Startups.be: tout est dit dans ces quelques lettres. La plate-forme initiée par Karen Boers rassemble à travers toute la Belgique les start-ups, les pures et dures: celles qui sont dans la tech. Startups.be les aide à grandir et aller à l’international. Karen Boers partage sa vue privilégiée sur un monde qui change le nôtre.
Karen Boers est quelqu’un d’occupé, de très occupé. Pour avoir une chance de mettre la main dessus, dit-elle, il faut tenter le matin tôt ou en fin d’après-midi. Et elle trouve le temps, oui oui, parce qu’elle croit dur comme fer que les start-ups, c’est l’avenir et qu’on peut créer avec elles 100.000 jobs en 5 ans. Et qu’elle a envie de rendre cette ambition réalité, et qu’elle est prête à le faire savoir. C’est ce qui a amené Karen Boers à mettre sur pied startups.be, cette plate-forme qui représente une communauté de plus de 1.500 start-ups, dont plus 150 sont allées à l’étranger.
Startups.be, à quoi ça sert?
Startups.be, c’est ce guichet unique pour les start-ups, au sens traditionnel du terme – tournée vers la technologie donc. Ces start-ups rejoignent startups.be quand elles ont gagné assez de traction sur le marché national pour aller à l’international.
Nous travaillons à un niveau national afin de pouvoir représenter une masse assez conséquente sur la scène internationale. startups.be se veut une plateforme de co-création, qui parle d’une voix forte à l’international.
C’est aussi un carrefour pour les investisseurs, les clients, à un niveau national. Nous voulons tirer parti des nouvelles idées et des dernières leçons apprises pour améliorer l’entrepreneuriat. Nous voulons aussi être un porte-voix, un vecteur de changement pour les générations futures.
Quelles sont les cartes qu’une start-up belge peut jouer?
En Belgique, on a beaucoup de talents du côté tech, ingénieur. On excelle un peu moins dans tout ce qui est marketing, sales. On est très orienté BtoB – 70% de nos start-ups visent des entreprises plutôt que le consommateur individuel. La Belgique est aussi plutôt tournée vers les services. Du coup, on développe par exemple de la tech applicable aux ressources humaines. On a des boîtes comme TwitSpark (support client), Showpad (solution d’aide à la vente), TeamLeader (système de e.g. facturation en ligne). Il y a 10 ou 20 ans, ces boîtes auraient été de la consultance. Aujourd’hui, elles développent un produit, qui peut être développé à plus grande échelle.
La Silicon Valley, aux États-Unis, n’est pas vraiment la « place to be » pour les Belges. Israël ou Singapour par exemple sont plus proches de notre écosystème.
D’où t’est venue l’idée de startups.be?
Je suis entrée à iMinds, le centre de recherche et d’entrepreneuriat digital en Flandre, au tout début, en 2005. J’en suis devenue le directeur marketing et j’ai développé un vaste réseau. Beaucoup d’entrepreneurs venaient me trouver: ils avaient besoin de ma vue d’hélicoptère sur les ressources, les contacts, qui existaient. Et, d’autre part, des professionnels du Voka, d’Agoria, des investisseurs venaient aussi me poser des questions. J’avais des questions en Flandre, mais aussi à Bruxelles et en Wallonie.
Je me suis dit qu’il y avait là matière à faire quelque chose. J’ai commencé par organiser un événement, les « tech start-up days », dans mon temps libre, avec un petit budget de iMinds. La première a eu lieu en 2012 et ces journées sont devenues un événement-phare: c’était la première fois qu’il y avait un tel événement à l’échelle de la Belgique, une marque belge, vraiment. Et les start-ups galéraient pour aller à l’international: elles avaient besoin d’un coup de pouce spécialisé, différent de celui qu’offrent les agences régionales à l’exportation, pensées pour de grandes sociétés.
Il y avait ce besoin donc, et startups.be est arrivé. J’ai commencé sans business model, sans avoir le réseau adéquat… Mais du coup, avec cette première expérience, ma seconde création (European Startup Network) a été beaucoup plus vite. Ma troisième aventure, qui se lancera officiellement en mars, ira encore plus vite: maintenant, j’ai accès aux gens qui ont de l’argent et qui veulent aider mon projet.
CEO, fondatrice, une vie de famille avec cinq enfants… C’est quoi ton truc?
Haha… Je ne dors pas beaucoup, environ six heures par nuit.
Aussi, l’avantage d’être indépendante, comme moi, c’est que je peux être là quand mes enfants ont besoin de moi, à 4 heures aux portes de l’école par exemple, je peux les conduire à leurs différentes activités, et je peux aussi choisir de travailler de 20h à minuit.
Je n’ai pas beaucoup de vie sociale, peu d’amis – mais je fais des projets qui comptent pour mes enfants, pour le futur de ma famille. Quand je vois passer un projet qui me touche, je ne peux faire qu’une chose: sauter à bord de ce projet.
Qu’est-ce qui va changer la donne dans ton domaine dans les années à venir?
La technologie fera partie d’absolument tout. Elle va bousculer tous les business modèles. Ce sera la plus grande démocratisation jamais vue.
Ce sera tout à fait possible d’être à la fois un hôte pour Airbnb, à mi-temps, et professeur, l’autre mi-temps. On pourra travailler beaucoup quand on en a besoin, beaucoup moins à d’autres moments. On a hérité du système de la révolution industrielle: une pyramide, avec une personne au-dessus, qui bénéficie principalement de ce système. Tout ça va changer et devenir beaucoup plus démocratique.
Et si certaines personnes, moins bien formées, se retrouvaient dépassées par cette évolution?
Il faut vraiment embrasser, totalement, cette évolution pour qu’elle soit un succès. Ce sera aussi le rôle du gouvernement de faire en sorte que les gens bénéficient d’une certain niveau de protection. J’estime que les gens doivent avoir un contrat. Le cadre légal devra s’adapter à ce modèle tout différent.
Pourquoi y a-t-il si peu de femmes entrepreneurs?
En effet, on compte 6% d’entrepreneuses, et si on cherche des entrepreneuses dans des start-ups, en tech donc… il y en a encore moins. C’est absolument déplorable. C’est beaucoup une question de rôle modèle.
Aussi, le moment de la vie où une femme peut fonder une famille, entre 25 et 45 ans environ, clashe avec ce moment de la vie où, souvent, on entreprend. Or entreprendre impose pas mal de contraintes à la vie de famille: c’est risqué, très risqué, il n’y a pas de congé de maternité, une femme est souvent mise sous pas mal de pression pour s’occuper des enfants. Un homme, lui, peut choisir d’avoir des enfants plus tard, à soixante ans s’il veut.
Par contre, parmi les minorités, les migrantes, entreprendre en cette ère de technologie ouvre de nouvelles opportunités: certaines femmes qui sortiraient difficilement de chez elle peuvent faire tourner un e-commerce par exemple.
Qui est ton modèle, un exemple pour toi?
Bonne question… J’en avais mais j’ai souvent été déçue. J’ai beaucoup apprécié un de mes boss qui avait de l’ambition qui ne se limitait pas à sa carrière: il voulait vraiment faire une différence.
Jurgen Ingels (chairman de startups.be, Clear2Pay) en fait est vraiment un exemple. Il vise très très haut et ça booste mon niveau d’ambition. Il m’a vraiment ouvert l’esprit: un bon mentor, c’est celui qui élargira tes horizons.
Gand est régulièrement pointé comme un hotspot pour la tech et l’entrepreneuriat. Comment expliques-tu que Gand en soit arrivé là?
En effet, Gand a cette réputation. iMinds est situé à Gand et, du coup, y nourrit un réseau dynamique d’entrepreneurs et de chercheurs. Aussi, Netlog (réseau social, devenu Twoo) est né à Gand et c’est une entreprise qui à un moment a été en position d’entrer en concurrence avec Facebook et YouTube. 80 ou 90% des start-ups à Gand ont parmi elles des gens de la première équipe de Netlog: des gens qui ont le réseau, les bons contacts, l’expérience et le track record.
Et en Wallonie, vois-tu des villes qui ont un tel potentiel?
Autour de Louvain-la-Neuve, ça bouge pas mal. Liège également, Charleroi aussi mais… ça prend du temps: il faut certainement une décennie, Gand n’en est pas arrivé là du jour au lendemain. Si on veut poursuivre sur cette lancée, il faut faciliter l’accès au capital. Mais les villes de Wallonie ont certainement du potentiel.
Qu’est-ce qui te fait dire « cet entrepreneur, cette idée, a du potentiel »?
Mon gut feeling, mon instinct, c’est qu’on investit dans une personne plutôt que dans une idée: une bonne idée ne survivra pas à une mauvaise équipe. C’est sur une personne qu’un investisseur mise. Si on prend l’exemple de Jürgen Ingels lui-même: il avait une idée seulement sur papier, mais la façon dont il est arrivé, l’ambition qu’il a montré, la conviction qu’il avait… On pouvait ne faire qu’une chose, c’était miser sur lui. Et c’est comme ça qu’on a des projets comme le sien, Clear2Pay, qui aboutissent.