« Quand j’arrive dans un endroit que je connais pas, les gens me demandent si je cherche les toilettes »: rencontre avec Fanny Ruwet

À seulement 25 ans, elle est déjà désignée comme un « génie de l’humour ». On est allés la rencontrer après avoir vu son spectacle en rôdage pour comprendre en quoi Fanny Ruwet risque de faire bouger la scène de la farce belge.

Fanny Ruwet arrive à prouver qu’en 2019, on peut encore faire des vannes sur Garou, les chaussures ballerines, Marc Dutroux et rester drôle. Longtemps chroniqueuse culturelle sur Pure FM, elle a présenté pour la première fois, toujours en rodage, son spectacle de stand up au Kings Of Comedy Club, ce samedi 13 juillet.

Dans une ambiance intimiste, entourée de ses proches et de dizaines d’inconnus déjà conquis par son humour intime et noir, elle intrigue et fait (beaucoup) rire. Ceux qui la présentent annoncent déjà que le prix de ses places risque de quadrupler d’ici la fin de l’année. On est allés la rencontrer pour parler de son succès, ses inspirations, de placenta et de stand up. 

https://www.facebook.com/FannyRuwet/photos/a.277878536396308/443516439832516/?type=3&theater

Alors déjà, j’ai beaucoup aimé ton spectacle, et je suis pas la seule, étant donné qu’on t’appelle « le génie » avant que t’arrives sur scène, qu’est-ce que ça te fait? 

C’est mérité écoute… *rires*. Non mais c’est cool, j’aime bien. Ça me fait un peu flipper, parce que d’un côté quand on me présente comme ça, les gens doivent se dire que ça va être énorme. Au final c’est « juste moi ». C’est aussi stimulant de se dire que les gens ont des attentes et que j’ai intérêt à bosser doublement pour que ce soit vraiment bien. 

T’as commencé quand à l’écrire ce spectacle? 

J’ai commencé à faire du stand-up en septembre 2018. J’ai commencé à produire des petits bouts de 5-10 minutes. Je me suis rendue compte qu’il y avait un fil rouge qui était hyper cohérent, et les premières 40 minutes étaient prêtes en Avril. Il me restait encore une demie heure, 40 minutes à faire donc là j’ai beaucoup plus écrit à ce moment-là.

Comment t’en es arrivée à vouloir faire du stand-up à la base? 

J’ai beaucoup bossé avec Dan Gagnon, ce qui fait que j’étais dans ce milieu là depuis quelques années. Je me suis dit qu’en fait y avait beaucoup de gens qui faisaient du stand-up… et c’était pas si bon. Du coup, est-ce que moi je serais capable de le faire ou est-ce que je suis juste une grosse snob? J’ai voulu voir, et j’ai bien aimé.

T’as beaucoup touché à la chronologie du spectacle? 

J’ai quand même changé, j’ai viré beaucoup de choses, et j’ai travaillé l’ordre pour que ça ait du sens et des twists comme avec l’anniversaire de Jean. Je voulais que les gens trouvent ça drôle, mais aussi qu’ils se disent que c’était bien construit. 

Au début du spectacle, tu cites Chelsea Peretti et Hannah Gadsby puis un troisième nom… 

Daniel Sloss, pour moi c’est le meilleur. 

Y a quelque chose que j’ai retrouvé chez toi, et qui leur ressemble, c’est qu’on n’explose pas de rire toutes les deux secondes. Y a une vraie histoire qui se dégage aussi, un peu comme avec Kyan Khojandi si on doit parler de personnes francophones. 

Totalement. D’ailleurs, j’ai eu un déclic quand je l’ai interviewé en janvier pour mon podcast. A un moment, on a parlé de la construction de son spectacle, et lui m’a dit « te fais pas chier à essayer d’avoir un rire toutes les deux secondes, raconte ce que t’as à raconter, et fais-le de manière drôle. » Je me suis dit « mais oui putain ».

Je vois pas vraiment quelqu’un qui fasse ça en Belgique, est-ce que tu t’es dit qu’il y avait un manque à combler? 

Je sais pas si y avait une place à combler. Je trouve ça difficile de situer des places en Belgique parce que pour moi y a plein de monde à un niveau confirmé. C’est juste qu’il faut que ça se développe et grâce à des gens comme Guiz, que j’adore, dans 4-5 ans, y aura des putains de pointures en Belgique. 

Est-ce que le fait de parler de toi dans le spectacle, c’est venu naturellement? 

C’est surtout que j’aime pas le stand-up du « je sais pas si vous avez remarqué », même si y a des gens qui le font très bien. Parler de moi, c’est tout ce que je sais faire. J’ai pas assez de connaissances et certitudes pour donner mon opinion sur de la politique ou des choses dans le genre, donc en parlant de moi je vais juste raconter des choses. Je trouve que ça a une résonance plus générale après. Je préfère que les gens se raccrochent aux choses qui les touchent personnellement. Donc oui, parler de moi c’était la seule chose que je pouvais faire avec certitude. 

T’as parlé de toi devant pas mal de monde, vu qu’il y a une vidéo qui est devenue « virale » sur Facebook, avec trois millions de vues. Comment tu l’as vécu en voyant ce truc exploser? 

https://www.facebook.com/popmrtbf/videos/447580912681219/UzpfSTI3NzY1NDM3OTc1MjA1Nzo0MzkyMjQ3MDY5MjgzNTY/

Ça va faire con de dire ça, mais je m’y attendais pas dans le sens où c’est un petit truc posté sur une page Facebook RTBF qui a 3.000 likes. J’étais contente parce que parfois, y a des gens qui me demandent « combien t’as gagné avec cette vidéo », et c’est absolument 0 euros. Par contre, en retombées, y a des salles dans le fin fond de la France qui m’ont contactée pour que je vienne jouer chez eux. 

Maintenant, quand j’envoie cette vidéo pour expliquer que je fais ce genre d’humour et que je demande à venir jouer dans tel endroit, les gens me disent oui. J’ai eu 12.000 likes en plus sur Facebook, alors que j’en avais 300. Maintenant les gens me prennent beaucoup plus au sérieux, parce qu’ils voient qu’il y a un potentiel populaire. J’ai aussi énormément de chance parce qu’il y a énormément de commentaires positifs, y en a très peu de négatifs, et ça m’a permis un peu de me forcer à voir comment les prendre.

T’as aussi un podcast qui s’appelle « Les Gens Qui Doutent »,  où tu interviewes des personnalités que tu aimes bien. C’est quoi ton rapport au doute, et comment tu fais pour le concilier avec le stand-up? 

Honnêtement, je ne sais pas. C’est un peu une incohérence que je fasse du stand up. Je pense que ça a aussi à voir avec mon ego. J’ai un ego surdimensionné pour certaines choses, et dans d’autres pas du tout. Je suis toujours en train de remettre plein de choses en question, à ne pas me sentir légitime dans des endroits où des gens qui s’y connaissent m’ont placée. Je suppose que mon trop d’ego a pris le pas, j’ai commencé à faire du stand-up et après il était trop tard pour que je fasse demi-tour. 

Je me remets énormément en question, mais j’arrive à ce que ça reste un peu sain. Je vais pas me dire que je vais pas faire quelque chose parce que ça risque de rater. Je vais le faire, me dire que peut-être ça va rater, mais j’aurai quand même tenté, et j’aurai appris quelque chose. Je trouve ça tellement important d’essayer. Avant j’étais plus dans un mood « je vais pas le faire, parce que tant que ça reste un projet, ça reste un truc que j’aurais pu réussir, alors que si je le fais et je le foire, c’est mort ». J’ai encore un peu de mal avec ça, mais ça va beaucoup mieux. 

L’avantage dans le stand-up, c’est que le bide est nécessaire

T’as pas eu la peur du bide?

L’avantage dans le stand-up, c’est que c’est un truc nécessaire. Tu peux pas tester les choses ailleurs que devant un public. Evidemment qu’à un moment ça va être nul, donc si tu passes pas par là ça sera jamais bien. Regarde mon rodage, toute la partie sur la mort je la réécoute en me disant « putain c’était chaud ». Toute celle sur Roméo Le Fol qui n’a aucun sens, toute celle où je prends beaucoup de temps, sur les 5 étapes du deuil et là je me dis qu’il y a moyen de resserrer, de mettre plus de vannes, d’aller plus vite… Donc ouais déjà le jouer une fois, ça permet de prendre du recul et voir que ton truc donne pas du tout comme ce que t’avais donné sur papier. 

A un moment, au Floréo, pour une soirée What The Fun, j’ai voulu noter des mots-clés, monter sur scène et puis improviser. J’ai des copains qui font ça et ça marche bien. C’était affreux. Nul. Le public a trouvé ça nul aussi. Au moins, ça m’a permis de savoir que c’est pas comme ça que je fonctionne. C’est nécessaire d’aller à l’essai/erreur, sinon on progresse pas.

Y a un peu une scission au milieu du spectacle, avec un ton plus léger au début puis quelque chose de plus lourd, où tu parles soins palliatifs, mort, deuil, placenta… C’était voulu? 

C’est surtout comme ça que je l’ai écrit. J’ai commencé avec des choses un peu plus légères, et puis j’ai compris comment je fonctionnais et je me suis dit que je pouvais me permettre d’aller dans des choses plus sombres, que j’allais savoir comment y aller et récupérer le public derrière après avoir dit un truc un peu déprimant. C’est juste une question de maîtriser les choses. 

Vu que t’abordes des sujets durs, est-ce que t’as déjà eu des gens qui t’ont fait des reproches, des remarques vis à vis de ça? 

Là, vu que c’était la première fois que je jouais cette partie sur la mort, non. Les gens ont eu la décence de pas venir me faire chier juste après mon premier spectacle. C’était aussi un public acquis, les gens venaient me voir pour moi.

Maintenant si je débarque avec ça au fin fond de la province française, là où les gens veulent voir des blagues « Le Nord-Pas de Calais c’est des consanguins », ils vont pas comprendre. Ils vont me dire qu’ils sont venus ici pour rire. Je pense que c’est le genre d’humour qui fait pas rire partout et je vais me manger des bides dans la gueule à un moment ou à un autre.

Tu fais aussi des vidéos sur les festivals avec Proximus, comment ça s’est goupillé? 

C’est Guiz qui leur a filé mon nom, et ils m’ont contactée. C’est très différent de ce qu’il y a sur scène. Y a un mec qui a commenté l’autre jour: « putain, heureusement que t’es meilleure sur scène ». Ça m’a fait rire, parce que c’est à la fois méchant et pas méchant:

C’est un exercice qui est cool à faire parce que c’est pas un réflexe pour moi d’aller parler aux gens. Faut que je boive quelques bières avant. Dour, j’étais bien. C’est le seul job où mon employeur me pousse à boire avant.  

https://youtu.be/4Vey1aFy9r8

Est-ce que t’estimes que tu as un personnage, malgré les thèmes très intimes que tu abordes? 

J’essaie d’en avoir de moins en moins. Au début, je jouais vraiment la meuf hyper froide, hyper insensible, puis en fait ça m’a vite saoulée. Là je pense que j’en ai toujours un. Dans le spectacle, je dis des choses dont je n’ai jamais parlé avec mon mec, alors que ça fait quatre ans qu’on est ensemble. Jamais j’irais dire ça à des inconnus, jamais j’irais parler comme ça. Le spectacle dure une heure quart, d’habitude je parle pas autant de la journée. Donc oui j’essaie de faire en sorte qu’il y ait un personnage, mais pas tellement. 

Dans ton spectacle, tu parles d’ailleurs du fait que t’as du mal avec les codes sociaux, est-ce que ça a été un obstacle à un moment pour toi, dans le stand-up? 

Disons qu’étant donné que je suis très timide quand j’arrive dans un endroit que je connais pas, les gens me demandent si je cherche les toilettes parce qu’ils ne savent pas que je joue. Les gens n’ont aucune attente de moi quand ils me voient, donc c’est à la fois pas mal et un peu chiant. Ils peuvent être surpris quand je monte sur scène.

Peut-être que j’irai moins vite que quelqu’un qui va serrer des mains, mais je préfère aller dormir.

En Décembre, je jouais à une scène considérée comme assez importante. Y a une autre humoriste qui m’a dit qu’il fallait aller serrer des mains après le spectacle. J’avais juste envie de dormir donc j’y suis pas allée. Si on prend l’aspect mondain, ça je suis pas capable de le faire, maintenant j’ai l’impression que si tu te démerdes pour fournir un assez bon travail, les gens vont venir vers toi. Et si c’est pas le cas, c’est que c’était pas des gens avec qui tu devais bosser. Peut-être que j’irai moins vite que quelqu’un qui va serrer les mains, mais je préfère aller dormir. 

C’est quoi le programme dans les prochains mois? 

A partir de la rentrée, j’aurai plus de chroniques drôles. Je vais partir en tournée en septembre, en France, en Suisse et en Belgique. On veut jouer dans des salles de 100-150 places maximum, pour voir si y a de l’engouement en dehors de Bruxelles o uParis. J’ai eu quelques propositions de productions françaises, et faut que je réfléchisse. J’ai peur que ça me dégoûte du milieu, vu que c’est des machines de guerre. Puis les podcasts aussi, que je veux continuer. 

On me demande aussi de co-écrire des choses. De plus en plus, je peux arrêter de faire les choses que j’aime moins. Par exemple en Juin j’ai arrêté l’animation sur Pure, parce que c’est un truc où après 4 ans t’as un peu fait le tour. Puis ça me permet de faire des siestes en plein journée, et ça, ça n’a pas de prix. 

Tu peux suivre Fanny sur Facebook, Instagram et Twitter, et n’hésite pas à aller la voir en spectacle!

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