Les provinces sont-elles vraiment inutiles? Voici un petit guide pour sortir des préjugés

Souhaitée par la nouvelle majorité MR-cdH, la réforme des provinces sera compliquée à mettre en place. Niveau de pouvoir obsolète pour certains, missions indispensables pour d’autres, on a tenté de mesurer le pour et le contre des cinq provinces que compte la Wallonie. Histoire de tordre le cou à certaines idées reçues.

Suite à la crise politique francophone, la nouvelle majorité wallonne MR-cdH a mis en place une batterie de mesures sur la bonne gouvernance ainsi que sur la simplification de certaines institutions. Dans l’œil du cyclone: les provinces. Elles sont considérées par beaucoup comme un niveau de pouvoir dépassé.

Il s’agit aussi d’un des vieux chevaux de bataille d’Ecolo, et il faut noter que la précédente majorité PS-cdH voulait déjà s’en débarrasser, sans toutefois s’exécuter.

Mais à quoi servent-elles finalement? Quelles sont leurs missions? Combien coûtent-elles? Un transfert des compétences vers la Fédération Wallonie-Bruxelles ou la Région wallonne sera-t-il vraiment efficace? On va tenter de répondre à toutes ces questions.

Missions, budget et personnel

Commençons par les définir: les provinces sont avant tout des territoires géographiques, et il en existe cinq en Région wallonne: la province du Hainaut, de Liège, de Namur, du Brabant-Wallon et enfin du Luxembourg. Mais qu’importe la formule désirée – simple réforme ou suppression pure et simple – ces territoires ne seront pas remis en cause.

La nouvelle majorité et Ecolo visent plutôt l’institution politique. Chaque province dispose en effet d’un ensemble de missions propres et qui découlent elles-mêmes de compétences traitées à la Région ou en Fédération. Ces missions sont vastes mais peuvent être rassemblées dans trois domaines: la culture, l’enseignement et les soins de santé. Elles prennent en charge des problématiques qui dépassent le cadre d’une commune, sans toutefois atteindre un niveau régional. Il faut cependant noter que ces missions sont assez disparates selon la province, si bien que chaque cas est différent.

Il en va de même pour le budget: chaque province dispose d’un budget différent. La province du Hainaut est la mieux lotie avec près de 400 millions d’euros de budget en 2017 contre près de 100 millions d’euros pour la province du Luxembourg. Point important: 10% de ce budget doit être alloué aux zones de secours (pompiers, services d’urgence…), et 10 autres au profit de la supracommunalité, c’est-à-dire un niveau de pouvoir qui dépasse le cadre de la commune. Notons encore que les provinces disposent de leurs propres ressources et qu’elles sont comprises dans le budget total énoncé.

Au niveau du personnel, chaque province dispose d’un Conseil provincial. Il est composé de 50 à 90 conseillers selon le nombre d’habitants. Ils sont élus directement pour une période de 6 ans et ces élections vont de pair avec les élections communales. La prochaine aura d’ailleurs lieu le 14 octobre 2018. Si le Conseil a un pouvoir législatif, le Collège lui exécute: il est composé de 4 à 5 députés provinciaux avec à sa tête un Gouverneur. Il faut savoir que chaque député dispose en moyenne d’une équipe de cinq personnes. On peut donc monter à plus de 100 collaborateurs concernant l’ensemble de l’institution politique. Mais ça peut monter beaucoup plus haut si on prend en compte les fonctionnaires issus de l’enseignement ou du secteur des soins de santé. Le nombre d’emplois concernés atteint par exemple la barre 10.000 pour la province du Hainaut, rapporte Le Soir.

Pour

Si la suppression pure et simple de ces provinces est de moins en moins souvent évoquée, on se dirigerait maintenant vers une réforme plus douce et plus progressive. Et cela sera de toute façon nécessaire: il faut une majorité des deux tiers pour réformer les provinces, donc bien au-delà de la majorité actuelle. Mais c’est promis, cette nouvelle majorité ne compte pas toucher au personnel, pas plus qu’Ecolo d’ailleurs. En cas de restructuration, l’emploi serait garanti. Chose qui est encore à prouver pour les services généraux comme l’informatique, les secrétariats ou les services financiers. Il y aura de toute façon un transfert des lieux de travail.

Toujours est-il que deux logiques s’affrontent sur le plan idéologique. La première pense qu’il est indispensable de restructurer et simplifier les provinces pour finalement transférer leurs compétences vers la Communauté et la Région. La deuxième veut les maintenir dans une logique de proximité que l’on peut rassembler sous le principe de subsidiarité. En bref, cela signifie que toute action publique revient à l’entité qui est la plus proche de ceux qui sont concernés. Mieux avisée, elle en serait plus efficace.

Nous avons interrogé Patrick Adam (PS), président du Collège provincial du Luxembourg. Et il ne tient pas du tout le même discours que certains députés régionaux ou communautaires, fussent-ils de sa famille politique. S’il est prêt à discuter pour réformer les provinces – ce qui au passage ne serait pas une première – il attend des niveaux régional et communautaire qu’ils traitent les citoyens de manière équitable. Pour lui, la Province compense un certain déséquilibre au niveau des dépenses allouées: « Avant de vouloir remettre en cause le système, il faudrait proposer un système plus juste qui garantisse aux Luxembourgeois d’être traités de la même manière que les autres ».

Patrick Adam affirme par exemple qu’au niveau culturel, le budget alloué par la Fédération Wallonie-Bruxelles est moitié moindre que celui de la province de Namur concernant le théâtre, et il est carrément de zéro pour le secteur du cinéma. Et cette disparité « est encore pire par rapport à Liège et au Hainaut. » Voilà pour lui le principal rôle des provinces: « compenser un déséquilibre pour éviter les discriminations », et appliquer des politiques d’aide là où il n’y en a pas: « Nous avons créé une pièce de théâtre pour que les acteurs en devenir de la province puissent jouer, sinon il n’existerait rien ».

Le terrain

Le président du Collège provincial ne manque pas d’exemples concrets. Ici, dans le domaine de soins de santé: « Nous ne disposons pas de centre spécialisé concernant l’autisme. Il y en a un à Mons et l’autre à Liège, cela veut dire que toutes les familles doivent prendre leur véhicule et aller là-bas pour être traitées comme tout le monde (…). Nous avons bien reçu de la Région wallonne un subside pour traiter une trentaine de dossiers, mais la province du Luxembourg en traite presque le double ». Même chose pour « un internat que nous avons construit à proximité d’une école pour 20 enfants polyhandicapés qui doivent être pris en charge 24h/24, 7j/7. Sur un coût de 5 millions d’euros, nous n’avons reçu que 250.000 euros de la part de la Région ».

Mais si on transférait l’ensemble des compétences provinciales vers la Région ou la Fédération Wallonie-Bruxelles, cela ne permettrait-il pas de dégager des moyens supplémentaires? « J’attendais cette question bien sûr », nous répond Patrick Adam. « Des études prouvent que quand un Luxembourgeois donne 1 euro à la Région wallonne, il lui revient 0,1 euro d’investissement dans la province de Luxembourg. Tandis que quand un Luxembourgeois paye directement cet euro à la province de Luxembourg (ressources propres), il lui revient 1,3 euro. » Bref, une trop grosse concentration des missions pourrait les faire perdre en efficacité. On en revient à ce fameux principe de subsidiarité qui est de confier une mission au niveau de pouvoir qui est le plus proche et donc le plus efficace.

Concurrence entre communes

C’est d’autant plus important que les communes, par définition, n’ont pas ou peu d’intérêt au-delà de leur territoire, rappelle Patrick Adam. Il faudrait donc un niveau de pouvoir intermédiaire qui aurait plus d’indépendance dans ses décisions. Et de fait si les provinces disparaissaient, il faudrait les remplacer par d’autres structures qui captent les problématiques de terrain mais au delà de la simple commune. Et avec la mauvaise pub qui tourne autour des intercommunales, on se dit finalement qu’une assemblée élue (la province) et qui peut donc être sanctionnée, constitue peut-être la moins mauvaise solution.

Sans compter que les communes ne disposent pas toujours des moyens nécessaires: « Sur les 44 communes que compte la province de Luxembourg, seul Arlon a plus de 25.000 habitants », rappelle Patrick Adam. Beaucoup n’ont donc pas les moyens de mettre en place leur politique. Sans parler des ressources humaines, il est parfois très difficile de trouver un universitaire sur place. « Alors ok, une réforme est peut-être nécessaire, mais pour l’instant je n’ai rien vu de plus efficace que les provinces » pour gérer ces missions supracommunales. « J’ai souvent coutume de dire que 44 communes ne sont pas égales à un regard provincial. »

Un moyen de se recaser?

OK, mais n’engendrent-elles pas un coût supplémentaire? « Vous savez, le fonctionnement politique en province de Luxembourg ne coûte que 800.000 euros. Sur un budget de 96.000.000 d’euros, ce n’est même pas 1%. En plus, il y a déjà eu en 2012 un gros travail de diminution de la représentation ».

Et que répond le président à ceux qui accusent les provinces d’être un niveau de pouvoir dans lequel on recase des élus? « Pour le Luxembourg, ce n’est pas le cas. Sur les quatre députés provinciaux issus du Luxembourg, aucun n’a été député wallon. Aucun. Et sur les 37 conseillers provinciaux, aucun n’ont été élus à la région ou au fédéral. En plus, les élections provinciales ne tombent pas en même temps que les régionales, donc je vois mal comment on pourrait choisir d’aller dans une assemblée plutôt qu’une autre ».

Facebook Patrick Adam

Contre

Pour défendre la réforme, nous appelons à la barre Philippe Henry (Ecolo), député wallon et favorable la suppression des provinces. Mais en quoi les provinces gênent-elles le député issu du Hainaut? « On ne reproche rien aux provinces en tant que telles, mais on vise ici la complexité institutionnelle. Les provinces sont un vieux niveau de pourvoir qui correspond à un découpage plus vieux que la Belgique et qui ne rend pas compte des bassins de vie actuels ».

Du coup, pour le député, le niveau provincial se retrouve coincé entre la commune et celui de la région ou de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Deux niveaux où beaucoup de compétences ont été transférées suite aux différentes réformes de l’État ». Pourquoi ne pas aller jusqu’au bout.

Plus de simplicité

Le député Ecolo se montre toutefois rassurant pour le devenir des missions provinciales: « Nous voulons bien sûr maintenir les missions ainsi que le personnel, mais nous voulons aussi les redistribuer selon le niveau de pouvoir le plus cohérent en vue de simplifier nos institutions ». C’est-à-dire au niveau régional, communautaire ou supracommunal. Il doit donc demeurer un niveau qui dépasse la simple commune. C’est le cas des intercommunales. Mais pour ces dernières justement, les récents événements autour de Publifin ne viennent-ils pas les remettre en cause? Difficile en effet d’y exercer un contrôle démocratique, non? « Il est clair qu’il faut renforcer le contrôle à ce niveau, mais si vous prenez l’exemple de l’affaire Publifin, le niveau de pouvoir qui a le plus de responsabilités est la province de Liège. C’est elle qui a bouclé tout de l’intérieur grâce à des personnes cooptées. La province aurait pu totalement empêcher que cette intercommunale ne devienne une telle boite noire, or, elle l’a justement favorisé ».

Le député poursuit: « Le problème de fond c’est que la majorité des missions provinciales ne concernent justement pas toute la province, parfois elles sont même à cheval sur plusieurs provinces ». Donc le but est simple: il faudrait regrouper les missions à un échelon plus grand, « des missions qui font d’ailleurs double emploi dans certains puisque les mêmes matières y sont de toute façon traitées ».

Plus de lisibilité

En regroupant les moyens, le député Ecolo pense aussi pouvoir gagner en efficacité, en plus d’un meilleur contrôle des dépenses. Sans compter l’apport « en lisibilité ». Le niveau provincial à cette étrange spécificité d’être un niveau de pouvoir proche du citoyen géographiquement, mais en même temps assez opaque. Qui par exemple est capable de citer le nom d’un député provincial?

Il faudrait aussi plus de transparence, notamment concernant certains élus recasés ou du moins au niveau du personnel: « C’est sûr que ce n’est pas dans les provinces que les choses sont les plus transparentes ». Philippe Henry veut dire par là que pas mal de collaborateurs sont politisés au niveau de l’administration et choisis à ce titre. Le député rappelle toutefois que ce n’est pas le seul niveau de pouvoir où c’est le cas. « Nous voulons d’ailleurs une dépolitisation générale au sein des administrations », rappelle-t-il.

Une première mesure?

Quelle serait la première mesure à prendre en vue de la réforme? « Eh bien la première chose à faire serait d’établir un inventaire précis. On ne connait pas précisément, province par province, quelles missions sont entreprises, quels sont les budgets alloués, le nombre d’employés… C’est tout à fait réalisable dans les mois ou les prochaines années, mais il ne faut pas reporter en permanence la réforme comme on le fait jusqu’à présent. »

Voilà. On espère que cet article t’aura permis de te faire ta propre opinion et de peser le pour et le contre. S’il y a des bons arguments des deux côtés, on ne peut s’empêcher de penser qu’il faut aller vers une simplification des structures. La Belgique reste un des pays qui compte le plus de représentants par habitant. Le défi, c’est éviter de créer des disparités de traitement entre les citoyens tout en essayant de rendre les politiques publiques plus efficaces.

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