Raoul Hedebouw (PTB): « Tous les partis traditionnels veulent mettre en place une taxe carbone »

À un mois des élections, nous avons discuté avec chaque président de parti. L’heure de tirer un bilan, mais aussi de se pencher sur les incertitudes du dimanche 26 mai. On a également essayé de savoir ce qui a et va être fait pour les jeunes. 

On est à un mois des élections. Vous avez passé cinq années sur les bancs de l’opposition à la Chambre. Quel est le bilan de cette législature fédérale?

Le bilan du gouvernement est pour moi catastrophique, à plus d’un égard. Mais pour moi, c’est surtout le côté social et climatique qui me touche beaucoup. Au niveau social, il y a un chiffre pour moi qui est très clair: ce gouvernement, il a commencé avec 300.000 malades de longue durée, et aujourd’hui, on a 400.000 malades de longue durée. Donc cent mille personnes supplémentaires en moyenne de longue durée. C’est le fruit évidemment des politiques antisociales du gouvernement. Si vous faites bosser des gens jusqu’à 67 ans, comment éviter les burn-out au niveau du boulot? Si on commence à chasser les chômeurs, et que les gens sont forcés à prendre des boulots, ils tombent en maladie longue durée.

Donc si on commence maintenant au niveau des jeunes, à de plus en plus les activer, ou en fait les chasser, c’est normal que les gens tombent malades comme des mouches. Moi je trouve vraiment que c’est un chiffre emblématique et ça me fout en colère contre cette politique qui a été menée pendant 5 ans. Et qui plus est, tout cela a été fait soi-disant pour avoir un budget à l’équilibre. Ça fait 5 ans qu’on nous bassine avec ça, on était censé avoir les comptes à l’équilibre, mais après 5 ans de gouvernement Michel, on est à 8 milliards de trou dans le budget. Bravo le bilan quoi!

Voilà pour moi une partie du bilan. Mais c’est aussi le bilan du mouvement social. Je ne veux pas m’arrêter uniquement au bilan du camp d’en face. C’est aussi notre bilan à nous, où l’on a connu quand même des luttes assez exceptionnelles: les trois jours de grève nationale en 2014 2015, il y a eu une mobilisation des jeunes pour le climat, qui en l’espace de deux mois ont réussi à imposer un sujet dont personne ne parlait ici dans ce parlement, faut le dire, parce que sans ces mobilisations-là, personne n’en causait ici. Je trouve que c’est quand même assez formidable qu’il y ait eu ces mobilisations-là, et je crois que la leçon à tirer, c’est que pour la prochaine législature, on doit aller plus loin.

On était peut-être à deux doigts de gagner à un moment donné entre janvier et février 2015. C’est le seul moment où j’ai vraiment senti Charles Michel (MR) en train de douter, vraiment…

Vous voulez dire quoi par là?

De gagner, d’aller plus loin dans le mouvement, de continuer. On n’aurait pas dû arrêter à mon avis en janvier 2015, parce que moi j’ai senti Kris Peeters (ministre fédéral de l’Emploi, cd&v) en train d’hésiter, en train de basculer, parce qu’il y avait un mouvement tellement fort en face d’eux. Donc voilà, ça c’est un peu mon bilan à deux vitesses de cette législature.

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Tous vous reconnaissent le sens de la formule, mais votre programme terrorise à peu près tout le monde. Que répondre à ceux qui veulent vous appliquer le cordon sanitaire?

C’est un scandale. C’est Bart De Wever qui est d’abord sorti là-dessus, sur newsmonkey d’ailleurs, et le but était clairement d’étouffer le débat. C’est comme ça que le MR a emboîté le pas. Quand est-ce que le MR a-t-il sorti cette proposition du cordon sanitaire autour du PTB? C’est quand le PTB a démontré que les chiffres utilisés par le Premier ministre étaient faux. Le Premier ministre avait dit que l’immense majorité des emplois créés étaient des emplois à temps plein. Nous avons été regarder les chiffres de L’ONSS, et vous vous rappelez, c’est là qu’il a dit « populiste » quand il a tapé dans le micro.

C’est toujours comme ça un ministre libéral. Quand il est mis en défaut, il commence à péter un câble et il espère étouffer le débat avec des « populiste » etc. Mais ça ne marchera pas, ça ne marchera pas. Et d’ailleurs, ça n’a pas marché. Je rappelle que nous sommes quand même en majorité à Zelzate et à Borgerhout, où nous formons une majorité avec le sp.a et avec Groen, qui sont les pendants néerlandophones d’Ecolo et du PS, et ça marche bien. Le but était clairement de nous court-circuiter, mais ça n’a pas marché.

Mais cette étiquette extrémiste que l’on vous colle parfois, vous la réfutez?

Cette théorie de l’extrême gauche, de l’extrême droite, ça nous vient vraiment en droite ligne des États-Unis. Le bien, le mal et mettre tous les extrémistes sur un pied d’égalité. Moi je ne suis pas extrémiste hein…

Mais vous reconnaissez que vous voulez renverser ouvertement le capitalisme…

Ça c’est clair, mais ce n’est pas de l’extrémisme, c’est le capitalisme qui est extrémiste. C’est le capitalisme qui organise aujourd’hui le fait que 1% de la population ait plus de richesse que les 99% restants, ça pour moi c’est l’extrémisme. Je trouve ça scandaleux. Moi je ne suis pas extrémiste. Je peux me reconnaître dans le terme radical, je veux prendre le problème à la racine, une gauche radicale, je peux comprendre, mais je ne suis pas du tout extrémiste. C’est vraiment un scandale. Et d’ailleurs, je veux quand même dire que ça n’a pas été la tradition en Europe occidentale après la Deuxième Guerre mondiale, que d’appliquer un cordon sanitaire contre les forces marxistes. Je rappelle que le Parti communiste était dans le gouvernement juste après la sortie de la Deuxième Guerre mondiale. Donc voilà, on ressort un peu le langage de la guerre froide pour évidemment étouffer le débat, et je crois que ça ne marche pas. Ça, c’est clair.

Ca se passe plutôt bien, vous êtes crédité du quatrième score en Wallonie et à Bruxelles. Quel objectif pour cette prochaine législature? Toujours jouer le rôle de trublion?

Ici, c’est clair que l’on veut passer à une vitesse supérieure. Il y a deux niveaux différents je dirais: au niveau législatif, au niveau parlementaire, on a le but de former un groupe. Il faut quand même rappeler aux gens que le PTB n’est pas un immense parti. On avait seulement deux députés au fédéral et deux en Wallonie et puis voilà. Donc avoir un groupe nous permettrait d’être présents dans toutes les commissions.

Pouvez-vous justement expliquer ces commissions qui ne sont pas vraiment connues du grand public?

Alors ce qui est fou, c’est quand même intéressant de le savoir pour les gens, c’est que le PTB n’a pas le droit de vote en commission. Et donc, on ne peut pas voter pour nos propres lois. Donc on va proposer la taxe des millionnaires, mais on ne peut pas voter pour nos propres lois. Pourquoi? Parce que quand vous vous n’avez pas un groupe d’au moins 5 députés, vous n’êtes pas représentés dans les commissions et donc vous ne pouvez pas voter pour vos propres lois.

Vous n’êtes pas non plus présents à la réunion des chefs de groupe. C’est vraiment une démocratie à deux vitesses, c’est vraiment incroyable. Donc, pour nous, former un groupe serait important, et surtout, d’avoir aussi un élu qui nous vienne de Flandre, et c’est pour ça que l’on met beaucoup d’énergie dans la campagne électorale de notre camarade et président Peter Mertens…

La réussite est mitigée en Flandre pour le moment?

C’est mitigé, mais n’est pas dans un même contexte évidemment. On a une droite qui est beaucoup plus à l’offensive, mais les sondages nous sont plutôt favorables maintenant et chaque voix va compter. On était à 4,5% en province d’Anvers en 2014 et on a fait 5,8% en Wallonie en 2014. Donc juste pour dire: la différence n’était pas très grande. Mais la différence a continué à monter parce qu’on était visible avec un certain accès aux médias. C’est moins le cas en Flandre, et on espère bien qu’avec l’élection de Peter Mertens dans le groupe parlementaire, on sera pour la première fois un vrai groupe national. On pourrait vraiment avancer.

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Mais pour faire avancer les choses de l’intérieur, il faut des partenaires et une coalition. On a vu aux communales que ce n’était pas facile?

Ça, c’est clair, on encore faire du boulot au niveau de l’exécutif. Donc là on en a vraiment un but qui est important: c’est de peser sur les mesures qui vont être prises, sur les gouvernements à venir, et on verra si on peut intégrer ou non un tel gouvernement. La question, c’est d’avoir un programme de gauche. Lors des dernières élections communales, nous avons négocié avec le PS – je rappelle que dans l’essentiel des communes, le PS est en majorité absolue – qui n’avait besoin d’aucun autre parti, d’aucun autre partenaire. Le PS ne voulait rien changer, il était content de la manière dont il gérait.

On a proposé le transport gratuit, on nous envoyer bouler. On a proposé que l’on construise plus de logements sociaux – c’est pour ça que les gens ont voté pour nous – on nous a envoyé bouler.

Pourquoi?

Parce que le PS veut continuer à gérer de la même manière, dans le cadre de l’austérité européenne. « On a toujours fait comme ça », « il n’y a pas d’alternative ». On a eu des négociations pendant quatre heures où le PS n’a pas arrêté de nous dire: « il n’y a pas d’alternative ». TINA: « There is no alternative ». On avait déjà l’habitude d’entendre ça dans la bouche des libéraux, mais avec le PS, c’est la même chose.

Et c’est ce même raisonnement qui a fait que le PS a voté la chasse aux chômeurs. Ils ont dit: « On n’a pas eu d’alternative ». Va l’expliquer maintenant aux dizaines de milliers de jeunes qui sont foutus dehors du chômage. On n’avait pas d’alternative…

Il faut reconnaître que le taux de chômage est au plus bas depuis assez longtemps notamment chez les jeunes?

Bien sûr, on les fout en dehors du chômage, ce n’est pas difficile. Faire baisser le chômage en excluant les jeunes du chômage, ça c’est la solution de facilité. Mais la question de l’emploi chez les jeunes reste tout aussi problématique.

Moi je trouve qu’on n’a rien résolu pour la jeunesse, que du contraire. Ce gouvernement aussi n’a pas arrêté de flexibiliser le travail de la jeunesse. J’ai rencontré une délégation de travailleurs de Delivroo pendant la législature, ces jeunes m’expliquent qu’ils ont des contrats d’indépendants, on rigole ou quoi? Même le SPF Affaires sociales reconnait que ce sont évidemment des faux indépendants. Ils reçoivent des ordres d’un même patron. Ils sont flexibles à merci donc ils n’ont aucune autonomie. Non, on les fait travailler pour deux kopecks. Je trouve ça vraiment un scandale et ce gouvernement est en train de généraliser les Deliveroo, les Uber, etc.

Pour moi, ce n’est pas ça l’avenir de la jeunesse

Des emplois précaires…

Exactement. Et je crois que pour les jeunes, il serait temps que l’on crée des CDI, des contrats stables avec lesquels ils peuvent construire une famille. Ils peuvent acheter une maison, ils peuvent voir un petit peu l’avenir et arrêter d’avoir comme modèle économique ce qui nous vient des États-Unis d’Amérique, où les jeunes se retrouvent avec trois boulots différents: en journée, je livre des pizzas, le soir je suis en call center… on est où quoi? Ce n’est pas notre vision de société.

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Pour lutter contre la pauvreté, la droite veut le faire en stimulant par le travail, mais c’est quoi la méthode du PTB?

Nous on croit aussi à la création du boulot. Mais pour cela, il faudrait éviter que des grandes multinationales s’enrichissent à longueur de journée ou reçoivent des ristournes fiscales. On a encore eu ici le groupe GBL de feu Albert Frère: 1,8 milliard de bénéfice. Combien il payait d’impôts? Zéro euro d’impôt! Je vous parle de 2018, je ne suis pas en train de parler de quelque chose qui s’est passé il y a 10 ans.

C’est quand même un scandale: donc on donne de plus en plus de cadeaux à ces multinationales et elles ne créent pas d’emplois. Nous, nous croyons que l’on doit réinvestir. On doit mettre sur pied une banque publique avec qui on va investir dans du vrai emploi. Le vrai emploi, c’est quoi? Dans la construction pour isoler les maisons, dans le chauffage urbain, il faut avoir des travailleurs qui mettent le chauffage urbain place.

Il faut investir 10 milliards d’euros par an. Notre plan est très clair. Nous nous sommes inspirés du Bureau du Plan avec son plan Vito: 10 milliards par an pour créer massivement de l’emploi et surtout aussi pour répondre au défi démographique.

Vous les trouvez où ces dix milliards?

Il y a différentes méthodes évidemment, mais la première c’est de faire payer les riches.

La taxe des millionnaires?

Bien sûr. Cela fait 10 ou 15 ans que nous sommes en campagne sur ce sujet. Et c’est toujours comme ça avec les idées du PTB: d’abord, les autres partis traditionnels disent que c’est un scandale, c’est populiste, c’est infaisable, c’est irréalisable… et là maintenant, ils récupèrent tous: le cdH, le PS et Ecolo. Tout le monde.

Cette taxe va être difficile à mettre en place?

Ce n’est vraiment pas difficile à mettre en place. Ce qui est scandaleux, c’est que le Bureau du Plan refuse le calcul de la taxe sur les millionnaires, parce qu’ils ne reçoivent pas du gouvernement les modèles pour la calculer. Donc le Bureau du Plan a les modèles pour calculer combien ça rapporte de faire bosser les gens jusqu’à 67 ans, ça il y a pas de problème, c’est le paradigme idéologique, ça on peut le modéliser, mais faire payer les riches, ça on ne peut pas le modéliser? Un scandale.

Donc oui nous avons modélisé, à partir des études qui ont été faites à l’ULB, à la VUB. Il y a des études universitaires qui font des estimations sur la répartition des patrimoines en Belgique, et une taxe de 1% sur les fortunes de plus d’un million d’euros rapporterait plus ou moins 8 milliards d’euros. Et donc en France, ils ne l’ont pas annulé parce que ça ne rapportait pas assez, mais uniquement parce que Sarkozy, et surtout Macron, sont complètement obnubilés pour faire payer les gens, les Gilets jaunes et pas faire payer les riches. Le Sénat français a fait un rapport qui indiquait clairement qu’il n’y avait qu’un pour cent des riches Français qui quittaient la France. Pour pouvoir ne pas payer. Et où est-ce qu’ils allaient? En Belgique et en Suisse.

À propos de Gilets jaunes, comment expliquer leur absence en Belgique?

Je pense qu’il y a deux explications: d’une part, il y a eu un mouvement Gilets jaunes existant en Belgique et je pense que beaucoup de gens sont Gilets jaunes dans leur cœur ici en Belgique. Quand je suis intervenu dans cette législature contre la répression des Gilets jaunes et pour leurs revendications, j’ai reçu des milliers de mails de Français, mais aussi de Belges. Et aujourd’hui, je dois encore vraiment féliciter tous ces gens qui se sont mobilisés à fond, c’est hyper important.

Mais deux, il y a une spécificité française: d’une part la pauvreté dans le monde rural français – que l’on connaît en Belgique aussi, mais de manière moins importante – et deux, Monsieur Macron avait déjà appliqué ce que tous les partis belges vont appliquer après les élections. Et là je balance les deux pieds dans la marre: c’est la taxe carbone, et c’est un scandale dans la campagne électorale belge. C’est que tous les partis traditionnels PS-cdH-MR-Ecolo ont signé une résolution au Parlement fédéral en décembre dernier pour dire qu’ils souhaitaient l’instauration d’une taxe carbone, c’est-à-dire une taxe sur la consommation.

C’est une taxe qui va coûter, selon l’estimation de Mme Marghem, 280 euros par an pour la classe moyenne, mais aussi pour les plus pauvres. Monsieur Macron a déjà mis en place cette taxe carbone en France, c’est là dessus que les Gilets jaunes ont commencé à se mobiliser. Et je trouve que c’est un scandale que dans cette campagne électorale aucun parti ne parle de cette taxe carbone dans son programme.

Ils sont en train de mentir aux gens, en direct, personne ne veut parler de ça pendant la campagne, mais je peux garantir que le PTB va lui en parler, et j’espère bien que ça deviendra un enjeu de la campagne. Je voudrais encourager tout le monde médiatique à poser la question, claire, aux partis traditionnels: « Souhaitez-vous la mise en place d’une taxe carbone? » Ils devront répondre « oui ». Et ça les gens devraient savoir que le PTB répond « Non ». Parce qu’une taxe carbone va faire payer surtout les plus pauvres et pas les plus riches.

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