Une nouvelle étude confirme qu’il n’existe pas de « gène gay », mais se poser la question pose des problèmes éthiques

Une nouvelle étude, menée par une équipe internationale de chercheurs et publiée dans la revue Science confirme qu’un gène gay n’existe pas. Mais le retour de la communauté scientifique et de la communauté LGBTQ n’est pas des plus joyeux face à la nouvelle.

En 1993, une étude génétique tentait de lier un gène présent dans le chromosome X et dénommé Xq28 à l’homosexualité masculine. Une idée qui avait germé dans la tête de Dean Hamer, alors que la génétique faisait ses premiers pas dans le monde scientifique.

Seulement, cette idée, pourtant souvent reprise jusqu’à nos jours, qu’il existerait un seul gène capable de prédire l’orientation sexuelle d’une personne, est fausse. C’est ce que nous révèle une nouvelle étude parue dans la revue scientifique Science.

« Comme presque tout en génétique, on a découvert que c’est très compliqué. »

« On voulait savoir s’il y avait une connection entre notre génétique, l’homosexualité et d’autres comportements humains, comme la personnalité », raconte Benjamin Neale, co-auteur de l’étude dans une vidéo pour le Broad Institute. « Comme presque tout en génétique, on a découvert que c’est très compliqué. »

Menée auprès de 500.000 de profils ADN aux Etats-Unis et en Angleterre. Les participants à l’étude devaient répondre à des questions comme: « avez-vous déjà eu une relation sexuelle avec une personne du même sexe? » ou « Par qui êtes vous attiré sexuellement? »

Les conclusions de l’étude sont résumées en 5 points sur leur site dédié:

  • Il existe cinq marqueurs génétiques associés à un comportement homosexuel: « chaque marqueur a un très petit effet individuellement »
  • Ils ont trouvé certains indices sur ce que ces variables génétiques font de manière biologique: même si ces découvertes sont à prendre avec des pincettes et méritent de plus amples recherches, il existerait un lien entre orientation sexuelle et la calvitie, mais aussi avec le sens de l’odorat.
  • Le comportement sexuel est un trait très complexe et il n’existe pas qu’une seule dimension de la sexualité: penser que plus on est attiré par quelqu’un du même sexe, au moins on est attiré par l’autre est une simplification extrême.
  • Les mêmes marqueurs génétiques influencent l’homosexualité chez les hommes et femmes, mais il existe des marqueurs spécifiques: 40% sont mutuels, quand 60% sont spécifiques.
  • Les gènes liés à l’homosexualité sont en corrélation avec d’autres traits, comme l’ouverture à l’expérience et un comportement aventureux.

Limites

Il existe cependant des limites à cette étude, que les chercheurs eux-mêmes mettent en avant. La première, et sans doute la plus importante: même si les gènes ont leur part dans l’histoire de l’orientation sexuelle, la socialisation, la manière dont une personne est élevée et présentée au monde, ont une influence tout aussi importante.

Certaines corrélations sont aussi à prendre avec des pincettes: « Par exemple, un membre de la communauté LGBTQ pourrait expérimenter des préjudices et discriminations vis à vis de son orientation sexuelle, ce qui encouragerait un risque de dépression. Dans ce cas, ce qui pourrait apparaître comme une association génétique est en réalité encouragée par l’environnement », comme on peut une nouvelle fois le lire sur le site de geneticsexbehavior.

Une question éthique?

Cette étude pose tout de même certaines questions éthiques. Vouloir chercher une raison à l’homosexualité, c’est pointer la différence. On a rarement vu des chercheurs tenter de savoir pourquoi une personne se retrouve hétérosexuelle. L’intention première des chercheurs était avant tout d’aller à l’encontre de l’étude de 1993.

Benjamin Neale, lui même homosexuel, s’est expliqué sur la potentialité de détournement d’une telle étude dans une vidéo sur Twitter, une nouvelle fois diffusée par le Broad Institute: « Malheureusement, je pense que certaines personnes ne vont pas comprendre ou même déformer nos découvertes », commence le professeur à Harvard. »Il y a une longue histoire de personnes qui utilisent la génétique de manière nocive pour encourager leurs propres ordres du jours mal orientés. (…) Nous sommes en particulier inquiets que des personnes représentent de la mauvaise manière nos découvertes à propos de la santé mentale.  »

C’est également pour cette raison que les chercheurs ont consulté des associations LGBTQ pour savoir comment présenter ces données, qu’on peut retrouver vulgarisées sur le site web https://geneticsexbehavior.info.

L’intention des chercheurs est l’une des variables les plus importantes dans tout domaine scientifique. Ici, on peut voir qu’elle n’était pas d’isoler un gène pour réussir à identifier les personnes homosexuelles ou traiter un comportement déjà soumis, dans son environnement, à des discriminations comme on le ferait avec une maladie. Au contraire, les chercheurs ont voulu déconstruire cette idée.

Un accueil mitigé dans la communauté scientifique

Mais cette étude n’est pas forcément bien accueillie, ni dans la communauté LGBTQ, ni dans les réactions d’autres chercheurs. Jérémie Naudé, chercheur en neurobiologie au CNRS, avance ainsi sur Twitter qu’il existe des lacunes dans l’article original paru dans Science: « La question est mal posée (« avez vous déjà eu un rapport avec quelqu’un du même sexe ») donc littéralement ils cherchent les gènes qui font qu’on a eu au moins une expérience homosexuelle, pas sûr que ça soit pareil à ‘être homo' »

L’autre variable qui pose problème, ce sont les conclusions statistiques: « Le côté statistique est important : comme l’échantillon est énorme, ils trouvent des liens statistiques faibles (chaque gène explique moins de 1% des variations de comportement); en sommant tout ils parviennent à 8-25% ça reste faible; et ne répliquent pas sur un 2e échantillon. », continue Naudé.

« Ce n’est pas de la science, c’est du storytelling »

D’autres personnes de la communauté scientifique trouvent problématique le simple fait de se poser une telle question. Dans des réactions relayées par le compte de @HydrePréver, on voit plusieurs chercheurs remettre en question l’étude, ainsi que sa démarche: « Ce n’est pas de la science, c’est du storytelling », dit Cécile Janssens, chercheuse en épidémiologie à l’université d’Atlanta.

Per Damkier, chercheur en pharmacologie clinique, pose toute une série d’interrogations: « Quel conseil d’établissement et comité d’éthique approuve une telle proposition d’étude? Qui la finance? Aux auteurs: Avez-vous été incapable de trouver une meilleure cause pour votre intellect, vos compétences et vos ressources? Vraiment? »

Pour Patrick Grzanga, professeur associé de psychologie et titulaire de la chaire Femmes, genre et sexualité de l’Université du Tennessee, le fait « Que le « gène gay » soit littéralement partout dans les médias nous en dit moins sur les bases biologiques du désir sexuel – ou même sur la mort supposée du gène gay – et davantage sur l’investissement social omniprésent dans les explications biogénétiques du comportement humain. »

Une colère qui repose sur une question de recherche loin d’être claire, et une méthodologie bancale avec des conclusions statistiques discutables d’après les personnes citées précédemment. Cette étude pourrait effectivement être détournée à destination d’un public peu prévenu, que les chercheurs qui l’ont menée le veuillent ou non, même avec toutes les précautions qu’ils aient prises.

Quelque part, les personnes membres de la communauté LGBTQ en ont eux même assez d’être traités comme des objets d’étude. Faut-il pour autant mettre un stop aux études qui se penchent sur les raisons de l’orientation sexuelle? La question éthique se pose.

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