Jelle De Smet & Paul Marchal (EYEco eyeCO): « À 45 ans, je veux voir comme à 20 »

La mode est aux apps, qui attirent des milliers d’utilisateurs pour seulement quelques employés. Jelle De Smet et Paul Marchal ont une autre vision: ils travaillent à un projet, à un produit bien tangible et très spécialisé: des verres qui corrigent confortablement la vision après 45 ans… Soit un marché de deux milliards de personnes. 

Au départ, Jelle De Smet s’était lancé dans un doctorat, « tout simplement ». Mais voilà que son doctorat avait le potentiel de donner lieu à un produit, tangible et commercialisable: des verres qui adaptent leur foyer afin d’aider les personnes presbytes à voir plus et mieux. Aujourd’hui, cinq personnes y travaillent. EYEco eyeCO s’apprête à finaliser un premier prototype et compte aller convaincre des investisseurs pour la manufacture de ce prototype.

Paul Marchal, lui, était le directeur d’un centre de recherches, « imec », où il voyait sans cesse passer des projets ambitieux. Mais c’est ce projet de Jelle qui a retenu son attention, et il s’est lancé à ses côtés pour développer EYEco eyeCO. Apparemment, là, ça bosse sans lever le nez: « Si tu viens au bureau, préviens-nous à temps, qu’on range un peu. On est bien occupés pour le moment ». Et pour cause, développer un produit aussi complexe demande énormément de temps, pas mal d’argent et une expertise bien particulière. Challenges à part, réponses à part donc.

Qui a besoin d’EYEco eyeCO?

Tous les gens qui ont des problèmes aux yeux à cause de leur âge: après 45 ans, les gens ont du mal à voir de près, à lire par exemple. Ils corrigent ce problème de vision, leur presbytie, avec des verres progressifs. Seulement, le champ de vision qui est ainsi corrigé est limité. Nos parents par exemple, avec des verres progressifs, voient bien une petite partie de ce qu’il y a devant eux. Avec EYEco eyeCO, ce problème disparaît: le champ de vision qui est corrigé s’étend.

Le marché est énorme: il y a deux milliards de presbytes sur terre!

Même Google a parlé de développer une lentille intelligente… Quels sont vos atouts face à ce genre de concurrence?

Haha… Google serait peut-être content que quelqu’un développe la technologie, mais on n’est pas en concurrence avec eux. De notre côté, c’est un travail de très longue haleine. Nous ne sommes pas vraiment en compétition avec de plus grandes entreprises: nous travaillons pour une niche spécifique et nous sommes petits, nous sommes spécialisés.

Il y a beaucoup de start-ups mais peu fabriquent un objet, tangible, comme vous. Quelles sont vos difficultés à vous?

La première: trouver des gens! Après tout, les talents d’ingénieurs sont limités en Belgique. Quand on essaie d’attirer ce genre de profils, on se retrouve en concurrence face à de plus grosses sociétés qui peuvent se permettre des packages salariaux attractifs.

Aussi, là, on est à Gand… C’est tout de suite moins facile de convaincre quelqu’un de Leuven de faire la route.

Nos premiers employés ont 47 et 60 ans, une expérience et un bagage à part donc… Ce n’est pas vraiment commun dans le monde des start-ups, mais on a besoin de ce genre d’expérience. C’est très précieux.

Comment avez-vous convaincu vos premiers employés de vous rejoindre?

C’est notre magie à nous ;-). Les circonstances ont joué.

Ça fait quoi d’être un outsider dans le monde des start-ups?

Développer un produit comme EYEco eyeCO, ça demande beaucoup de temps, beaucoup d’argent. On ne peut pas juste changer une ligne de code, et hop le boulot est fait.

On voit beaucoup de start-ups qui se lancent mais ce sont souvent des start-ups autour d’un software, d’un logiciel… pas d’un produit tangible comme le nôtre. Du coup, le monde des start-ups est parfois quelque peu biaisé. Les compétitions, les conseils, les événements etc sont très souvent pensés pour des start-ups qui développent un software.

Si vous deviez choisir un challenge, ce serait…

Tous les jours, nous devons nous assurer que notre produit peut être réalisé à l’échelle industrielle.

On doit arriver à convaincre nos fournisseurs qu’ils nous doivent nous livrer plus vite qu’un autre client: ces entreprises établies ont un autre rythme, un autre calendrier, qu’une start-up comme nous. Attendre deux semaines, quatre semaines, pour recevoir un produit, c’est vraiment beaucoup pour nous. On doit aller vite, on n’a pas beaucoup de temps, on brûle du cash là, on n’a pas encore de revenu.

Comment avez-vous séduit des investisseurs alors que votre produit n’est pas encore manufacturé?

Ce n’est pas trop trop difficile de convaincre des investisseurs, dans la mesure où on a vraiment bien préparé notre business case. Les gens comprennent ce problème de vision, ils l’ont eux-mêmes ou ils voient des gens qui l’ont. Cela dit, c’est plus facile de convaincre des investisseurs plus âgés, ils voient le problème de plus près!

Maintenant, nous ne cherchons pas à vendre notre produit à d’autres businesses: nous visons aussi des particuliers. C’est du commerce de détail, du retail. Ce monde est très différent du nôtre: Paul et moi avons un background plus technique, d’ingénieurs. Parmi nos investisseurs, nous aimons donc à avoir des investisseurs qui viennent d’autres horizons, avec un autre bagage, qui connaissent le retail. Ainsi, nous évitons les angles morts.

Dans une entreprise, il faut toutes sortes de profils, complémentaires. C’est un peu la même chose dans un groupe d’investisseurs: il faut une variété d’expertises parmi ceux-ci. Maintenant, nous sommes arrivés à avoir un bon comité d’investisseurs derrière nous mais ça n’a pas été facile.

Autre chose: en Belgique, il y a une dizaine de fonds typiques, approchés par toutes les entreprises. Au Royaume-Uni, aux États-Unis, il y a des centaines, des milliers de fonds.

Paul, tu as été directeur à imec*, tu es aux États-Unis… Qu’est-ce qui t’a convaincu de t’embarquer dans l’aventure EYEco eyeCO?

Paul: Aux États-Unis, j’ai travaillé avec différentes start-ups. Et à imec, j’avais l’occasion de faire de la recherche mais pas quelque chose de tangible, de concret, que les gens achèteraient. J’avais envie de ça et de me lancer moi-même dans l’aventure d’une start-up – d’essayer moi-même, vraiment.

J’étais curieux de voir comment on pouvait faire d’une technologie un produit en un certain temps. J’aimais cette idée prometteuse d’aider les gens. Et puis dans cinq ans, j’en aurai 45… Je serai content de pouvoir voir alors comme quand j’en avais 20! Je me sens encore très jeune, on reste jeune beaucoup plus longtemps aujourd’hui.

Jelle: mes parents ont eu une opération de la cataracte, ils ne peuvent plus accommoder leur vision… Et j’ai vu de près les limitations qu’il y a aujourd’hui.

*imec est un centre de recherches, Institut de micro-électronique et composants.

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