Une nouvelle étude sur le piratage vient à contresens des idées reçues. Elle suggère que tolérer le téléchargement illégal serait bénéfique pour les créateurs, mais également pour les consommateurs et les distributeurs. À terme, ce serait même positif pour l’économie culturelle.
En 2004, la Motion Picture Association of America, l’association qui défend les intérêts des six plus grands studios hollywoodien, lançait un spot anti-download censé faire peur aux pirates. Le message « Tu ne volerais pas une voiture (…) Télécharger un film est du vol », apparaissait en lettres blanches sur fond noir, le tout enrobé d’un musique stressante. Le spot terminait sur ces mots « LE PIRATAGE EST UN CRIME ».
C’est un message que l’on retrouve dans la législation de nombreux pays: le téléchargement illégal est une atteinte aux droits d’auteur et il met en péril les industries culturelles. Pourtant, une étude vient s’opposer à cette vision. Intitulée « La « main invisible » du piratage: une analyse économique de la chaîne d’approvisionnement en biens d’information« , cette analyse a été réalisée par Antino Kim. Ce chercheur à l’Université d’Indiana a été aidé par des collègues de l’Université du Texas et de l’Université de Washington.
Son étude stipule que le piratage empêcherait les industries culturelles de se tirer une balle dans le pied en les obligeant à adopter des tarifs qui ne font pas fuir leurs clients.
Double marginalisation
La vision classique de l’économie culturelle veut que plus il est difficile de télécharger une oeuvre, plus ses créateurs toucheront des bénéfices, puisque les consommateurs n’auront d’autres choix que de payer pour consommer. Mais le travail d’Antino Kim suggère que le piratage pourrait booster l’économie d’une tout autre façon.
Elle se base sur le problème de la double marginalisation qui touche les relations verticales d’une distribution. C’est le cas lorsque le détaillant et le créateur fixent un prix qui, étant trop élevé pour le consommateur, finit par éloigner les acheteurs. La double marginalisation est en quelque sorte une chaîne de monopoles qui se permettent de fixer des tarifs pour leurs produits qui sont plus élevés que leurs vraies valeurs.
Le piratage, cette économie de l’ombre, oblige ces monopoles à revoir leurs tarifs. Si elles souhaitent encore attirer des clients – et éviter que ces derniers ne fuient vers le download illégal – les industries culturelles doivent adopter des tarifs raisonnables. En d’autres termes, le téléchargement pirate permettrait aux créateurs et aux distributeurs de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre. Et comme les tarifs proposés seraient optimaux, le consommateur retournerait vers la légalité et son confort d’utilisation.
Ce qui signifie que le piratage permettrait d’éviter que trop d’utilisateurs ne se tournent vers le piratage.
L’exemple de Game of Thrones
Les auteurs de l’étude citent l’exemple de Game of Thrones. La série d’HBO a été téléchargée plus d’un milliard de fois mais cela n’a pas entaché son succès, bien au contraire. Game of Thrones est la série la plus piratée de l’histoire, mais HBO ne fait rien pour empêcher cette diffusion. Selon l’étude, ce piratage pousse la chaîne américaine à garder son prix d’abonnement assez bas. Et au final, son nombre d’abonnés n’a pas diminué.
En 2013, HBO avait même déclaré que le piratage de sa série était bénéfique car il la rendait encore plus populaire. « Je ne devrais probablement pas dire cela, mais c’est un compliment », confiait Michael Lombardo, le directeur de programmation d’HBO, à Entertainment Weekly. « La demande est là. Et cela n’a certainement pas eu d’impact négatif sur les ventes de DVD ». Le piratage survient lorsqu’une série a eu un « immense succès sur le réseau payant », ajoutait-il.
L’étude précise toutefois que le piratage n’est pas un acte à encourager. Mais qu’il est intéressant de noter l’impact économique bénéfique qu’il peut avoir, et dès lors, de le tolérer dans une certaine mesure.