« Permafungi »: là-derrière, il est question de permaculture, et de champignons, comme le nom l’indique. Mais ce n’est pas là la particularité la plus frappante de cette entreprise de sept personnes: ce qui la distingue, aussi, c’est le fait que les fondateurs se retirent de la gestion quotidienne pour que les décisions se prennent de manière vraiment participative.
Martin Germeau, le co-fondateur de Permafungi parle de « résilience urbaine », de « durabilité », de « mise à l’emploi », de « gouvernance participative », de « s’amuser au travail ». Autant de mots très cools, qui peuvent attirer les subsides et construire la sympathie d’une communauté. En lui parlant, on a voulu savoir ce qu’il y avait vraiment derrière ces mots magiques, si en vogue.
En fait, Permafungi est triple: Eat, Grow Learn. Eat: des pleurotes, Grow: avec des kits que les gens peuvent acheter pour faire pousser des pleurotes chez eux: , Learn: formation et sensibilisation, via e.g. des workshops. Permafungi, c’est aussi des vélos dans Bruxelles qui collectent les marc de café et 1000 m2 à Tour et Taxis. C’est une coopérative sociale, on est du coup « moins attaché à ses billes » selon le co-fondateur, Martin Germeau. En attendant, sept personnes y travaillent aujourd’hui, et la cause rassemble de près ou de loin de nombreux sympathisants.
Comment l’idée vous est-elle venue de transformer du marc de café en pleurotes?
J’ai fait des études de bioingénieur et j’avais ce grand questionnement sur le sens de mon travail, de la vie. J’ai fait un grand voyage, en Inde, en Thaïlande, après mes études. Là, j’ai découvert la permaculture un gars m’a parlé de transformer du marc de café en pleurotes. Je cherchais justement un projet qui fasse sens, qui soit local, urbain: ici, tout y était: avec un déchet (du marc), on produit de la nourriture (des pleurotes), en utilisant des espaces vacants comme caves. Il y a des vers dans le vermis de compostage, qui sont bons pour les poules, et leur jus peut fertiliser le sol… Bref, on aide l’écosystème urbain.
Puis l’autre Martin, le co-fondateur était dans la même pièce que la pote à qui je décrivais le projet sur Skype. On avait été dans la même école, il m’a entendu parler sur Skype et il a dit « ah mais là, c’est un truc pour moi ».
Comment est-ce que tu présentes ton projet quand tu en parles à une fête par exemple?
Je dis « champignons sur marc de café » et « Tour et Taxis » aussi: comme ça, les gens voient toujours bien de quoi il s’agit.
Derrière, on a passé beaucoup de temps à définir le concept, la mission, les valeurs de notre projet. On promeut la résilience urbaine, on veut donner un exemple d’entrepreneuriat durable, socialement responsable, fun aussi… Et les champignons qui poussent sur du marc de café sont cet exemple.
Être une coopérative sociale, qu’est-ce que ça vous apporte?
Il y a dix ans, ça aurait beaucoup moins bien marché: aujourd’hui, ça fait sens dans la tête des gens! Notre page Facebook est vraiment active, notre projet est porté par une communauté.
On a formé une équipe de départ à cinq, en rassemblant les talents d’autres gens qui voulaient faire ce projet mais ne l’avaient pas encore débuté. Du coup, on a formé une équipe complémentaire, de profils variés: un de nous était calé en logistique et nous dénichait une chambre froide quand il fallait, un autre bossait chez un pétrolier et nous apportait la vision commerciale dont on avait besoin…. Il y a un engouement, on a eu des coups de main donc, beaucoup.
Aussi, on a eu des subsides de lancement la première année pour notre finalité sociale – on réinsère sur le marché du travail des profils peu qualifiés car la culture des champignons est intensive en main d’oeuvre.
Combien d’emplois avez-vous créé, pour qui?
Sept personnes travaillent au jour le jour chez Permafungi: il y a un coordinateur général, un responsable de production, un responsable commercial, de communication. Le reste de l’équipe travaille à la production. Ces personnes n’ont pas besoin d’études, elles peuvent sortir par exemple d’une longue phase de chômage. Du coup, on reçoit aussi un subside structurel. On cherche la complémentarité, les différences sont des atouts plutôt que des freins.
Comment est-ce que vous vous y prenez pour avoir une entente entre vous tous?
On tente d’aller vers la gouvernance participative, une personne, une voix. C’est une coopérative donc l’esprit est différent. Les deux fondateurs, les deux Martin donc, on s’est éloignés de la gestion quotidienne: entreprendre, c’est aussi s’investir puis passer le relais à un moment.
Aussi, au niveau personnel, c’est un travail permanent pour se mettre en question, travailler sur soi, trouver sa place dans l’équipe etc. J’ai dû apprendre à ne pas lâcher prise au niveau technique, quand on croisait des difficultés.
Sans aides et subsides, un projet tel Permafungi est-il jouable?
Difficile à dire… Plutôt non peut-être… En soi, les subsides sont un push qui nous permet de prendre de l’ampleur. On les utilise pour continuer à se developper.
Aussi, la culture des champignons n’a pas une immense valeur ajoutée. Tout le défi est de rendre ce produit viable économiquement. Il faut arriver au prix juste pour une alimentation juste, et cela demande énormément de créativité. Mais peu à peu, on prouve que ce modèle peut fonctionner.
Qu’est-ce que tu as connu comme coups de stress?
Ah j’en ai tout le temps. Je suis du genre à tout remettre en question! Il y a eu entre autres des difficultés de production: en fait, on a une astuce de production qui nous permet de pas stériliser le substrat – le marc de café a déjà été chauffé dans la cafetière, donc il est stérilisé. Seulement, il faut respecter toutes sortes d’étapes lors de la chaîne de production pour maintenir cette qualité. On y est arrivés. C’est une victoire au niveau de la production et notre chiffre d’affaires tient là-dessus.
Tes ambitions là?
J’aimerais avancer davantage encore vers un modèle économique viable: on produit à côté d’une concurrence de taille, qui fait des champignons dans des méga-hangars et qui réalise des économies d’échelle. Nous, on a cette ambition de faire les choses de manière artisanale, de mettre des gens au travail… Mais les gens ne sont pas prêts à payer deux fois le prix pour autant. Il nous faut donc énormément de créativité, et « penser global pour agir local »: en l’occurence, on pense en termes de résilience urbaine.
Et moi… et bien je passe à autre chose-là. J’ai toujours eu du mal à me projeter dans un métier, et je vois Permafungi comme une manière d’amener un impact social positif. Je reste actif dedans, au niveau du conseil d’administration, mais là, je passe à autre chose: je développe une activité de thérapeute.