Le SIAMU, une nouvelle preuve de l’énorme emprise du PS sur Bruxelles

Mercredi, La Libre rendait public un rapport accablant de la Cour des compte sur la gestion des marchés publics du SIAMU, le service des pompiers bruxellois. Documents manquants, falsifications, achats de matériel chez un seul fournisseur, aucune mise en concurrence des offres… la liste des infractions est longue. Mais les réponses apportées par la direction actuelle ne satisfont pas du tout le personnel de terrain. Pire, la faute leur est parfois imputée. Ils ont décidé de ne plus se taire et nous ont parlé d’un malaise qui dure depuis plus de 20 ans.

Le SIAMU, le Service d’Incendie et d’Aide Médicale Urgente de la Région de Bruxelles-Capitale, est au centre d’une polémique. Sa gestion, « catastrophique », a été révélée par un rapport de la Cour des comptes accablant. Spécifiquement sur l’établissement des marchés publics où la règle est de mettre en concurrence les différentes offres pour garantir le bon fonctionnement, les fournitures et les services d’une institution publique.

Mais aux dires des différents acteurs de terrain, le problème est beaucoup plus large que ça. Personnel parachuté, méconnaissance du rôle de chacun, absence de contrôle… les directions successives sont pointées du doigt, le monde politique également. Et en particulier la mainmise du PS sur l’institution.

Remise en contexte

Pour bien comprendre la situation, il faut d’abord savoir que le SIAMU se divise en deux pôles. Une aile administrative, présidée récemment par Thierry Mercken (PS), et une aile opérationnelle. Le problème de départ, c’est que cette direction administrative « ne connait pas son propre rôle », nous explique Eric Labourdette, président du secteur zones de secours du SLFP depuis 2004, et actif au SIAMU depuis plus de 30 ans.

« Ils ignorent l’existence même des lois qui régissent l’institution. Un arrêté d’exécution précise bien quel est le rôle de chacun, tant pour l’aile administrative que pour l’aile opérationnelle. Tout y est indiqué clairement. Le pôle administratif doit s’occuper de l’établissement des achats, du cahier des charges, des jours congés, etc. ».

Mélange des rôles

Or c’est un peu le foutoir: « le petit personnel administratif de l’aile opérationnelle doit s’occuper parfois lui-même de l’achat de fournitures. Et heureusement qu’il est là pour combler les manques du personnel et de la direction administrative, c’est le règne de la débrouillardise. » Le syndicaliste du SLFP poursuit: « On parle quand même d’une enveloppe de 100 millions d’euros, gérée par le petit personnel de niveau B de l’aile opérationnelle. Est-ce que c’est normal? Où cela existe-t-il ailleurs? » Au-delà de la mauvaise gestion des marchés publics, le syndicaliste demande d’abord que chacun connaisse son rôle.

Même son de cloche d’un capitaine des pompiers qui exerce sa fonction depuis plus de 25 ans, mais qui parlera sous le couvert de l’anonymat: « Ce sont les officiers (du service opérationnel) qui tiennent la baraque. » S’il reconnait que des manquements ont pu être commis lors de l’établissement de marchés publics –  » par un personnel qui n’est normalement pas compétent pour ce genre de tâches » – il insiste sur le fait que chacune de leur action doit néanmoins être approuvée par la direction administrative, et contresignée par le pouvoir politique.

« Faux cul »

Dans le même temps, la direction actuelle se défend. Thierry Mercken (PS) reconnaissait hier au JT de la RTBF ces manquements, mais il ne voulait pas parler de malversations pour autant (comme épinglé dans le rapport de la Cour des comptes). « C’est un pas que je ne franchirai pas, et je ne suis pas là pour ça », insiste le directeur de l’aile administrative.

« Faux cul », voilà comment Eric Labourdette a qualifié les explications de la direction. « Les prérogatives des deux ailes ont bien été départagées. La direction administrative essaye de se dédouaner, de mettre la responsabilité sur le personnel de l’aile opérationnel. Complètement à tort puisqu’ils ignorent même les lois qui régissent leur propre institution. Pendant 20 ans, la direction administrative a fait tout et n’importe quoi, voilà la vérité ».

Tout un système

Le syndicaliste en veut spécifiquement au monde politique. Il reconnait que la secrétaire d’État qui chapeaute le SIAMU depuis 2014, Cécile Jodogne (DéFi), « essaye de rattraper un retard » qui dure donc « depuis plus de 20 ans ». La secrétaire d’État a d’ailleurs promis une grande réforme pour début 2018. La mauvaise gestion du SIAMU est en effet bien antérieure à cette date, « déjà sous la direction de Madame Jordan (Chantal Jordan) et suite aux gouvernements successifs », nous rappelle le syndicaliste.

En fait, c’est tout un système qui est mis en place. Et il est clairement estampillé PS. Eric Labourdette ne retient en tout cas plus ses coups: « Certains membres du personnel administratif ont été parachutés par le monde politique, issus des cabinets ministériels ». Juristes, comptables, spécialistes des marchés publics… les cabinets de Charles Picqué, Rachid Madrane, Emir Kir et Rudi Vervoort (PS) sont cités au gré des différentes législatures. C’est tout un système qui est visé: « Les services publics bruxellois sont tellement noyautés par la politique que tout le monde se renvoie la balle dans cette histoire ».

Le capitaine des pompiers sous couvert d’anonymat ne nous dit pas autre chose: « On a vu débarquer du côté administratif des gens qui n’étaient pas choisis sur base de leurs compétences et qui n’étaient pas mis en concurrence avec d’autres candidats. Ils étaient là parce qu’ils étaient bien vus du Parti socialiste. »

« Aucune compétence »

Même au niveau de la direction: « On a vu débarquer madame Jordan, qui en fait n’a aucune compétence en matière de management mais qui a été parachutée comme directrice générale pour services rendus au parti socialiste, et rien d’autre. C’est exactement la même chose pour Monsieur Mercken qui a remplacé madame Jordan. Il n’a aucune compétence en matière de finance ou de gestion, mais il a été parachuté au service d’incendie ».

Le capitaine poursuit: « Et ce, de manière tout à fait illégale le dernier jour avant les élections (2014) ». Pour la petite histoire, Thierry Mercken a travaillé pendant dans 12 ans dans différents cabinets socialistes. Pour ne pas les citer: madame Dupuis (PS), monsieur Kir (PS), monsieur Madrane (PS). Il en est de même de son adjoint qui a été débarqué du cabinet de monsieur Vervoort (PS). » On peut retracer le même chemin pour madame Jordan: « Elle est de la section socialiste d’Etterbeek, elle était la cheffe du service juridique de la CGSP, et elle fait partie de l’ancien clan Moureau. Si elle a été parachutée au SIAMU, c’est pour services rendus. Il ne faut pas se le cacher. »

En résumé, si notre source anonyme reconnait que « la situation actuelle (la gestion des marchés publics) n’est pas saine, on ne peut pas pour autant reporter la faute sur le petit personnel qui n’a pas été formé pour ça. Ils ont fait tourner la boutique. Et les pompiers ont fait leur boulot. Les incendies sont éteints et les urgences sont assurées. »

On est bien ici dans un problème de gestion. À la connaissance du capitaine, « aucun enrichissement personnel n’a été commis, pas plus que de détournements de fonds ».

Bruits de couloir

Justement, qu’en pensent les pompiers de terrain, dégoutés par tout ce qu’ils lisent dans la presse de ces derniers jours? Ils sont bien conscients de la situation, il y a les « bruits de couloir », et beaucoup ne datent pas d’hier. Tous les pompiers que nous avons questionnés nous ont dressé une liste non exhaustive des manquements, de la mauvaise gestion, et pire, des copinages lorsque le SIAMU vient à choisir un fournisseur plutôt qu’un autre, un entrepreneur plutôt qu’un autre.

Si les pompiers, de manière générale, reconnaissent qu’ils disposent d’un matériel de bonne qualité, et que leur action reste efficace, leurs revendications sont nombreuses (manque de moyens humains, formation, manque de vêtements, manque d’aménagements pour le personnel à mobilité réduite…). Et quand ils apprennent de l’autre côté que la gestion administrative comporte de nombreux manquements (factures impayées aux fournisseurs, budgets qui s’entrecroisent…), ou pire, des malversations sous le manteau, la colère gronde, logiquement. Le monde politique comme la direction administrative en prennent pour leur grade: « On ne cherche pas la compétence, on cherche le placement des amis. On se demande vraiment où est la bonne gouvernance au sein du service », nous explique un pompier qui a exercé son métier pendant plus de 20 ans à Bruxelles. « Certains membres du personnel sont parfois virés sans explications. Pour placer un pion plutôt qu’un autre. En vue de faire une carrière. C’est monnaie courante. »

Sur les marchés publics, les pompiers entendent également de nombreux bruits de couloir: « Oui, on entend des choses. On barre un chiffre, on le remplace par un autre. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Oui c’était connu, même si on n’a pas les moyens de prouver ce qu’on avance. »

Commission spéciale

Voilà. Une commission spéciale devra faire toute la lumière sur ces différentes zones d’ombres et pointer les différentes responsabilités. La commission devrait être mise en place dès mardi prochain par le Bureau politique élargi du parlement bruxellois qui se réunit demain.

Si on doit se montrer prudent sur les comparaisons avec l’affaire du Samusocial, nul doute que, encore une fois, c’est tout un système qui est visé. Un système qui laisse peu de place à la transparence, au contrôle et, in fine, à la bonne gestion du service de pompiers de Bruxelles.

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