Grégor Chapelle sur Deliveroo: « Pas question qu’Actiris contribue à la précarisation des chercheurs d’emplois »

Actiris a retiré de son site mardi 16 janvier une annonce pour le job de coursier chez Deliveroo qui était présente sur son site. Comme nous l’explique Grégor Chapelle, le directeur de l’agence bruxelloise pour l’emploi, la société de livraison crée des emplois précaires, déguisés en statut de salariés mais qui sont en réalité des statuts d’indépendants. Et ça, pas question d’en faire la promo.

Dimanche 14 janvier, Sam Bouchal, le Secrétaire général et porte-parole de la Febet, la Fédération belge des taxis, interpelle Grégor Chapelle sur Twitter. Sur Facebook, le Collectif des coursiers et quelques autres personnes lui envoient un message du même acabit. Comment Actiris peut-elle publier une annonce pour Deliveroo qui se trouve en réalité être une annonce pour faux indépendants?

« Ils étaient choqués de voir une telle annonce publiée par un service public d’emploi », nous explique Grégor Chapelle, directeur d’Actiris. « Le rôle d’un service d’emploi est d’être un fournisseur de solutions payées par l’argent du contribuable pour aider les employeurs à recruter ». Soit, « de garantir une certaine qualité des services vis-à-vis des chercheurs d’emploi ». Conséquence? Deux jours plus tard, Actiris annonce retirer l’offre d’emploi de son site.

Offre ambiguë

L’offre d’emploi de Deliveroo jouait sur les deux tableaux. C’était une annonce déguisée qui prétendait offrir un poste de salarié alors qu’en fait, c’était une offre d’emploi à la fois pour indépendant et pour étudiant. « C’était donc tout à fait contraire à nos critères et à nos valeurs », ajoute Chapelle. « On a pris 48 heures pour faire les vérifications et une fois que nous sommes arrivés à nos conclusions, nous avons décidé de la retirer ».

« Notre métier, c’est d’aider les chercheurs d’emplois à trouver un employeur ou les employeurs à trouver un chercheur d’emploi. Dans ce cadre là, il y a des critères à respecter et ces critères n’ont pas été respectés dans le cas de Deliveroo », développe Grégor Chapelle.

Précarisation de la nouvelle économie

C’est la première fois qu’une annonce pareille est retirée du site d’Actiris. Forcément, l’agence fait face à une nouvelle forme de travail et d’économie qui n’est pas encore bien encadrée par les législations belges et même européennes.

« L’impression que nous avons, c’est qu’il y a un nouveau type d’économie qui apparaît et qui efface les frontières entre les statuts », poursuit le directeur d’Actiris. « Et cette première va être l’occasion d’une jurisprudence et d’un regard désormais très attentif sur ce type d’offres d’emploi, soit les offres provenant des économies de plateforme. Pour nous, en principe, tous les employeurs sont les bienvenus. Mais il faut que les informations qu’ils donnent aux candidats et aux candidates soient lisibles ».

Concernant les sociétés dites disruptives qui fonctionnent sur de nouveaux modèles économiques, comme Deliveroo ou Uber, le directeur de l’agence de l’emploi semble sceptique. Pour lui, les jobs que ces boîtes proposent sont fragiles et à l’encontre de ce qu’Actiris cherche à promouvoir. « Nous devons les surveiller car il n’est pas question qu’Actiris contribue à la précarisation des chercheurs d’emplois. Sortir quelqu’un du chômage pour les faire tomber dans une situation de travail qui est encore plus difficile, ce n’est pas le cœur de métier d’Actiris », nous confie Chapelle.

Collaboration en suspens

Est-ce que cela signifie la fin de la collaboration entre la société de livraison et le bureau de l’emploi bruxellois? Pour l’instant, oui. Il faut attendre les conclusions de l’enquête fédérale demandée par le ministre fédéral de l’Emploi Kris Peeters (CD&V) sur le dossier Deliveroo. Voir si l’entreprise va changer ses statuts et offrir des conditions de travail qui correspondent aux valeurs défendues par Actiris.

« On a eu un contact avec Deliveroo, on les a informés. Dans l’attente de l’enquête – une autorité compétente doit déterminer si les offres d’emplois correspondent aux statuts des travailleurs – nous suspendons toute collaboration. Dans le cadre de l’offre, ce n’était pas un statut de salarié car il n’y avait pas de contrat de travail. Ce n’était pas non plus une offre pour indépendants, car, dans pareil cas, il ne doit normalement pas exister de lien hiérarchique. » Ce qui est le cas chez Deliveroo, les livreurs étant à la fois indépendants et soumis aux directives des boss.

« Si c’est clarifié, si on a des assurances à l’issue de l’enquête pour dire qu’il y a moyen de travailler avec Deliveroo avec un statut d’indépendant ou un statut d’étudiant, Deliveroo pourra à nouveau faire appel à nos services. Comme les 35.000 autres employeurs de Bruxelles. Et il pourra à nouveau poster des offres avec un nouveau statut clairement déterminé par l’enquête du ministère de l’Emploi et du travail ».

Quant à savoir combien de temps cela va prendre, c’est plutôt flou « mais ça risque d’être long », conclue Grégor Chapelle. Certainement plusieurs semaines. Reste à voir comment Deliveroo évoluera entre temps.

Twitter Grégor Chapelle
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