible de rester cohérent lorsque tant d’intérêts différents sont en jeu. Vous devenez automatiquement cognitivement dissonant.
La seule défense
La seule façon pour vous, en tant que citoyen ou en tant que salarié dans une entreprise, de vous armer contre cela, c’est de réaliser que ce comportement existe. Vous ne pouvez pas faire grand-chose, mais vous pouvez tout de même reconnaître cette contradiction dans le comportement de votre dirigeant et en tirer vos conclusions sur ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, ce qui est vrai et ce qui n’est pas vrai. Cela nécessite une vigilance constante car ces dirigeants gèrent généralement aussi les médias et les plateformes sociales et peuvent imposer leur propre narratif… qu’ils ne supportent souvent pas, s’ils sont vraiment honnêtes avec eux-mêmes.
Xavier Verellen est auteur et entrepreneur.
(OD)