Dans son nouveau rapport sur les élèves vulnérables, Unicef Belgique dénonce un système à deux vitesses, avec des écoles « poubelles » et des écoles « de bourges ». L’étude donne la parole aux enfants les plus démunis, et leurs témoignages sont glaçants. Surtout dans un pays comme la Belgique.
Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) vient de sortir son nouveau « Rapport alternatif des enfants de Belgique ».
Cette étude a été réalisée dans le cadre du projet « What Do You Think? », qui a pour objectif de faire entendre aux oreilles des plus hautes instances décisionnelles la voix des enfants et jeunes vulnérables (migrants, réfugiés, porteurs d’un handicap, d’une maladie, touchés par la pauvreté…). L’intégralité du rapport sera donc transmis ce lundi au Comité des droits de l’enfant, l’instance des Nations unies qui veille au respect de la Convention relative aux droits de l’enfant, dans l’espoir de faire bouger les choses.
Il y a beaucoup de boulot à faire à la lecture des centaines de témoignages des élèves récoltés ces huit dernières années (de 2010 à 2018). La plupart montrent clairement qu’il existe de lourdes inégalités dans les écoles belges, et que trop souvent le statut social d’un enfant joue dans sa réussite scolaire.
Les enfants migrants discriminés et les jeunes mamans peu aidées
Le rapport donne tout d’abord la voix aux enfants migrants et réfugiés. Pour eux, l’école est un espoir, un lieu où ils peuvent rêver de leur avenir. Mais l’école est aussi source de discriminations, certains enfants étrangers déplorant le fait d’être « séparés » des enfants belges dans des cours, stages et même pendant les pauses. Pareil pour les loisirs, les enfants migrants regrettent de ne pouvoir s’inscrire dans un club de sport, faute de papiers attestant de leur nationalité belge. Ce qui nuit bien sûr à leur intégration.
Trop peu est fait aussi pour les jeunes mamans en exil en Belgique. La plupart dénonce la situation difficile en centre, où le cadre et les horaires stricts sont peu compatibles avec la vie de maman. « Vous passeriez un jour ici, vous mourriez. On ne peut pas cuisiner, pas se soigner des maladies, on ne peut pas s’occuper de nos bébés. On ne choisit pas cette vie. Il y a plein de gens qui vivent ici, plein de virus et de microbes pour les bébés. Cela m’angoisse et je ne veux pas dormir (…) Je n’ai pas d’aide. Mon bébé ne veut pas manger. La nourriture n’est pas bonne », raconte Zakia, une maman de 17 ans.
Dans ces conditions, c’est compliqué d’enchaîner avec l’école. « J’ai des problèmes avec l’école. Je dois y aller et conduire ma fille. Si je suis en retard pour la crèche, l’école refuse que je rentre plus tôt. Je dois me lever à 6 heures pour me préparer et préparer mon enfant. J’ai besoin d’aide pour ne pas être en retard », explique Daria, une autre maman de 18 ans.
Les enfants prennent la parole dans un rapport d’UNICEF #pauvreté #école #exil. Ma collègue @MaudDominicy est à Genève pour porter leur voix après 8 années de rencontres. Bravo pour ce bel aboutissement ☺️ et pourvu que ce rapport puisse 1peu changer le monde @UNICEFBELGIQUE https://t.co/eNmoB228xn
— Anne-CatherineRasson (@AnCathRasson) 4 juin 2018
Des professeurs parfois déconnectés et trop souvent absents
Les témoignages des autres élèves mettent en avant le rôle des professeurs, qu’ils voient comme la clef de voûte de l’école.
Mais beaucoup vivent, selon eux, déconnectés de la réalité. « Les enseignants nous écoutent, mais ils ne font pas grand-chose pour nous aider. Ils ne nous connaissent pas et ne comprennent pas nos problèmes et notre situation familiale. Cela crée des difficultés de communication et donc une mauvaise ambiance, qui entraîne de mauvais résultats », explique Sabine.
Les enseignants jettent aussi trop souvent l’éponge lorsqu’un enfant « ne comprend pas » quelque chose et le réorientent trop rapidement vers les filières technique et professionnelle. Dans les écoles, le harcèlement et les discriminations ethniques sont également monnaie courante. Mais l’un des problèmes les plus graves pointés par les élèves est l’absentéisme chez les professeurs, qui sont parfois remplacés après plusieurs mois.
Des écoles « à moitié délabrées »
En outre, le rapport met en exergue l’état des bâtiments scolaires, qui laissent complètement à désirer. Les enfants dénoncent des « écoles à moitié délabrées », des « classes trop grandes », sales et bondées, des toilettes insalubres et crasseuses…
« En quatrième année, il y avait dans notre classe beaucoup d’humidité dans les murs, les plafonds. En hiver, les fenêtres étaient cassées. On devait rester en classe avec notre manteau », explique une élève. « Ma sœur avait peur d’aller à l’école parce qu’elle avait peur que le toit tombe sur elle. Elle n’était pas la seule à avoir peur, la prof aussi avait peur. Je suis allé voir la directrice, elle me dit: ‘’Notre école est classée dans les cas d’urgence… mais elle n’est pas la première’, raconte une autre.
Tout ce contexte fait que ces enfants, déjà socialement fragilisés, ne se sentent pas assez encadrés et soutenus par l’école. « Ils réalisent dans leur être qu’ils ne sont que des élèves de seconde zone », pointe le rapport. Les enfants vulnérables se retrouvent ainsi dans des « écoles poubelles », où ils ont moins de droits, moins de sorties et où ils traînent plus de retards scolaires dans les matières que dans les « écoles de bourges ».
Et plus tard, ces enfants plus démunis ont donc aussi moins d’opportunités et de liberté dans le choix de leurs études supérieures et de leur profession.